samedi 31 décembre 2022

Réminiscence personnelle (65)

«Je comprends seulement maintenant l'une des choses que répétait le maître, la sensation de viser à côté de la cible, de ne pas être au coeur de ce qu'on a à dire, ce qu'on a à faire, de se heurter à l'épaisseur du réel, à une paroi impossible à percer ou à contourner -tels étaient ses mots- de ne pas pouvoir passer de l'autre côté.»

Conversations avec le maître. Cécile Wajsbrot. Denoël 2007

mercredi 28 décembre 2022

La ligne blanche. Avenue de Muret (Toulouse) 22 décembre 2022 18H

photographie : Aimable Lubin

«Sans doute Galsuinthe eût loué Mlle de Lespinasse de n'aimer rien de ce qui est à demi, de ce qui est indécis, de ce qui est un peu. Jamais, en tous cas, elle n'avait supporté sans déplaisir le passage imperceptible d'un état au suivant, la transition adoucie par la lenteur.»

Le tombeau d'Audrey Beardsley ou les fashionnables chinois in Le musée noirPierre de Mandiargues. Folio Gallimard (1974)

mardi 27 décembre 2022


«L’enfance aux longs doigts, aux chagrins ravissants.»

René Char

photographie de Georg Stefan Troller
« Les hommes moyens dont l'esprit est surexcité mais incapable de se libérer dans la création, éprouvent le désir de se donner en spectacle. »

L'homme sans qualitésRobert Musil. Editions du Seuil (1956)

«Ce monde qui se forme me fait peur. Je l'ai vu germer ; je puis le déchiffrer comme un calque. Ce n'est pas un monde où j'ai envie de vivre. C'est un monde fait pour des monomaniaques obsédés par l'idée du progrès... mais d'un faux progrès qui pue. C'est un monde encombré d'objets inutiles que, pour mieux les exploiter et les dégrader, on a enseigné aux hommes et aux femmes à considérer comme utiles. Le rêveur aux songeries non utilitaires n'a pas place dans ce monde. En est banni tout ce qui n'est pas fait pour être acheté et vendu, que ce soit dans le domaine des objets, des idées, des principes, des espoirs ou des rêves. Dans ce monde, le poète est un anathèmes, le penseur, un imbécile, l'artiste, un fugitif, le visionnaire , un criminel.»

Au fil du temps. Henry Miller. Grasset (1988)

lundi 26 décembre 2022

Visionnage domestique toulousain (120)

 

Des Amandiers aux Amandiers. Karine Silla Perez / Stéphane Milon (2022)

«Opéra, dit Albion, en faisant voler d'une pichenette son ticket de métro près d'une croix d'or, qui depuis quelque temps, agaçait son regard, blottie douillettement à l'intérieur d'une chemise Lacoste, dans la fourrure pectorale d'un voyageur glouton que des lokoums verts et rouges poudraient de sucre farine à l'instar de ces jeunes travestis, velus aussi comme. des sangliers et fardés comme des biches, qui brûlent la rampe aux menus théâtres d'Athènes, c'est là que j'aperçus pour la première fois la princesse de Petit-Colombes, qui est maintenant un peu par ma faute, la mère de la femme obus du Coliseum de Londres.»

Le tombeau d'Audrey Beardsley ou les fashionnables chinois in Le musée noir. Pierre de Mandiargues. Folio Gallimard (1974)


vendredi 23 décembre 2022

Réminiscence personnelle (64)

«- J'ai bien lu votre dossier. je suis navré, mais vous ne correspondez pas au profil.
Le jeune homme baisse la tête et murmure :
- Tout le monde n'arrête pas de me le dire.
Le silence s'installe, le conseiller laisse à Marc le temps d'accepter la nouvelle. Dans un instant il va se lever, lui serrer la main et lui souhaiter bonne chance. Mais Marc n'est pas décidé à abandonner :
- Je sais que je pourrais apporter quelque chose de nouveau à ce poste.»

La mauvaise habitude d'être soi. Martin Page / Quentin Faucompré. Éditions de l'Olivier (2010)

jeudi 22 décembre 2022

«Une fois, j'ai été à l'école de mon fils faire une conférences sur "les victoires de la science et de a technique". Eh bien j'ai cru mourir de honte devant mon garçon, les gosses ne m'écoutaient pas, ils faisaient tout ce qui leur passait par la tête. Le censeur avait beau frapper sur la table ils ne l'écoutaient pas non plus. Ensuite, mon fils m'a expliqué que le vestiaire était bouclé et qu'on ne laissait sortir personne.

La maison de Matriona. Alexandre Soljenitsyne. Julliard (1965)

mercredi 21 décembre 2022

PBF 2022.33 : La vérité devient image

Mercredi 21 décembre 2022 à 19H, nouvelle émission de la Petite Boutique Fantasque, la dernière de l'année.  Nous retrouvons une dernière fois France tour et détour, deux enfants, émission télévisuelle de Jean-Luc Godard diffusée en 1978. Nous écouterons la troisième et dernière partie de l'épisode 1, Obscur chimie.
Cette émission a été enregistrée et montée au studio de RadioRadioToulouse et diffusée en hertzien, Toulouse : 106.8 Mhz ou en streaming https://www.radioradiotoulouse.net/ et pour tout le reste du temps sur les podcasts de mixcloud

Programme musical
1) Terre de France (Julien Clerc) 
2) Tchéhregé Djân (Shadi Fati / Bijan Chemirani)
3) You're mine you (Lee Morgan sextet)
4) When I built the world (Brian Eno / Karl Hyde)
5) De profundis (Karol Beffa) Choeur Média vita / Lionel Sow
6) Deep peace (Donovan)

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF : https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/la-vérité-devient-image-la-petite-boutique-fantasque/

Sus aux Béotiens !

«Contamine était comme Satie un jeune homme sentimental, timide, un peu naïf, amoureux pour un rien, possédant l'orgueil de la marginalité et la modestie du poète, fasciné par l'aspect mystique du symbolisme, et réceptif aux provocations spirituelles et littéraires de la fin du siècle, ainsi qu'aux sciences occultes.»

Erik SatieJean-Pierre Armengaud. Fayard (2009)

mardi 20 décembre 2022

Visionnage toulousain en salle (43bis) à l'ABC

Falcon lake. Charlotte Le Bon (2022)
 

Thèmes effleurant (l'adolescence) / cailloux affleurant du ruisseau :
mort / suicide / noyé / fantôme / mythomanie / masturbation / sexe / éjaculation précoce / pression sexuelle des garçons / tension enfance - adolescence / vérité d'internet / peurs / jouer avec ses peurs / rires / trop boire / trop fumer de l'herbe / vomir...

Petites amoureuses : visionnage toulousain en salle (43) à l'ABC

Falcon lake. Charlotte Le Bon (2022)

«Je pense que ma pire peur c'est de me sentir seule toute ma vie.»

Comment être sûr que Bastien comprenne suffisamment d’anglais pour comprendre la question d’Oliver sur l’embarcadère de bois ?

Le seul argument est sa peur quand Chloé reçoit un message d’Oliver et le fait qu’il ne nie rien quand Chloé lui reproche de ressembler à Jackson en prenant ses désirs pour des réalités et en les racontant à d'autres.


«Il [Satie] récidive dans Chanson : "Bien courte hélas est l'espérance et bien court aussi le plaisir. / Et jamais en nous leur présence, bien court est le temps de l'amour / Et le serment d'une maîtresse, ne dura jamais plus d'un jour."»

Erik SatieJean-Pierre Armengaud. Fayard (2009)

lundi 19 décembre 2022

«Je prie Morphée de répandre ses plus doux charmes sur vos paupières appesanties, de faire couler une vapeur divine dans tous vos membres fatigués et de vous envoyer des songes légers, qui voltigeant autour de vous, flattent vos sens par les images les plus riantes et repoussent loin de vous tout ce qui pourrait vous réveiller trop promptement.»

TélémaqueFénelon. Garnier-Flammarion (1968)

dimanche 18 décembre 2022

«Il est temps -lui dit-elle- que vous alliez goûter la douceur du sommeil après tant de travaux. Vous n'avez rien à craindre ici : tout vous est favorable. Abandonnez-vous à la joie ; goûtez la paix et tous les autres dons des dieux, dont vous allez être comblé. Demain, quand l'Aurore avec ses doigts de roses entrouvrira les portes dorées de l'orient et que les chevaux du soleil, sortant de l'onde amère, répandront les flammes du jour pour chasser devant eux toutes les étoiles du ciel, nous reprendrons mon cher Télémaque, l'histoire de vos malheurs.»

Télémaque. Fénelon. Garnier-Flammarion (1968)

«Je l'ai aimée à ma façon en ce temps-là, comme il m'était possible, et sans savoir que son image à une autre était pourtant mêlée, je l'ai bien aimée sans mentir, d'un amour qui ne s'est effacé que devant l'amour même, et elle sait très bien qu'elle m'a rendu malheureux. Aux obstacles qu'elle m'opposait, pourtant plusieurs fois défaillante, je n'ai point usé cet amour, et sans doute qu'il y puisait sa vie.»

Le paysan de ParisLouis Aragon. Folio Gallimard (1972)

mardi 13 décembre 2022

PBF 2022.32 : L'Abyssinien

Mercredi 13 décembre 2022 à 19H, nouvelle émission de la Petite Boutique Fantasque sur un texte de guerre, mais pas n'importe quelle guerre celle de 1870, celle des Francs-Tireurs contre l'armée prussienne, cette guerre qui a tellement horrifié ses contemporains avant que celle de 14-18 ne la fasse glisser dans l'oubli. Il s'agit d'une nouvelle tirée de Sueurs de sang de Léon Bloy, L'Abyssien.
Cette émission a été enregistrée et montée au studio de RadioRadioToulouse et diffusée en hertzien, Toulouse : 106.8 Mhz ou en streaming https://www.radioradiotoulouse.net/ et pour tout le reste du temps sur les podcasts de mixcloud

Programme musical
1) Battalia (Henrich Biber) Concentus musicus / Nikolaus Harnoncourt
2) La guerre extrait de Éloge de la folie (Marius Constant) Art nova / Marius Constant
3) De grandes cuillères de neige extrait de Soir de neige (Francis Poulenc) Les Éléments / Joël Suhubiette
4) Sérénade d'hiver (Camille Saint-Saens) Les Éléments / Joël Suhubiette
5) Fanfare for warriors (Art ensemble of Chicago)
6) La guerre de 14-18 (Georges Brassens)
7) Mother of violence (Peter Gabriel)
8) Mahler à Venise (Karol Beffa) 

+ lecture de l'Abyssinien de Léon Bloy par Stéphane
+ bande annonce d'Annie colère de Blandine Lenoir

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF : https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/labyssinien-la-petite-boutique-fantasque/

Sus aux Béotiens !

Réminiscence personnelle (63)

«Et quand je racontais quelque chose sur mon enfance, par exemple, quelque chose de parfaitement ordinaire et d’habituel que tout le monde avait vécu, ça devenait important parce que c’était moi qui le disais. Ça me dévoilait, moi, l’auteur de ces deux livres bons et importants. Et ce jugement sur lequel reposait la situation, je l’acceptais mais je l’acceptais de tout cœur. Et caquetais comme une poule au milieu de la volaille. Tout en sachant ce qu’il en était en réalité. Combien de bons livres vraiment importants sortaient en Norvège ? Environ un tous les dix à vingt ans. Le dernier bon roman norvégien c’était Fyr og Flamme de Kjartan Fløgstad, publié en 1980, il y avait vingt-cinq ans. Celui d’avant, c’était les Oiseaux de Vesaas, en 1957, trente-cinq ans encore auparavant. Et combien de romans norvégiens ont été publiés entre-temps ? Des milliers ! Oui, des milliers ! Quelques-uns sont bien, quelques autres plus nombreux sont moyens et la plupart sont mauvais. C’est ainsi, ça n’a rien d’extraordinaire et tout le monde le sait. Le problème, c’est tout ce qu’il y a autour, la flatterie que les auteurs médiocres sucent comme des bonbons et ce qu’ils sont capables de dire dans les journaux et à la télévision à cause de la fausse image qu’ils ont d’eux-mêmes.Oh je pourrais m’arracher les cheveux de rage et de honte pour m’être laissé appâter encore et toujours. Ces dernières années, en ces temps de médiocrité débordante, j’avais appris une chose qui me paraissait extrêmement importante :Ne va pas croire que tu es quelqu’un de spécial.Ne va pas surtout pas croire que tu es quelqu’un de spécial. Car tu ne l’es pas. Tu n’es qu’une petite merde médiocre et prétentieuse.»

Un homme amoureux. Karl-Ove Knausgaard. Denoël (2014)

dimanche 11 décembre 2022

Visionnage toulousain en salle (42 suite) à l'ABC


Mourir à Ibiza (un film en trois étés)
Entretien avec Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon

Quel était votre projet pour Mourir à Ibiza, votre premier film, un portrait de quatre jeunes en quête d’amour et de bonheur ?
C’est devenu tard un projet de long métrage. C’était d’abord des courts métrages tournés pendant trois étés de 2019 à 2021. Au début, on voulait faire de l’improvisation avec des gens qu’on avait envie de filmer, explorer un lieu et faire tout ça le plus légèrement et collectivement possible. L’écriture du premier s’est faite en une nuit. On voulait reprendre le motif de Conte d’été mais le détourner avec nos préoccupations du moment et ce qui nous faisait marrer. L’idée, c’était qu’une jeune femme qui vient profiter de ses vacances ne se retrouve confrontée qu’à des garçons empêchés dans leurs désirs. C’est une quête de tendresse collective où personne n’ose s’exprimer. Donc, ça crée beaucoup de gêne, de malentendus et de surprises. C’est un bon terrain de jeu et ça correspondait à nos rapports aux autres à la sortie de l’adolescence. On avait envie de se mettre à la hauteur des personnages, sans commenter.

Qu’est-ce qui vous a décidé à poursuivre après le premier été ? Comment avez-vous développé le scénario ?
On n’a jamais écrit le scénario du long métrage. Ça s’est fait dans l’autre sens. Après avoir tourné la partie à Arles on avait envie de retrouver les personnages et on s’est demandé, comme dans une grande saga, comment on pourrait prolonger leurs aventures en explorant leurs faces cachées. Pour chaque été, on partait d’un séquencier qu’on développait aux repérages puis avec les acteurs au tournage. Le scénario s’est construit en entrechoquant les trois étapes.

La mer est-elle le fil rouge qui relie ces trois parties ?
On ne l’a jamais formulé comme ça. Ça l’est devenu parce que la mer, c’est la promesse de l’aventure, mais aussi la solitude, les mystères, les arrivées, les départs… C’est devenu l’incarnation de tous les sujets qu’on abordait. 

Qu’est-ce qui a déterminé le choix de ces trois lieux : la ville d’Arles, la plage d’Étretat et Ibiza ?
Ce sont trois lieux emblématiques qui nous donnaient l’intuition qu’on pourrait y raconter nos histoires. Arles d’abord car on pouvait s’y loger gratuitement et qu’on connaissait quelques personnes mais aussi parce qu’on sentait qu’on pourrait y tourner un film chaud et vivant. La façade de carte postale nous plaisait aussi, l’architecture antique, la Camargue… Et comment on allait pouvoir gratter le vernis pour découvrir la vie des personnages. Étretat c’était le contraire : la cité balnéaire, ses falaises, la grisaille, le vent qui siffle. Une espèce de mysticisme. On voulait faire le verso du premier, un moment bizarre qui tourne mal. Et le troisième ça devait être le bouquet final, donc difficile de faire mieux qu’Ibiza. Une île sur laquelle se côtoient des mondes qui n’ont rien à voir : la richesse débordante, le tourisme de masse, les locaux, les hippies… C’était un imaginaire riche et c’était un défi d’aller y tourner en pirate. 

Vous avez réalisé Mourir à Ibiza à trois. Comment avez-vous travaillé ensemble ?
On fait tout ensemble de l’écriture à la postproduction. Et sur le tournage, on est techniciens et réalisateurs. Mattéo à l’image, Léo au son et Anton pour l’écriture des dialogues au pied levé et l’assistanat, le scripte… Il y a aussi Manon qui s’occupe de l’extérieur du plateau, entre la direction de production et la régie. Quand les comédiens ne jouent pas, ils nous aident aussi. Pour la mise en scène, on fonctionne comme une bête à trois têtes, en s’efforçant de ne jamais tomber dans un consensus mou. 

Comment avez-vous composé le casting avec des jeunes comédiens et des acteurs non professionnels ?
Le casting s’est fait sur un coup de tête. On a proposé aux gens qu’on avait envie de faire jouer et qu’on sentait motivés par l’aventure collective. C’était très important que se mélangent comédiens et amateurs, même parmi les personnages principaux, pour trouver la fragilité. Tous les personnages secondaires sont des gens qu’on rencontre et que ça amuse de jouer… Souvent les rôles se créent au dernier moment, en repérages ou au tournage.

Dans ce ménage à quatre, Léna est la plus volontaire quand les hommes sont plus velléitaires. Comment avez-vous défini leurs caractères ?
Plus ou moins consciemment on avait envie de parler d’une lâcheté qu’on ressentait en nous, une pression absurde qu’on s’infligeait et qui nous faisait agir bizarrement, ou violemment. Avoir une peur panique de l’amour dont on a pourtant désespérément envie. Léna est aux prises avec des personnages masculins coincés là-dedans. C’est aussi beaucoup les acteurs qui ont créé leur personnage, comme des clowns d’eux-mêmes, en proposant des situations, leur nom, leurs costumes…

Le film est tourné pendant l’été avec une lumière particulière. Quels étaient vos choix à l’image ? Les directions étaient-elles différentes selon les lieux ?
Les choix à l’image ont été dictés par la légèreté, la discrétion et par l’extrême petit budget. On a tourné en mini-DV, en HD et en 2K. On trouvait que la modernisation de l’image allait avec le temps qui passe. Pour chaque été, on avait un film de référence pour l’énergie des mouvements de caméra. À Arles, c’était Les Choses de la vie, d’où une partie sur pied avec des panoramiques et des plans-séquences avec des zooms dans les mouvements. Pour Étretat, c’est les premiers films de Jim Jarmusch. Pour Ibiza, on avait imaginé quelque chose de plus dynamique avec des mouvements pour presque tous les plans. Les Roseaux sauvages nous avait marqué pour ça. Le film a été tourné en lumière naturelle, sans pouvoir choisir les heures de tournage (car on a tourné dans l’ordre chronologique). Il fallait tourner avant que la lumière ne change et trouver vite le bon axe pour que la direction soit bonne sur les comédiens.

Le troisième été est marqué par des chansons et des séquences chantées. Aviez-vous un désir de comédie musicale ?
On voulait que les sentiments puissent enfin s’exprimer haut et fort, donc la chanson s’est imposée. Ça nous permettait de finir en fanfare et d’explorer un genre artificiel, de se poser d’autres questions de mise en scène. En fait, chaque été était une façon de mettre en forme les envies de cinéma dont on parlait pendant l’année. 

Comment avez-vous choisi les musiques pour chaque été ?
Pour Arles ça s’est beaucoup joué avec le son des endroits où on débarquait. Comme la feria ou la fête en Camargue. On a très peu influencé ces choix, souvent car c’était impossible mais aussi car ça nous amusait de sentir les personnages dans le jus d’un été dans le sud, avec ses classiques des 80’s. Vivaldi était là dès l’écriture pour son côté rohmérien. Étretat c’était le premier été Covid et on l’a vite senti. Pas de bal ou de fête, du coup les seules musiques qui restent sont off. Red Red Wine est celle qui fait la liaison avec Ibiza, la variation d’une chanson que chantera Magda ensuite. Pour Ibiza, on a eu envie de mélanger des compositions pour se frotter à l’écriture avec des réadaptations complètes de chansons. Même certains morceaux in qu’ils écoutent sont des reprises hyper différentes des originaux, comme Allumer le feu sauce reggae.

Propos recueillis par Olivier Pierre FID 33e festival international de Marseille


Visionnage toulousain en salle (42) à l'ABC




Mourir à Ibiza (un film en trois étés). Anton Balekdjian, Léo Couture, Mattéo Eustachon (2022)

«Il y a dans mon emportement  avec les femmes une certaine hauteur, qui tient à plusieurs regrets que j'ai, à ce que j'ai longtemps cru qu'une femme, au mieux pouvait me haïr, à ce sentiment horrible de l'échec qui me porte toujours aux confins d'une ombre mortelle.»

Le paysan de ParisLouis Aragon. Folio Gallimard (1972)

samedi 10 décembre 2022

Véritable périple flasque (pour un chien) : documentation 9

Montmartre 1910

Véritable périple flasque (pour un chien) : documentation 8 : Allons-y Chochotte !

Lorsque je vis Chochotte,
Elle me plut carrément ;
J'lui dis: "Êtes-vous mascotte ?"
"Mais monsieur certainement."
"Alors sans plus attendre
Je veux être votre époux."
Elle répond d'un air tendre :
"Je veux bien être à vous,
Mais pour cela, il vous faudra
Demander ma main à papa."
Allons-y Chochotte, Chochotte...
Allons-y Chochotte, Chochotte allons-y.

Le soir du mariage,
Une fois rentrés chez nous,
J'prends la fleur de son corsage
Je fourre mon nez partout.
"Alors" me dit ma femme,
"Avant tout écoute-moi
J'vais couronner ta flamme.
Puisque tu m'aimes, prends-moi.
Mais pour cela il te faudra
Ne pas m'chatouiller sous le bras."
Allons-y Chochotte, Chochotte,
Allons-y Chochotte

V'là qu'au moment d'bien faire,
On entend sur l'boul'vard
Un refrain populaire
Et comme un bruit d'pétards
C'est une sérénade
Que donn't en notre honneur
Un' band de camarades
Qui travaillent tous en choeur,
S'accompagnant des instruments
En carton, à cordes, à vent.
Allons-y Chochotte...

Le lendemain, Chochotte
Me dit : "Mon p'tit Albert,
J'veux un fils qui dégote
Mozart et Meyerbeer.
Pour en faire un prix de Rome
T'achèteras un phono
Que tu r'mont'ras mon petit homme
Au moment psycholo et l'on march'ra
De ce moment là, comme ton cylindre
L'indiquera."

Allons-y Chochotte, Chochotte..

Neuf mois après, Chochotte
Me rend papa d'un garçon.
"Ah !," s'écrie "Saperlotte !"
La sag'femme "Que vois-j'donc ?"
"Qu'avez-vous donc, Madame ?
Pourquoi crier si haut ?"
Lui demanda ma femme.
„N'a-t-il pas tout ce qu'il faut ?"
"Oui, mais voilà, on peut lir'là
Sur son p'tit nombril c'refrain-là :
Allons-y Chochotte, Chochotte.
Allons-y Chochotte, Chochotte allons-y !

vendredi 9 décembre 2022

Quelques photos de la Petite Boutique Fantasque lors du directLive du 5 octobre 2022 (merci à Michel Bonnet)

 


«Tu te crois mon garçon, tenu à tout décrire. illusoirement. Mais enfin à décrire. Tu es loin de compte. Tu n'as pas dénombré les cailloux, les chaises abandonnées. Les traces de foutre sur les brins d"herbes. Les brins d'herbes.»

Le paysan de ParisLouis Aragon. Folio Gallimard (1972)

dimanche 4 décembre 2022

Visionnage domestique toulousain (119)

Une femme mariée. Jean-Luc Godard (1964)

"L'intelligence, c'est comprendre avant d'affirmer."

Visionnage toulousain en salle (42) à l'américain cosmograph avec Caroline

 

Annie colère. Blandine Lenoir (2022)

Véritable périple flasque (pour un chien) : documentation 7

«Satie cultive l'ennui créatif et met une distance entre lui et toutes formes d'expression de la société.Il s'ennuiera partout, à l'école, au conservatoire, avec les femmes, à Arcueil, à la Schola Cantorum et dans les salons parisiens et rejettera en fait toutes les sortes d'éducation sociale et culturelle de la méritocratie républicaine.»

Erik Satie. Jean-Pierre Armengaud. Fayard (2009)

vendredi 2 décembre 2022

Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (54)

«C'est dans la souffrance seulement qu'elle est aimable, la Jeune-Fille. Il y a, à l'évidence une puissance subversive du trauma.»

Premiers matériaux pour la théorie de la jeune-FilleTiqqun. Mille et une nuit. (2001)

Sophie Marceau
 

mardi 29 novembre 2022

PBF 2022.31 : Le dimanche de la vie

Mercredi 30 novembre 2022 à 19H, nouvelle émission de la Petite Boutique Fantasque où continuerons notre exploration des richesses accumulées par le séjour parisien de Jean Patin. Cette émission est la suite lors du Directlive du 5 octobre 2022. La lecture de quelques propositions du blog Les espaces combattants (http://lesespacescombattants.blogspot.com/) avait séduit les lecteurs qui ont désiré poursuivre cette exploration. Suivant le même principe que le direct, la musique qui accompagne cette émission a été découverte (ou redécouverte) lors du séjour parisien.
Cette émission a été enregistrée et montée au studio de RadioRadioToulouse et diffusée en hertzien, Toulouse : 106.8 Mhz ou en streaming https://www.radioradiotoulouse.net/ et pour tout le reste du temps sur les podcasts de mixcloud

Programme musical
1) Azol Tanzmen (Sirba Orchestra)
2) Sonate K89 (Domenico Scarlatti). Pizzicar galante / Anna Schivazappa
3 Passer extrait de Danses de travers (Erik Satie) Sébastien Llinarès 
4) Crazy cat (Yaron Herman trio)
5) Tale 1 (Goran Bregovic)
6) Allons-y Chochotte (Erik Satie) Alexandre Tharaud et Jean Delescluse
7) Allegro vivace de la sonate n°1 pour piano et violoncelle (Ludwig Van Beethoven) Svjatoslav Richter / Mstislav Rostropovich
8) Sans paroles (Léos Janacek) Radoslav Kvapil
9) Allegro vivace de la sonate pour viole de gambe TWV 40:1 (Georg Philipp Telemann) Christian-Pierre La Marca
10) Cantabile (César Franck) André Isoir

+ un extrait des ouvrages suivants, par Perlette et Jean-Christophe :
- Le dimanche de la vie de Raymond Queneau
- L’occupation américaine de Pascal Quignard
- L’art de la prudence de Balthazar Gracian
- La femme d’un autre et le mari sous le lit de Fédor Dostoïevski
- Les reins et les cœurs de Paul-andré Lesort
- Les lieux-dits de Jean Ricardou
- L’homme foudroyé de Blaise Cendrars
- Lettre à André Billy de Paul Léautaud

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF : https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/le-dimanche-de-la-vie-la-petite-boutique-fantasque/

Sus aux Béotiens !

samedi 26 novembre 2022

Visionnage domestique toulousain (118) avec Caroline et Fille

Un monde sans femmes. Guillaume Brac (2012)

Véritable périple flasque (pour un chien) : documentation 6


 

«Ils confondaient naïvement le beau et le divin. Mais voici que les raisons profondes de ce sentiment plastique qui s'est élevé en Europe au début du XXe siècle commencent à apparaître, et à se démêler. L'homme a délégué son activité aux machines. Il s'est départi pour elles de la faculté de penser. Et elles pensent les machines. Dans l'évolution de cette pensée, elles dépassent l'usage prévu.»

Le paysan de ParisLouis Aragon. Folio Gallimard (1972)

vendredi 25 novembre 2022

Visionnage domestique toulousain (117) avec Fille

 

Le viager. Pierre Tchernia (1972)

«On vous donne un encrier de verre qui se ferme avec un bouchon de champagne, et vous voilà en train. Images, descendez comme des confetti. Images, images, partout des images. Au plafond. Dans la paille des fauteuils. Dans les pailles des boissons. Dans le tableau du standard téléphonique. Dans l'air brillant. Dans les lanternes de fer qui éclairent la pièce. Neigez images, c'est Noël. Neigez sur les tonneaux et sur les coeurs crédules. Neigez dans les cheveux et sur les mais des gens.»

Le paysan de ParisLouis Aragon. Folio Gallimard (1972)

jeudi 24 novembre 2022

«Mais ma prédilection va aux véritables habituées. on peut les voir souvent. On les retrouve. Il n'est pas besoin de les approcher. On se fait une idée de chacune avec le temps. D'une année à l'autre, à peine si elles changent. On suit en elles la marche des saisons, la mode. Elles varient insensiblement avec le ciel, comme ces marionnettes des baromètres de la Forêt-Noire qui mettent une robe mauve les jours de pluie. L'air qu'elles fredonnent change aussi : on le connaît toujours, on le reconnaît même. Quelques-unes se dispersent, les autres vieillissent. Chaque printemps renouvelle un peu leur contingent.»

Le paysan de ParisLouis Aragon. Folio Gallimard (1972)

samedi 19 novembre 2022

«Au lieu de vous occuper de la conduite des hommes, regardez plutôt passer les femmes. Ce sont de grands morceaux de lueurs, des éclats qui ne sont point encore dépouillés de leurs fourrures, des mystères brillants et mobiles. Non je ne voudrais pas mourir sans avoir approché chacune, l'avoir au moins touchée de la main, l'avoir senti fléchir, qu'elle renonce sous cette pression à la résistance et puis va-t-en ! Il arrive qu'on rentre chez soi tard dans la nuit, ayant croisé je ne sais combien de ces miroitements désirables, sans avoir tenté de s'emparer d'une seule de ces vies imprudemment laissées à ma portée. Alors me déshabillant je me demande avec mépris ce que je fais au monde. Est-ce une manière de vivre, et ne faut-il pas que je ressorte pour chercher ma proie, pour être la proie de quelqu'un tout au fond de l'ombre ? Les sens ont enfin établi leur hégémonie sur la terre. Que viendrait désormais faire ici la raison ? Raison, raison, ô fantôme abstrait de la veille, déjà je t'avais chassée de mes rêves, me voici au point où ils vont se confondre avec les réalités d'apparence : il n'y a plus de place ici que pour moi. En vain la raison me dénonce la dictature de la sensualité. En vain elle me met en garde contre l'erreur, que voici reine. Entre, Madame, ceci est mon corps, ceci est votre trône. Je flatte mon délire comme un joli cheval. Fausse dualité de l'homme, laisse-moi un peu rêver à ton mensonge.»

Le paysan de Paris. Louis Aragon. Folio Gallimard (1972)

mercredi 16 novembre 2022

PBF 2022.30 : Je doute que ce soit un endroit pour toi

Mercredi 16 novembre 2022 à 19H, nouvelle émission de la Petite Boutique Fantasque. L’histoire qui va nous être contée aujourd’hui, met en scène une petite fille que son père va laisser, on pourrait dire abandonner, chez sa tante. Tout est décrit à hauteur d'yeux d’enfant. Nous sommes en Irlande au début des années 1980. Il y a beaucoup de différences entre la vie bousculée que mène la petite fille dans sa famille encombrée d’enfant et d’un père joueur et qui perd une génisse, et la sérénité, en tous cas le calme, de la famille de la sœur de sa mère. Le livre a pour titre les Trois lumières de Claire Keenan.
Cette émission a été enregistrée et montée au studio de RadioRadioToulouse et diffusée en hertzien, Toulouse : 106.8 Mhz ou en streaming https://www.radioradiotoulouse.net/ et pour tout le reste du temps sur les podcasts de mixcloud.

Programmation musicale :
1) As I roved out (Fiddle case)
2) Come see the hills (Tina Amalier)
3) Boys of twenty five / The old bush / Mickey doherty’s reel (Danny Diamond et Brian Miller) 

+ Lecture des trois premiers chapitres de Trois lumières de Claire Keenan par Perlette

 Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF : https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/je-doute-que-ce-soit-un-endroit-pour-toi-la-petite-boutique-fantasque/


Sus aux Béotiens !

Photoradiographie de feuillage automnal

dimanche 13 novembre 2022

Genèse d'un roman sur la sublimation (7)


 

Seuil de la vieillesse

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«Je n'ai rien demandé d'autre à la vie que de ne rien me demander à moi. A la porte de la cabane que je n'avais pas, je me suis assis au soleil qu'il n'y a jamais eu, et j'ai joui de la vieillesse future de ma réalité déjà lasse (tout en goûtant le plaisir de ne pas la connaître encore). Ne pas être encore mort, voilà qui suffit aux pauvres de l'existence, et puis avoir encore l'espoir de (...).»

Le livre de l'intranquillité (tome 2)Fernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (1992)

PBF 2022.29 : La vérité sort-elle de la bouche des enfants ?


Mercredi 9 novembre 2022 à 19H, nouvelle émission de la Petite Boutique Fantasque. On ne réalise toujours pas instantanément la portée d'une disparition. Ainsi en est-il de Jean-Luc Godard. En attendant de reprendre ses esprits ou de faire son deuil je vous propose la diffusion d'un extrait de France tour et détour, deux enfants. On y découvre Godard dans une espèce de maïeutique que l'on retrouve dans Grandeur et décadence d'un petit commerce de cinéma.

Cette émission a été enregistrée et montée au studio de RadioRadioToulouse et diffusée en hertzien, Toulouse : 106.8 Mhz ou en streaming https://www.radioradiotoulouse.net/ et pour tout le reste du temps sur les podcasts de mixcloud.

Programmation musicale :
1) Her's a rainy day (Joe Pass)
2) Silenzio (Lionel Suarez / Airelle Besson) 
3) All things beautiful (Nick Cave / Warren Ellis)
4) Le migrateur (Jean-marc Le Bihan) 
5) 3e mouvement du 3e concerto pour piano (Béla Bartok) Claude Hellfer / Orchestre national de l'opéra de Monte-Carlo / Bruno Maderna
6) Composition (Richard Galliano / Rony Barrak)

+ extrait de la 1ère émission France tour et détour, deux enfants (Jean-Luc Godard)


Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF : https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/la-vérité-sort-elle-de-la-bouche-des-enfants-la-petite-boutique-fantasque/


Sus aux Béotiens ! 

Photographie de Godard à la caméra en mai 1968


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«La petite fille sait bien que sa poupée n'est pas réelle -or elle la traite comme un être réel, au point de pleurer sur elle et d'avoir du chagrin, quand elle se casse. L'art de l'enfant consiste à tout déréaliser. Bénie soit cette période chimérique de la vie, quand on nie l'amour parce que le sexe en est absent, qu'on nie la réalité simplement par jeu, et qu'on croit réelles des choses qui ne le sont pas.»

Le livre de l'intranquillité (tome 2)Fernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (1992)

vendredi 11 novembre 2022

«Tyrannique, en conflit avec lui-même et avec sa vision du cinéma, arrêté dans ses idées, Jean-Luc Godard est pourtant un réalisateur avec lequel il est difficile de travailler et encore plus de vivre. Ses collaborations restent emblématiques de cette dualité. Malgré le caractère impossible du cinéaste et la détresse dans laquelle sa relation le plonge, Anna Karina, sa partenaire privilégiée sur le plateau comme dans la vie, tournera avec Godard huit films. Après elle, c'est avec Anne Wiazemsky qu'il se marie et gagne une nouvelle collaboration créative dans La Chinoise (1967). L'union ne dure pas, conclue par une tentative de suicide. La dernière partie de sa vie professionnelle et privée, il la partagera avec Anne-Marie Miéville, cinéaste qui réalisera notamment le moyen-métrage Le livre de Marie en 1984, prologue à Je vous salue Marie. Il reste aujourd'hui de ces relations, des films emblématiques, des rôles passionnants et une certaine mise en garde : les icônes ont toujours leur part d'ombre.»

Léa Colombo Les Échos (2022)

Jean-Luc Godard, une lumière quand même dans le noir du temps

Portée par la joie de l'invention même aux tréfonds de la mélancolie, l'œuvre multiforme du cinéaste traverse soixante-dix ans de notre histoire, en avant ou à côté, toujours en mouvement.
Il y a mille façons d'essayer d'évoquer ce qu'a fait Jean-Luc Godard au cours de sa vie, qu'il a choisi d'interrompre, à 91 ans le 13 septembre 2022, et les effets de ce qu'il a fait. L'une d'elles serait de partir d'une date qui n'est ni le début, ni le milieu, ni le seul tournant de sa longue et prolifique activité de cinéaste, mais peut-être le moment qui éclaire le mieux l'ensemble. Cette date, ce serait le début de 1968.
Jean-Luc Godard n'est alors rien de moins que l'artiste vivant le plus célèbre du monde –disons un des trois, avec Pablo Picasso et Bob Dylan. Au cours de l'année qui vient de se terminer sont sortis dans les salles de France et du monde quatre nouveaux longs-métrages, ce qui est proprement hallucinant: Made in USA, Deux ou trois choses que je sais d'elle, La Chinoise, Week-end, auxquels il faut ajouter un court-métrage important, Camera Eye, sa contribution à Loin du Vietnam, le film collectif coordonné par Chris Marker.

Ne plus être l'artiste le plus célèbre du monde
Sans approcher la renommée de ses films alors (et encore aujourd'hui) les plus célébrés, À bout de souffle, Le Mépris, Pierrot le fou, ces cinq titres suffiraient à prendre la mesure des puissances inédites du cinéma qu'il a alors déployées.
On y trouve en effet, selon des modalités à chaque fois différentes, toutes ensemble une inventivité du langage cinématographique et une mobilisation des moyens du cinéma pour décrire et comprendre les évolutions de la société dans tous les domaines, de la géopolitique à la vie du couple.
En 1968, dans une atmosphère politique et un sentiment de l'état du monde qui sont devenus aujourd'hui quasiment incompréhensibles, Godard casse tout cela. Il le fait au nom d'un espoir et d'un projet qui s'appelle alors –pas sûr que le mot non plus reste compréhensible, du moins au(x) sens qu'il avait– la révolution.
La révolution, cela signifie pour Jean-Luc Godard tout changer. Ne pas cesser de faire des films, mais ne rien garder de l'ensemble des manières de penser et d'agir, de montrer et de raconter, d'utiliser les corps, les machines, les images, les sons, les imaginaires, l'argent, la célébrité, etc. hérités d'un monde qu'il s'agit de renverser.
On peut assurément trouver cela utopique. On peut éventuellement trouver cela ridicule. On ne peut pas nier la cohérence, le courage et l'honnêteté de la démarche, y compris dans des formes ayant pu s'exprimer brutalement, notamment au moment de sa rupture ouverte avec son vieil ami des Cahiers du cinéma François Truffaut.
Ce basculement va non seulement déterminer l'ensemble de l'activité des douze années qui suivent, mais continuer de définir l'esprit des suivantes jusqu'à sa mort, soit la plus grande part d'une trajectoire de quelque soixante dix ans d'activité cinématographique.
Virtuose des formules qui frappent, Godard avait dit qu'être critique aux Cahiers du cinéma dans les années 50, c'était faire du cinéma avec un stylo faute de pouvoir le faire avec une caméra, n'ayant pas accès aux studios de tournage.
Âgé d'à peine plus de 20 ans, il avait rejoint en janvier 1952, soit moins d'un an après sa création, la revue dirigée par André Bazin. En compagnie de Truffaut, d'Éric Rohmer, de Jacques Rivette et de Claude Chabrol, il fait partie desdits «Jeunes Turcs» qui bouleversent alors les valeurs établies du cinéma. Son style inventif et érudit, volontiers farceur et souvent lyrique, l'impose comme une des principales signatures.

Le succès est loin d'être toujours au rendez-vous, mais l'indifférence n'y est jamais.
La continuité entre les aspirations à d'autres manières de filmer que celles qui dominent alors le cinéma français «de qualité» et ce qu'il fera comme réalisateur est évidente. Les porte-drapeaux de la Nouvelle Vague issus des Cahiers ont tous effectivement fait des films avec leurs stylos avant de pouvoir les faire avec des caméras, même si ce sera chacun d'une façon différente. Mais Godard est celui qui tout aussi bien continuera à faire de la critique en étant devenu cinéaste.Selon des modalités très variées, toute son œuvre comporte cette réflexivité, des interrogations sur les moyens utilisés, la manière dont la nouvelle proposition s'inscrit dans une histoire, etc.


Deux fois un premier film
Après une poignée d'essais en format court qui témoignent d'une liberté dans la recherche et feront ensuite, rétrospectivement, office de signes annonciateurs, À bout de souffle en 1960 est perçu comme un événement majeur.
La Nouvelle Vague existe alors de manière publique depuis un an, depuis la présentation à Cannes en 1959 des 400 Coups de Truffaut et de Hiroshima mon amour d'Alain Resnais. En fait, elle a commencé avec La Pointe courte d'Agnès Varda en 1955, et Le Beau Serge de Chabrol avait tiré avant ses copains.
Qu'importe, c'est bien avec les tribulations comico-policières vers un fatal destin du débutant et rayonnant Belmondo qu'est identifiée toute la nouveauté transgressive et créative du mouvement qui balaie alors le cinéma français, et va devenir une référence dans le monde entier.
À bout de souffle est un film pétaradant d'inventions, de déclarations d'amour au cinéma (américain surtout), et comme tout grand film est aussi un vibrant documentaire sur son époque et sur le Paris d'alors. C'est tout de même encore un film adolescent.
À certains égards, le vrai premier film de Godard est le suivant, qui commence par cette phrase riche de sens: «Pour moi, le temps de l'action a passé. J'ai vieilli. Le temps de la réflexion commence.» Ce n'est pas qu'il n'y aura pas d'action dans les films de Godard, c'est qu'une certaine innocence, ou prétention à l'innocence dans la possibilité de montrer à l'écran des actes, doit être dépassée.

Le contraire d'un dogme
Cette phrase est au début du Petit Soldat, film incandescent habité par la guerre d'Algérie et la torture, cherchant déjà à inventer ce que le cinéma peut en faire d'autre que les discours militants, moralisateurs ou journalistiques. Le film est immédiatement interdit –le député Jean-Marie Le Pen demandera même alors l'expulsion du Franco-Suisse.
Le public ne pourra donc pas le voir. D'ailleurs, lorsque le film redeviendra visible, la guerre finie, les foules ne se précipiteront pas pour découvrir cette proposition trop complexe, trop ouverte, trop ennemie des simplismes... et donc, pour cela même, cette grande œuvre antifasciste, quoi que certains en aient dit alors.
Le déraillement radical que tente Godard à partir de 1968 n'est pas la trahison qu'une grande partie de ses admirateurs lui reprochera.
Le Petit Soldat marque aussi deux autres dimensions importantes. D'abord il y a ce plan magique, cette pure déclaration d'amour par le cinéma, et donc aussi au cinéma, lorsque Michel Subor voit pour la première fois Anna Karina dans la rue et que la caméra tourne autour d'elle.
Ensuite, on entend dans le film une de ces formules qui seront citées ad nauseam durant les décennies qui suivent: «La photographie c'est la vérité, et le cinéma c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde.»
Godard n'a jamais cru que la photo ni le cinéma étaient la vérité. L'expression, comme tant d'autres par la suite, et d'une certaine manière comme ses films également, ne se veut ni descriptive ni affirmative, mais suggestive, interrogative, stimulante pour un déplacement, un débat, une remise en jeu. Le contraire d'un dogme, surtout lorsque la forme de l'énonciation paraît dogmatique.
Quatorze longs-métrages scandent la première période de Godard réalisateur, de 1960 à 1967 –c'est énorme. Le succès est loin d'être toujours au rendez-vous, mais l'indifférence n'y est jamais.
Rieur, explosif, tragique, coloriste, musicien, amoureux, sentimental, érudit, Godard met en scène et en question la guerre du Vietnam et l'essor des banlieues, le statut des femmes et la beauté du cinéma muet, la culture polarisée par le marché de la jeunesse et modélisée par les États-Unis, le goût des hommes pour la guerre, la montée et les errements de l'extrême gauche et les formes fossilisées de l'art officiel, l'héritage colonial et l'omniprésence de la voiture, le statut de l'artiste engagé, la société des loisirs et les codes dominants du récit policier, de science-fiction, de la comédie et du mélodrame. Qui d'autre a fait ça? Qui d'autre a fait la moitié ou le quart de ça? Personne.

Sortir vraiment de la route
«Oh le petit con, le petit con», dira/chantera Marianne Karina quand Ferdinand Belmondo fonce dans la mer avec la décapotable volée après avoir échappée aux sbires de l'OAS.
Le petit con Godard sort de la route, fonce dans le bleu. Arthur Rimbaud veille de son mieux, et Raymond Devos. Dans le train de La Chinoise, le professeur courageux essaie de faire la leçon à l'impétueuse révolutionnaire, mais où va le train?
Le déraillement radical que tente Jean-Luc Godard à partir de 1968 est un pari perdu, mais ce n'est pas la trahison qu'une grande partie de ses admirateurs des années 60 lui reprochera.
En huit ans, en larmes devant le martyr de Falconetti et en rythme avec le madison de Billy the Kid, on pourrait aussi bien dire qu'il a fait ce qu'il avait à faire. Ce qu'il y avait de faisable, dans cet élan-là.
Zéro regret quand, en novembre 1968, vient l'heure de gifler en public le producteur de One+One qui a ajouté l'interprétation stabilisée de Sympathy for the Devil à un film conçu, entre slogans Black Panther et drapeaux rouge et noir sur la plage, pour ne surtout pas s'achever sur l'accomplissement du spectacle.
À Cannes en 1968, Godard participant à l'interruption du Festival avait contredit tout ce sur quoi il a élaboré la phase précédente de son travail, en insultant qui lui parle de travellings, lui qui avait écrit la –toujours valable– parole d'évangile: «Le travelling est affaire de morale.» L'heure est aux luttes, le monde doit changer de base. Mais c'est pas gagné.
Ce qu'a réalisé Jean-Luc Godard de son premier court-métrage, Opération béton en 1954 à son dernier film, Le Livre d'image, a engendré, et de très loin, la plus grande masse de textes de tous ordres jamais consacrée à un cinéaste, en français et dans à peu près toutes les langues du monde[1]. La partie restée la plus confidentielle de son œuvre, entre 1968 et 1980, a alimenté une part beaucoup plus considérable de réflexions et de débats.
Les relations entre cinéma et politique et les usages des techniques y occupent une place majeure, tellement riche et complexe que ce qui s'est activé dans les relations du cinéaste avec les pratiques militantes aux côtés de syndicalistes ou des militants palestiniens, avec l'utilisation de la vidéo, avec les rapports à la télévision (pour laquelle il a notamment tourné deux amples séries, Six fois deux et France tours détours deux enfants), la collaboration au long cours avec la cinéaste Anne-Marie Miéville, la recherche en dialogue avec l'ingénieur et fabricant Jean-Pierre Beauviala, la prise en compte des dimensions de l'intime et des relations familiales comme de l'émergence de nouveaux régimes d'image saturent cette période d'enjeux passionnants.
Les années 70, un temps avec comme compagnon de route Jean-Pierre Gorin, ne sont pas une traversée du désert, mais une exploration ardue, opiniâtre, dont les découvertes seront le b.a.-ba des pensées du langage et du spectacle vingt ans plus tard. Mais il n'y a pas grand monde alors pour y prêter attention.

La vie et le deuil
Cette recherche se fait dans une solitude toujours plus grande, au nom d'une espérance de bouleversement profond de l'organisation sociale dont les possibilités à court terme ne cessent de s'éloigner. La conclusion logique est énoncée par le titre du premier film de la décennie 1980, Sauve qui peut (la vie).
Celui-ci instaure le paradoxe sous le signe duquel va se placer toute la suite: cette œuvre magnifique avec Isabelle Huppert, Nathalie Baye et Jacques Dutronc, qui renoue avec les dispositifs du cinéma classique, est une œuvre de deuil, contrairement à ce qu'énonce son titre.
Ce deuil, cette mélancolie au sens propre, qui est le contraire de la nostalgie, la prise en considération active de la présence de la mort dans la vie, Jean-Luc Godard ne cessera plus de le porter. De le porter en avant, toujours vers de nouvelles questions, de nouvelles manières de percevoir et de comprendre.
Bien sûr toute catégorisation est réductrice, mais il est possible tout de même de repérer deux grands ensembles et un codicille dans l'immense masse des propositions que, seul ou avec Anne-Marie Miéville, il a élaboré au cours des quarante ans également répartis des deux côtés de l'an 2000, années qui sont aussi celles de son établissement à Rolle, bourgade au bord du lac Léman où il construit un véritable laboratoire de recherche.
Passion, Prénom Carmen, Nouvelle Vague, Allemagne 90 neuf zéro, Hélas pour moi, JLG/JLG, Notre Musique, Film socialisme… Dix-huit longs-métrages explorent selon des cheminements chaque fois différents l'histoire et l'actualité, sa propre mémoire, et la manière dont les moyens du cinéma, le cadrage, le montage, l'usage du son, les échos avec la littérature et la peinture permettent de les réinterroger, de les éclairer différemment.
La Résistance, la guerre en Bosnie, sa propre enfance, les grands mythes de l'humanité, la chute du mur de Berlin, les vertiges du numérique, mobilisent cette longue quête souvent émue, hantée d'un sentiment de perte, et pourtant d'un humour inextinguible.
L'idée fixe de la mort du cinéma, condensée dans le poème La Paroisse morte qu'il donne à Serge Daney pour le premier numéro de sa revue Trafic, est contredite séquence après séquence par chacun de ses films. Lorsqu'il les filme, la puissance intacte du cinéma émane d'un plan d'une jeune femme à vélo, de nuages, d'un arbre, de la surface de la mer, pour ne citer ici que des motifs d'une totale banalité, mille fois montrés, et soudain uniques et riches d'émotions et de sens.
Serge Daney apparaît pour un dialogue à propos de l'histoire et de l'état du cinéma dans l'œuvre majeure autour de laquelle se construit l'autre grand ensemble, qui compte une dizaine de titres, cette immense proposition de pensée qu'est Histoire(s) du cinéma.
L'esprit funèbre et l'hypothèse que le cinéma a été là pour comprendre le siècle, accomplissant seulement en partie sa tâche pour des raisons qu'il faut essayer d'expliciter, se développe cette fois uniquement à partir d'éléments déjà existants, extraits de films, citations de textes, photos, tableaux, fragments musicaux…
Au cours des années 1980-2014, Godard s'est ainsi fait à la fois architecte et archéologue, les projections de ses constructions et les agencements de ses fouilles menant inlassablement vers le même horizon, tendu entre irrémédiable perte d'un espoir évanoui et fertilité formelle intacte, stupéfiante.
Durant cette période, il expérimente pour ainsi dire dans sa chair cette contradiction désespérante, en devenant une star au sein de ce système qu'il a essayé de détruire, tandis que ses réalisations sont de moins en moins regardées et entendues.
Son nom reste une référence célébrée, il est invité par la terre entière, refuse les Oscars mais s'adresse via internet au public d'un festival au Kerala, cherche à déjouer la machinerie de l'ordre spectaculaire en sachant qu'il sera vaincu.
Il faut avoir vu la folie des festivaliers en smoking se battant littéralement, nœuds papillon arrachés et talons aiguilles rompus, pour assister à la projection d'Adieu au langage en 2014 au Festival de Cannes, pour ensuite fuir par rangs entiers au cours de la séance, pour mesurer la profondeur de ce gouffre autour de l'auteur de Dans le noir du temps. Grotesque, sans doute, mais aussi sinistre.
Adieu au langage inaugurait un ultime moment en ce qu'il se recentrait sur un motif, que désigne le titre, motif déjà maintes fois évoquées auparavant. Rien d'inattendu dans ce retour: une des constantes dans les manières de faire de Jean-Luc Godard, par-delà les époques et les dominantes, aura été le ressassement, la rumination –d'une idée, d'une image, d'une formule.

Échapper aux mots
Qui en accompagne les mouvements devient bientôt sensible à ce qui bouge dans l'apparente répétition, à ce qui est validé, abandonné, reformulé. De la pensée avec des moyens venus de la musique.
Donc, les mots. Il y a, sans doute, un malentendu (c'est bien le cas de le dire) dans le titre de l'avant-dernier film, que déploie et affermit le dernier, Le Livre d'image.
«Adieu au langage» ne veut rien dire, et la dernière interview, bouleversante, accordée par Godard –à deux journalistes de Mediapart, Ludovic Lamant et Jade Lindgaard et publiée pour son 91e anniversaire le 3 décembre dernier– où il parlait pour refuser de parler et faisait l'éloge de ce qui s'exprime dans le regard de son chien, ne faisait que le confirmer.
Mais voilà, «adieu à la langue» ou «adieu aux mots», ça ne va pas –les mots sont comme ça. Alors que c'était de cela qu'il s'agissait, qu'il s'agit. Les langages, eux, sont innombrables et omniprésents.
Pour tous et pour tout, mais plus encore pour celui qui, d'avoir été si habile à les employer, en a mesuré mieux que quiconque les effets retors, les pièges infinis. Avoir eu à maintes reprises l'occasion de parler avec Godard permet de percevoir combien sa sensibilité même aux mots l'embarrassait, ailes de géants entravant son élocution dès lors que la multiplicité des sens, des allusions, des échos résonnait sans cesse en lui.
Aussi étrange que cela puisse paraître, Jean-Luc Godard parlait trop bien, sentait trop bien tout ce qu'active d'incontrôlé la moindre formule. Il en aura longtemps joué mais cela aura fini par lui peser, et lui paraître un piège mortel.
Mieux encore que le trop explicitement provocateur Adieu au langage, aussi habité de la recherche incroyablement novatrice sur les ressources toujours inexplorées de la 3D (mais qui fait ça à part lui?), Le Livre d'image déploie avec une calme beauté les possibilités de construire d'autres rapports au monde.
Il s'achève, tout à la fin de ce qui restera comme son dernier film –ce qui n'était pas prévu alors, il avait d'autres projets– par cette phrase qui jette rétroactivement une lumière douce sur tout ce qu'ont eu de sombre les quarante dernières années de quelqu'un qui avait cru si fort, peut-être trop fort, au cinéma et au bonheur: «Et même si rien ne devait être comme nous l'avions espéré, cela ne changerait rien à nos espérances.»


1 — Au sein de cette gigantesque bibliographie, on recommandera tout d'abord trois ouvrages sous la direction d'Alain Bergala, le recueil de textes et d'interviews Godard par Godard, Nul mieux que Godard et Godard au travail, tous les trois aux éditions Cahiers du cinéma, ainsi que le considérable recueil de textes et d'archives Jean-Luc Godard Documents sous la direction de Nicole Brenez et Michael Witt (Centre Pompidou). Il existe trois biographies du cinéaste, en français par Antoine de Baecque, et par Richard Brody, en anglais par Colin McCabe, selon trois approches différentes que Godard détestait toutes. Les éditions POL ont publié de nombreux textes issus de films de Godard.

Jean-Michel Frodon Slate (14 septembre 2022)

Jean-Luc Godard, le Platon du cinéma

«Il aimait Manet et Griffith, Beethoven et le burlesque, le fragment et le collage. Mais aussi Raymond Chandler, Thomas Mann, « l’Equipe », le tennis, le mot « dégueulasse », les citations, le rouge, le bleu, le madison, la nuque des femmes, les travailleuses du sexe, la fausse quiétude du lac Léman où Delon se noyait avant de ressusciter dans l’élégiaque Nouvelle Vague. Et surtout… en découdre.
Créateur prolifique, hostile aux forteresses de l’académisme, en perpétuelle rupture de ban, le mage de Rolle (en Suisse) n’aura jamais suivi qu’une route : la sienne. "L’art est comme un incendie, il naît de ce qu’il brûle", professait-il dans JLG/JLG autoportrait de décembre (1994). Soufflés par son inépuisable capacité à casser les codes, ses dévots chantaient la puissance de sa vision. Las de pénétrer son œuvre au mieux par effraction, ses contempteurs le vouaient aux plumes et au goudron.»

 Sophie Grassin

«Accessibles ou non, ses films des derniers temps étaient sans compromis. Dans sa tentative permanente de réinventer le langage du cinéma, JLG se sera toujours mis en danger. Courageux jusqu’à l’hermétisme, taxant de vendus ceux qui osaient espérer le succès commercial. Reste que lui-même ne faisait plus recette.
Vieux lion amer ou visionnaire incompris, le voici retrouvant son titre de pape du cinéma après avoir tiré sa révérence.»

Odile Tremblay Le devoir (14 septembre 2022) 

«Mais l'adolescence est antérieure à la solidification complète et de là vient qu'on éprouve auprès des jeunes filles ce rafraîchissement que donne le spectacle des formes en train de changer, de jouer en une instable opposition qui fait penser à cette perpétuelle recréation des éléments primordiaux de la nature qu'on contemple devant le mer.»

À l'ombre des jeunes filles en fleursMarcel Proust. GF Flammarion (1987)

dimanche 6 novembre 2022

«Pour la plupart, les visages mêmes de ces jeunes filles étaient confondus dans cette rougeur confuse de l'aurore d'où les véritables traits n'avaient pas encore jailli. On ne voyait qu'une couleur charmante sous laquelle ce que devrait être dans quelques années le profil n'était pas discernable. Celui d'aujourd'hui n'avait rien de définitif et pouvait n'être qu'une ressemblance momentanées avec quelque membre défunt de la famille auquel la nature avait fait cette politesse commémorative. Il vient si vite le moment où l'on a plus rien à attendre, où le corps est figé dans une immobilité qui ne promet plus de surprises, où l'on perd toute espérance en voyant, comme aux arbres en plein été des feuilles déjà mortes, autour de visages encore jeunes des cheveux qui tombent ou qui blanchissent, il est si court ce matin radieux qu'on en vient à n'aimer que les très jeunes filles, celles chez qui la chair comme une pâte précieuse travaille encore. Elles ne sont qu'un flot de matière ductile pétrie à tout moment par l'impression passagère qui les domine.»

À l'ombre des jeunes filles en fleursMarcel Proust. GF Flammarion (1987)