vendredi 30 octobre 2020

Éblouissement des prémisses (59)

«Jim fut présenté à son corps défendant, car il ne voulait pas connaître de nouveaux visages, à une jeune fille silencieuse, calme diaphane, bien qu'ayant les hanches de mère, et qui lui sembla dans l'ombre de la mort. Elle s'appelait Michèle.
Il la revit. Auprès d'elle il oubliait le conflit des deux autres. Il était dans la paix. Elle lui disait sa vie. Il lui disait la sienne. Les deux étaient accidentées, comme les lignes de leurs mains. Ils se montraient des photos de leur enfance.
Elle avait une bibliothèque pleine de gravures anciennes, parmi lesquelles elle le guidait.
Non, elle ne se mourrait pas d'une maladie, mais seulement de ce qu'elle n'avait pas trouvé le motif de vivre. Il vint souvent chez elle.»

Jules et Jim. Henri-Pierre Roché. Gallimard (1953)

Visionnage domestique parisien (58)


Trains étroitement surveillés. Jiri Menzel (1966)

Rire innocent
A l’époque de la réalisation de ce film, la Tchécoslovaquie vit une période de libéralisation politique, et le Printemps de Prague est une tentative visant à instaurer « le socialisme à visage humain » pour démocratiser un système totalitaire du régime communiste. Les premiers à critiquer la politique bolchevique sont les écrivains utilisant des chemins détournés pour éviter la censure. Bohumil Hrabal, l’écrivain de Trains étroitement surveillés, échappe à ces censeurs par la dérision avec un style unique et poétique de l’absurde et du grotesque. Le film de Jiří Menzel est la transposition de son univers.
Dans le contexte soviétique, on ne parle pas de la sexualité et de ses problèmes, les images de la nudité sont interdites (sauf celle de la peinture et encore), la modestie sexuelle est inscrite dans le manuel des bonnes manières (comme par exemple dans Les amours d’une blonde de Miloš Forman). Il n’est pas étonnant qu’avec l’ouverture des frontières, on assiste à la surenchère de l’érotisme et l’omniscience sur la sexologie. A l’époque de tout interdit, Trains étroitement surveillés témoigne d‘une vraie liberté d’expression même pour aujourd’hui. L’image est tellement crue et impudique en suggestion, sans être lubrique, qu’elle n’empêche pas le sourire, car c’est un film pour ceux qui savent « tout » mais qui ne veulent rien voir. L’érotisme du film est fort et omniprésent mais c’est l’humour qui nous empêche d’en jouir.
L’histoire du jeune Miloš Hrma, un apprenti cheminot, se déroule à la fin de la deuxième guerre mondiale, dans une petite gare tchèque par où passent des transports militaires à destination du front. Miloš Hrma est présenté comme un pantin devant la caméra. Il est un rien qui devient quelqu’un quand on lui apporte sa couronne (on dit en russe: « sans documents t’es rien et avec les documents t’es un humain ») – la casquette d’ouvrier de la gare, qui signifie un rang dans la société, car il a la garantie à vie d’un emploi où on passe du bon temps sans trop de travail. C’est un adolescent dans la peau déjà d’un adulte qui est un néophyte dans le monde d’adulte. Il en sait suffisamment : il faut travailler le moins possible – quand il raconte l’histoire de son grand-père et son père semble en être fier. Effectivement dans la bureaucratie soviétique, la valeur de travail tellement louée que la paresse est un défaut énorme et tout être sans emploi est considéré comme parasite de la société. Néanmoins ce n’est qu’une apparence : on désignait plusieurs personnes pour un seul poste. Il faut apprendre à ne rien faire sous apparence d’un gros travail.
La critique de Hrabal est tout à fait juste. On rit de nous même, c’est un miroir tourné envers nous. Le quotidien est montré en détail avec une telle simplicité qu’on y croit et c’est de là que vient notre rire : on s’y reconnaît, on s’imagine la situation, peut-être même qu’on a été le témoin d’une telle situation car c’est assez archétypique, l’initiation d’un jeune dans le monde des adultes, et celui des femmes.
L’humour de Menzel est acerbe, il puise sa source dans le réalisme jusqu’à l’absurde qu’il devient surréaliste et finalement se plonge dans une rêverie – on ne sait plus où est la limite entre le réel et le fantasmé : le wagon des infirmières ressemble au wagon des prostituées ; l’explosion de la maison de l’oncle de Máša avec l’oncle qui se réveille avec un rire hystérique. C’est une histoire des gens sans conscience, sans autocritique, ce sont les gens qui jouissent de la vie, ce qu’elle leur apporte – l’absence de jouissance est difficile à supporter. Voilà pourquoi le jeune homme a envie de se suicider, car « la vie est tellement compliquée » – tout ça parce qu’il n’arrive pas à faire l’amour à la fille qu’il aime, c’est là que la comédie tourne en tragédie, mais pas pour longtemps.
Ses valeurs personnelles du moi comptent plus que le bonheur de la collectivité – il se soucie de sa sexualité. Le personnage du Miloš est un instinctif. Il agit comme un animal qui suit son instinct adolescent en découvrant le monde. Les valeurs de volonté et maîtrise de soi lui sont étrangères, comme à tous les personnages d’ailleurs. Les valeurs militaires – mourir pour l’Allemagne, se battre pour l’avenir heureux leur semblent incompréhensibles. C’est pour ces raisons-là qu’on pose tous les « pourquoi » innocents au chef commandant nazi, c‘est pour ceci aussi que Hubička abandonne son poste quand le train des allemands entre en gare. D’ailleurs le commandant allemand appelle les tchèques « animaux bouffons ». C’est un monde hédoniste, qui n’est nullement condamné, au contraire il est sanctifié : après l’acte Hubička paraît avec une auréole simulée à l’écran. Le but de Miloš est de faire jouir une femme et quand c’est fait il devient un héros – la musique du film solennelle et victorieuse en témoigne.
Sans tomber dans le pathétique, Menzel décrit la solitude du jeune homme face à la découverte de la sexualité. L’histoire est racontée d’un point de vue assez pittoresque avec bien sûr des suggestions et des non-dits de l’auteur. C’est du non-dit de tradition, car comme j’avais déjà invoqué, on ne parle pas des rapports sexuels dans les pays des soviets – les rapports sexuels sont devinés, on ne les apprend pas à l’école, ni par les parents, mais plutôt par des ouï-dire, ce qui crée un mystère et rend l’acte encore plus monstrueux et repoussant (d’ailleurs dans le film on appelle le problème du jeune homme en appellation latine ejaculatio precox comme si on avait peur de le dire en tchèque).
On paraît seul à ne pas savoir ce que tout le monde sait et comme on ne veut pas paraître idiot on ne le demande pas. Une jolie métaphore : la femme du chef de la gare prétend ne pas savoir de quoi lui parle Miloš quand il lui évoque son problème alors qu’elle est en train de gaver une oie – allusion parfaite au phallus. L’être est très fort à ne pas voir les choses, on rit de quelque chose qu‘on sait obscène mais le rire détend, on se sent visé et critiqué, et le bannissement, l’interdit n’a plus de sens. Rire – on se libère du manque de puissance et on prend cette puissance-là en rigolant.
Les personnages du film sont de véritables antihéros, non antipathiques d’ailleurs. Le chef de la gare est ridiculisé depuis le début du film. Il est présenté avec une veste couverte d’excréments de pigeons, on voit des pièces non cousues de son nouvel uniforme jamais terminé – même à la fin du film lors d’une cérémonie officielle il porte sa veste habituelle. Ses ouvriers se moquent de lui en forniquant sur son précieux divan jusqu’à le déchirer; Miloš demande l’autorisation de coucher avec sa propre femme. C’est l’irrespect ultime, car le chef se doit de donner l’exemple, il inspire la peur et la considération.
Le personnage de la fille que sa mère amène partout dans les tribunaux est totalement exhibitionniste. Elle obéit à sa mère qui est beaucoup plus faible qu’elle-même et avoue avec une certaine jouissance que c’est un ouvrier de la gare qui a mit le tampon sur ses fesses. Sa mère est grotesque dans le rôle de sauveuse de l’honneur de sa fille, telle une petite vieille qui apporte une bûche au feu déjà grand d’une soi-disant sorcière. « Une sainte innocente ! ».
Le régime nazi ressemble bizarrement à celui des soviétique (on ne parle pas des juifs et leur extermination) : les actes de délations, l’aspiration d’accéder à la chefferie, l’appellation à la morale. Le pays semble être envahi par une épidémie de débauche. Le communisme doit fleurir et naître du ventre d’une vierge immaculée.
Absurde contradiction des élément suscite en nous un fou-rire – le chef de gare parle de Sodome et Gomorrhe alors qu’il aimerait bien être lui-même à la place de son employé en train de tripoter une fille, le militant nazi parle de honneur d’offrir son sang pour l’avenir heureux de son pays alors qu’il passe des heures à analyser la pauvre affaire du cachet sur les fesses d’une jeune fille et ne remarque même pas Miloš qui est en train de prendre l’explosif devant ses yeux.
Le délire débridé du film amène au cœur immédiat des sensations, au plus proche des gens, aux portes du bizarre qui s’entrouvrent dans le quotidien. L’histoire avance sans patauger en évolution avec chaque personnage, en montrant les failles d’un système stérile et déshumanisé.

Kinoscript 6 août 2015


Deux orbites ne se rencontrant qu'incidemment. Celle de l'occupation de la Tchéquie par les armées allemandes et celle personnelle du héros qui pense à l'amour puis à la flétrissure de l'éjaculation précoce.

mercredi 28 octobre 2020

Visionnage domestique parisien (57)

One + one (sympathy for the devil). Jean-Luc Godard (1968)

PBF 2020.24 : Les traiter en coussins dociles

Mercredi 28 octobre 2020 à 19H, nouvelle émission de la Petite Boutique Fantasque avec comme titre : Les traiter en coussins dociles correspondant à un lapsus de Sophie qui nous lit de nouveaux extraits de l'Ingénue libertine de Colette. La photographie de Sue Lyon est tiré du film de Gordon Douglas, Tony Rome
Cette émission est réalisée sur Protools et diffusée en hertzien, Toulouse : 106.8 Mhz ou en streaming https://www.radioradiotoulouse.net/ et pour tout le reste du temps sur les podcasts de mixcloud.

Programmation musicale :
1) Le mouton de Panurge (Georges Brassens)
2) Regarde moi (Nicolas Comment)
3) A la goutte d'or (Pigalle)
4) Omar 1er mouvement (Franco Donatoni) joué par Adelaïde Ferrière
5) Kvarteto canon (Adrian Démov)
6) Kinship (Yoran Herman trio)

+ Extraits de l'Ingénue libertine (1909) de Colette
- L'amant décevant de 20 ans 
- L'amant encourageant de 40 ans

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF :
https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/pbf-202024-les-traiter-en-coussins-dociles/

dimanche 25 octobre 2020

Éblouissement des prémisses (58)

 «C'est pourquoi les maladresses vestimentaires, les naïvetés, les indifférences ou tout simplement l'innocence des touristes, spécialement celles des pays où les regards des hommes ne les atteignent jamais directement, donnaient à Eusèbe toutes ses chances : shorts avec large dépassement de fesses et même de culottes ; couleurs de culottes sombres sous des étoffes claires et pas très opaques ; transparences à la lumière révélant quelque trésor de poils dorés sous des nylons diaphanement émergeant de jupes courtes ; transparences, d'essence si différente, par humidité, lors d'une surprise d'orage, grâce aux reliefs collant aux robes mouillées, effet de fraîcheur et de pluie sur les seins, soulèvements imprévisibles dus aux brises, aux tempêtes.»

La Belle Hortense. Jacques Roubaud. Seghers (1990)

Éblouissement des prémisses (57)

 «C'est une folle imprudence d'avoir déraciné les imbéciles, vérité qu'entrevoyait M. Maurice Barrès. Telle colonie d'imbéciles solidement fixée à son terroir natal, ainsi qu'un banc de moules au rocher, peut passer pour inoffensive et même fournir à l'État, à l'industrie un matériel précieux. L'imbécile est d'abord un être d'habitude et de parti pris. Arraché à son milieu il garde, entre ses deux valves étroitement closes, l'eau du lagon qui l'a nourri. Mais la vie moderne ne transporte pas seulement les imbéciles d'un lieu à l'autre, elle les brasse avec une sorte de fureur. La gigantesque machine, tournant à pleine puissance, les engouffre par milliers, les sème à travers le monde, au gré de ses énormes caprices. Aucune autre société que la nôtre n'a fait une si prodigieuse consommation de ces malheureux. [...] elle les dévore alors que leur coquille est encore molle, elle ne les laisse même pas mûrir. Elle sait parfaitement que, avec l'âge et le degré d'expérience dont il est capable, l'imbécile se fait une sagesse imbécile qui le rendrait coriace.»

Les Grands cimetières sous la lune. Georges Bernanos. Castor astral (2008)

mercredi 21 octobre 2020

Éblouissement des prémisses (56)

 Muriel à Claude
9 juin 1901

«Je crois que pour chaque femme a été créé un homme qui est son époux. Il peut exister plusieurs hommes avec lequel elle pourrait avoir une vie paisible, utile et même agréable. Mais il n'y en a qu'un qui soit l'époux parfait.
Il peut mourir, il peut ne jamais la rencontrer, il peut être marié à une autre. Alors il vaut mieux pour cette femme qu'elle ne se marie pas.

Il y a pour chaque homme une femme unique, créée pour lui, qui est sa femme.
Nous pensons ainsi, Anne et moi, depuis notre enfance.
Quant à moi, je ne marierai probablement pas, parce que j'ai devant moi une tâche que je remplirai mieux seule, mais si Dieu me faisait rencontrer mon homme, je l'épouserais.»

Deux anglaises et le continent. Henri Pierre Roché. Gallimard (1956)


Visionnage domestique parisien (56)

Deux Anglaises et le contingent. François Truffaut (1971) 

dimanche 11 octobre 2020

Revisionnage domestique parisien, pour Jean-Christophe

L'acrobate Jean-Daniel Pollet. (1976)

 «Il n'avait donc pas davantage entendu parler de cette subtile conception de "l'indulgence" qui s'étendait même à un sacrement, celui du mariage, lequel n'était nullement un bien positif comme les autres sacrements, mais simplement une défense contre le péché, accordé pour modérer la convoitise des sens et l'intempérance, de sorte que le principe ascétique, l'idéal de la chasteté, y était maintenu sans que l'on eût heurté la chair avec une rigueur peu diplomatique ?»

La Montagne magiqueThomas Mann. Arthème Fayard (1931)

Retour en arrière ?

 «Si tous les signes ne sont pas trompeurs, la scolastique va être réhabilitée à cet égard aussi, la procédure est déjà en train. Copernic sera battu par Ptolémée. La thèse héliocentrique se heurte de plus en plus à une résistance de l'esprit dont les entreprises mèneront sans doute au but. Il est probable que la science se verra contrainte par le philosophie à rendre à la terre toute la majesté que lui attribuait le dogme religieux.»

La Montagne magique. Thomas Mann. Arthème Fayard (1931)

PBF 2020.23 : Une pomme de pin est plus sympathique qu'un galuchat

Mercredi 14 octobre 2020 à 19H, nouvelle émission de la Petite Boutique Fantasque avec comme titre : Une pomme de pin est plus sympathique qu'un galuchat, imaginé au hasard d'une lecture. L'image du vieux berger ariégeois est de Jean Dieuzaide. Une émission à la fois poétique et électroacoustique.
Cette émission est réalisée à la maison sur Garageband et diffusée en hertzien, Toulouse : 106.8 Mhz ou en streaming https://www.radioradiotoulouse.net/ et pour tout le reste du temps sur les podcasts de mixcloud.

Programmation musicale :
1) Laissez-moi crier (Anne Sylvestre / Michèle Bernard)
2) Liquid mémoriam (The Oscillation)
3)Les Chants de Maldoror, Chant II dans une version mise en onde conçue et réalisée par Pierre Henry et diffusée sur France Musique en 1993
- extrait de la strophe 1 : Le funèbre entonnoir
- extraits des strophes  3-4   : Apparition d'un omnibus
- extrait de la strophe 7 : Dans un jardin
- extrait de la strophe 8 : Notes vibrantes et mélodieuses
- extrait de la strophe 9 : Le pou
4) Sonate n°118 (Padre Soler) joué par Lucio Matarazzo

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF : https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/pbf-202023-une-pomme-de-pin-est-plus-sympathique-quun-galuchat/


dimanche 4 octobre 2020

Les Petites amoureuses allemandes

 «Au surplus, sa passion amoureuse lui infligeait toutes les douleurs et lui procurait toutes les joies que cet état comporte partout et en toutes circonstances. La douleur est pénétrante ; elle comporte un élément dégradant comme toute souffrance, et répond à un tel ébranlement du système nerveux qu'elle coupe la respiration et peut arracher à un homme adulte des larmes amères. Pour rendre également justice aux joies, ajoutons que celles ci étaient nombreuses, et que, bien qu'elles eussent des motifs insignifiants, elles n'étaient pas moins vives que les souffrances.»

La Montagne magique. Thomas Mann. Arthème Fayard (1931)

 «Un long silence avait traversé la chambre d'hôpital. Comme elle l'avait fait toute sa vie, ma grand-mère avait pris une fois de plus sur elle. Elle n'avait point insisté.»

Une fin de vie volée. Magali Croset-Calisto. Le Bord de l'eau (2019)

samedi 3 octobre 2020

« ; en vérité c'est la musique toute entière qui est une fioriture, un détour, une exquise efflorescence de la vie ; c'est la musique tout entière qui est, comme les vocalises du rossignol, le luxueux et gracieux paralipomène* de l'existence pratique.»

La musique et l'ineffable. Vladimir Jankélévitch. Éditions du Seuil (1983)

* paralipomènes : sorte de supplément à l'ouvrage qui précède, par opposition à prolégomènes. Littré

«Voir jouer du jazz fut une illumination. Il avait déjà entendu cette musique mais la découverte improvisée quotidienne, vivante, fut pour Patrick une expérience si extraordinaire qu’elle lui parut incommunicable. Du moins ne parvint-il pas à l’exprimer à Marie-José. C’était l’exact contraire de la contention et de la prétention des concerts de musique classique qu’il avait pu entendre à Orléans. Patrick n’avait jamais imaginé que la musique pût être cela : une tristesse devenue corps ; un lien immédiat associant sur-le-champ ceux qui jouaient à ceux qui écoutaient comme s’ils formaient un seul corps ; une façon de respirer et de mouvoir tous les membres ; une possibilité de prendre au mot le hasard d’un instant et de le ressentir de la tête aux pieds ; une façon de vivre plus intense. 
Tous ceux qui écoutaient s’accordaient au même rythme immédiatement. Tous se perdaient dans l’autre. C’était une solidarité aussi subite que bouleversante. C’était un véritable lien social, sans discours, sans intérêt, comme une tribu des premiers âges. Chacun croyait retrouver un haut qui remontait à l’aube.» 

L’occupation américaine. Pascal Quignard. Éditions du Seuil (1994)

Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (28)

«L'exemple terrible, dans le passé, de quelques femmes libres a suffi à convaincre la domination de l'opportunité de conjurer toute liberté féminine.»

Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille. Tiqqun. Mille et une nuits (2001)