vendredi 15 août 2014

«Voilà qui me ramène au démon de midi. Pour Kant, ce démon s'agite à deux moments de la journée : l'après-déjeuner et la nuit. Vigilance ! Somnolence postprandiale et sommeil profond sont deux ennemis pour le philosophe. Il faut se prémunir. 
Pour lutter contre la torpeur de l'après-midi, le remède s'appelle promenade. Kant n'innove pas sur le principe. Depuis, les Grecs, la promenade est une activité indispensable du philosophe. Souvenez-vous de Socrate emmenant Phèdre dans la campagne athénienne, souvenez-vous d'Aristote et des péripatéticiens qui ne pouvaient réfléchir qu'en marchant. Dis-moi comment tu déambules, je te dirai quel philosophe tu es... La promenade de Hobbes, grand sportif sous l'éternel qui vécut jusqu'à quatre-vingt-dix ans, n'est pas celle de Rousseau ou de Nietzche. Vaste sujet que je ne traiterai pas ce soir... Je m'en tiendra à la promenade classique kantienne, qui doit s'effectuer sous haute surveillance. Il ne s'agit pas de divaguer et de battre la campagne... C'est pourquoi Kant est très attentif à régler sa respiration, son pas, sa transpiration (qu'il évite). Rien à voir avec la promenade rousseauiste, occasion de rêverie, expérience fondatrice, ressourcement vers le moi profond, loin de la société et de la ville. Pour Kant, marcher est un exercice de récupération des forces mentales. Pas question de s'épuiser en rêveries... Pas de vésanies ! Un parcours municipal suffira.
Quand au sommeil et au royaume de la nuit, ils sont périlleux. Les rêveries nocturnes sont les plus dangereuses. Il faut se méfier particulièrement du passage entre veille et sommeil, au moment de s'endormir. Kant avait une technique adaptée. Il répétait le nom de Cicéron, comme un mantra. Plongeant dans le sommeil comme dans un néant salvateur, Kant ne parle jamais de ses rêves. Le sommeil est un grand vide de pensée. Attention au réveil, cette rentrée dans l'atmosphère humaine est aussi un piège. A cette incertaine, d'aucuns prétendent qu'ils puisent le meilleur de leur inspiration. Descartes aimait les grasses matinées et le vagabondage des pensées. Fadaises pour un kantien ! Il faut couper le réveil comme une mauvaise herbe, sortir du sommeil en sursaut. Cinq minutes plus tard, on doit être à sa table de travail.»

La Vie sexuelle d'Emmanuel Kant. Jean-Baptiste Botul. Mille et une nuits (2000) 

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