vendredi 30 décembre 2016

L'orgelet du Diable serait une meilleure traduction française (Don Juan chez les protestants)


L'oeil du Diable. Ingmar Bergman (1960)

Dans l'esprit de Noël !

En présence d'un clown. Ingmar Bergman (2010)
«Mais on n'avait pas encore vu les hypocrisies morales, les mesquineries de la vie bourgeoise, peintes avec cette crudité, étalées avec une sincérité âpre. C'était la vie ordinaire, la vie correcte, la vie réputée honorable et comme il faut, c'étaient les bonnes moeurs enfin qui sortaient du livre réprouvées et condamnées. Le livre paraissait donc, et devait paraître "contraire aux bonnes moeurs". Car, qu'est-ce que les bonnes moeurs ? Ce sont les moeurs courantes, les communs usages, tout ce que l'on voit tous les jours, qui, par conséquent, n'étonne, ni ne détonne.»

Art et pornographieGeorge Fonsegrive. Librairie Bloud & compagnie (1911)
«J'observe la nièce, qui est très belle, et je me dis : le pain, à travers elle, se fait grâce mélancolique. Il se fait pudeur. Il se fait douceur du silence. Or le même pain, par la vertu d'une simple tache grise à la lisière d'un océan de blé, s'il nourrit demain la même lampe, ne formera peut être plus la même flamme. L'essentiel du pouvoir du pain aura changé.»

Pilote de guerreAntoine de Saint-Exupéry. Éditions Gallimard (1959)

lundi 26 décembre 2016

«Dans un pareil état de choses, où la vertu est infirme et où la morale consiste essentiellement à limiter l'immoralité, on conçoit que celle-ci apparaisse non seulement plus originelle et plus vigoureuse, mais encore plus morale que celle-là, dans la mesure où il est permis d'employer ce mot non pas dans le sens du droit et de loi, mais comme la mesure de la passion que peuvent encore enflammer les questions de conscience.»

L'Homme sans qualitésRobert Musil. Éditions du Seuil (1956)

jeudi 22 décembre 2016

«Les musiciens qui pratiquent la musique usuelle peuvent dormir tranquilles, car le galinisme est sapé dans sa base, frappé à mort. En effet, il y a en Belgique, en Italie et en Autriche, des sectes rivales qui ont modifié, dans ses parties essentielles, la notation chiffrée inventée par J.-J. Rousseau, et ces modifications ont rompu pour jamais l'unité d'enseignement qui aurait pu exister dans ces écoles.
A quand le congrès des nouvelles couches musicales ? Quelle tour de Babel !»

Ecole Galin-Paris-Chevé ou les plaisantins de la musique. Auguste Laget. Imprimerie A. Chauvin et fils (1882)

samedi 17 décembre 2016

«A présent seulement je prends tout à fait conscience de la manière combien pauvre et coupée de faveurs extérieures ma vie s'est déroulée depuis bien des années - maintenant que le silencieux espoir m'a quitté, que ces allègements et ces faveurs me viendraient nécessairement. Je ne cesse d'enrager aussitôt que j'y songe de ce que je n'aie personne avec qui je puisse réfléchir à l'avenir de l'homme - en fait je suis intérieurement tout à fait malade et blessé de la longue privation d'une compagnie qui soit faite pour moi. Rien ne me vient en aide, personne n'invente quelque chose qui pourrait me rasséréner et m'élever, rien ne se présente entre-temps qui me libère de toutes les impressions outrageantes dont les dernières années m'ont accablé. Mes yeux sont beaucoup plus affaiblis que jamais, si souvent la solitude me pèse.»

Lettre à Overbeck du 11 novembre 1883Friedrich Nietzsche

jeudi 15 décembre 2016

«Sur le tas des dalles d’ardoise descellées, grisâtres, qui étaient exposées au soleil couchant, un geai se tenait sur le dos, ailes grandes ouvertes, bec ouvert.

Le cheval s’ébroua. Mais l’homme caressa la longue et lourde chevelure qui recouvrait son échine.

Hagus, qui était le passeur de la rivière, attacha sa barque au tronc du grand aulne. Il vint se poster auprès du cavalier intrigué et du cheval immobile. Tenant sa gaffe posée sur son épaule, il mêla son regard à leurs regards.

Car quelque chose était étrange dans ce geai mort.

Alors Hagus prit son courage à deux mains et s’approcha de l’oiseau aux ailes bleues.

Mais il s’immobilisa presque aussitôt car le geai soulevait régulièrement ses plumes noires et bleu azur. Il se tournait un peu en respirant. Il s’y prenait de la façon suivante : un coup vers la rive et la barque et le feuillage de l’aulne et la rivière ; un coup vers les chardons et le cavalier tétanisé par sa vision et le cheval immobile et anxieux.

En vérité le geai offrait ses plumes colorées à la chaleur du dernier soleil.

Il les séchait.

Puis, en moins d’une seconde, il pirouetta, il se remit sur ses pattes et d’un bond il s’envola et se retrouva perché au bout de la gaffe du passeur de rive.

Alors Hagus sentit, sur son épaule, qu’il lui fallait quitter ce monde.

Il tourna la tête vers l’oiseau qui le regardait et qui poussait son cri affreux puis il se tourna vers le cavalier mais il n’y avait plus rien à côté de lui. Le chevalier et le cheval s’en étaient allés sans qu’il les ait vus disparaître.»

Les Larmes. Pascal Quignard. Bernard Grasset (2016)

mercredi 14 décembre 2016

«Le peintre Lebrun venait de mourir (1690), et avec lui disparaissait le genre académique, emprunté à l'Italie. Les draperies, les riches manteaux tombaient pour laisser place aux bergers, aux dominos, à la poudre et aux mouches. L'art splendide du Poussin s'effaçait devant Mignard, comme Vanloo devait s'effacer devant Boucher. Les boudoirs alors remplacent les ruelles des précieuses, l'ombres, le grand jour. Aux costumes sévères succèdent des étoffes légères, semées de paillettes, parsemées de fleurs. Les paniers égalent, en diamètre, la hauteur des dames ; les hommes mettent du fard ! - Le vêtement a toujours été un signe infaillible de décadence, or la décadence venait ; la noblesse blasée riait de tout et pour tout ; elle se faisait un jeu des cérémonies funèbres, allait voir supplicier les misérables en place de Grève, et louait d'avance les fenêtres, quand elle n'y allait pas en carrosse.»

De La Tour, peintre du roi Louis XV. Charles Desmaze. Doloy (1853)

jeudi 8 décembre 2016

«A ce moment, la crue prenait des proportions des plus redoutables ; le premier bâtardeau construit avenue de Muret, à la Croix-de-Pierre, était surmonté, et les eaux montaient de 0m30 à 0m35 par heure. A quatre heures et demie, le second bâtardeau de l'avenue de Muret, construit dans le but de  donner aux habitants de Saint-Cyprien le temps d'échapper au désatre, était à son tour franchi. A 5 heures, les eaux se déversaient sur le cours Dillon et franchissaient la balustrade qui le limite. Le bâtardeau de la rue Viguerie, élevé dans la nuit du 22, résistait encore ; mais les eaux avaient envahi l'hospice commençaient à faire irruption dans les quartiers bas de Saint-Cyprien ; la ruine de la Croix-de-Pierre était à peu près consommée. Une heure plus tard, Saint-Cyprien était envahi.»

Inondation du 23 juin 1875 - Rapport de l'ingénieur des Ponts et Chaussées, chargé du service municipal. Dieulafoy. Typographie Mélanie Dupin (1875)
«I Comté de Foix
Il se divise en haut & bas qu'arrosent l'Arriege, connue pour les truites saumonées & les aloses excellentes qu'on y pêche, comme par l'or qui se mêle au sable de ses bords ; la Rise dont le cours bizarre commence à la montagne du Maz-d'Azil, & se continue dans une vaste caverne d'une obscurité profonde où ses eaux se précipitent avec grand bruit ; l'Arget ou Argey qui, dans son cours peu étendu, nourrit une multitude poissons. [...] Ses vallées ont de beaux pâturages. Il renferme des mines de fer abondantes, & un grand nombre de forges où on le travaille, des mines d'argent, de cuivre & de plomb négligées, des carrières de marbre, de jaspe, &c.  des eaux minérales, des curiosités naturelles, de l'amiante qu'on y travaille, dont on fait des jarretieres, des cordons, des ceintures, & dont on ferait des toiles si on la savait mieux filer.»

Nouvelle description de la France, dans laquelle on voit le gouvernement général de ce royaume, celui de chaque province en particulier, et la description des villes, maisons royales, châteaux et monumens les plus remarquables, avec la distance des lieux pour la commodité des voyageurs. Jean-Aymard Piganiol de La Force. F. Delaulne ([1722)
«Voici d'après un acte de la fin du XVIIe siècle, quelles étaient les statues qui ornaient le portail :
Audit portail sont trois grandes figures en pierre, dont l'une posée dans le milieu représente le Sauveur, celle à droite représente Saint-Julien, et celle à gauche Saint Genès tenant d'une main un violon et de l'autre un archet, et dans le tour du cintre dudit portail sont insculptés en relief de pierres douze figures assises, qui sont six de chaque côté.
De celui de droite, en entrant :
La 1re figure joue d'un instrument difficile à cognoistre, à cause de l'antiquité.
La 2e figure joue d'une trompette marine.
La 3e figure, d'une musette.
La 4e figure, d'une fluste.
La 5e figure, de timballes.
La 6e figure, qui est tout en haut, représente un musicien qui tient un papier de musique développé.
Et du costé gauche :
La 1re figure, au dessus de la tête de Saint Julien, joue du serpent.
La 2e figure joue d'un instrument à six cordes qui est un sistre.
La 3e figure joue d'une harpe.
La 4e figure joue d'un luth.
La 5e figure joue d'un instrument en manière de harpe renversée dont les cordes sont en large devant luy.
La 6e figure qui est tout en hault et à costé de la clef dudit contre, joue du clavessin en forme d'épinette, et au-dessous de la traverse de la dicte porte, sont deux figures de chaque costé, qui représentent des musiciens, dont deux tiennent en main chacun un roulleau de papier de musique.»

La Corporation des ménétriers et le roi des violons. Eugène d'Auriac. E. Dentu éditeur (1880)
«Nous n'avons plus de provinces, & nous avons encore environ trente patois qui en rappellent les noms.
Peut être n'est-il pas inutile d'en faire l'énumération : La bas-breton, le normand, le picard, le rouchi ou wallon, le flamand, le champenois, le messin, le lorrain, le franc-comtois, le bourguignon, le bressan, le lyonnais, le dauphinois, l'auvergnat, le poitevin, le limousin, le picard, le provençal, le languedocien, le velayen, le catalan, le béarnois, le basque, le rouergat & le gascon ; ce dernier seul est parlé sur une surface de 60 lieues en tous sens.»

Rapport sur la nécessité & les moyens d'anéantir le patois, & d'universaliser l'usage de la langue française ‎: séance du 16 prairial, l'an deuxième la République une & indivisible, suivi du décret de la Convention nationale, et envoyés aux autorités constituées, aux sociétés populaires, & à toutes les communes de la République. Grégoire‎. Imprimerie Nationale [1794]
«M. de Pompignan avoit probablement en vue dans cette ode, le célèbre auteur du poëme sur le désastre de Lisbonne, poëme dont nous ne citerons que ces quatre vers, qui auroient toujours dû être la devise de l'auteur :

Humble dans mes soupirs, soumis dans ma souffrance,
Je ne m'élève point contre la providence.
Dans une épaisse nuit cherchant à m'éclairer,
Je ne sais que souffrir, et non pas murmurer.»

Éphémérides politiques, littéraires et religieuses, présentant pour chacun des jours de l'année un tableau des évémens remarquables qui datent de ce même jour dans l'histoire de tous les siècles et de tous les pays, et commençant au I septembre 1796, pour finir au I septembre 1797. Mois de novembre. H. Neuville (1796)
«En 1608, Claude Guillaume Nyon, dit Lafont, alors roi des violons de France, fut informé de la réputation qu'avait acquise à Toulouse un certain Mathelin Taillasson, habile joueur de violon. Ce Taillasson, dont le frère était revêtu de la dignité de capitoul en 1613, ne fut pas seulement chanté par le poète Augier Gaillard, le charron de Rabastens ; il était tellement admiré dans le pays qu'on le citait comme une des merveilles de Toulouse, dans un distique méridional qui mettait sur le même rang : 1° la plus belle fille de l'époque, Paule de Viguier, dite la Belle Paule ; 2° une basilique admirable Saint-Sernin ; 3° un moulin sans rival, le Bazacle ; un artiste de talent, Mathelin Taillasson.
La Bello Paulo, San-Sarni
Lé Bazaclé, Mathali.»

La corporation des ménétriers et le roi des violons‎. Eugène d'Auriac. E. Dentu, éditeur (1880)

samedi 3 décembre 2016

Convergence freudienne

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

«J'ai interrogé mon fermier sur le nombre des instruments. Et mon fermier m'a répondu :
- Je ne connais rien à votre boutique. Faut croire, les instruments, qu'il en manque quelques-uns : ceux qui nous auraient fait gagner la guerre... Voulez-vous souper avec nous ?
- J'ai déjà dîné.
Mais l'on m'a installé de force, entre la nièce et la fermière :
- Toi, la nièce, pousse-toi un peu... Fais une place au Capitaine.»

Pilote de guerreAntoine de Saint-Exupéry. Éditions Gallimard (1959)
«Voire mais que fera-t-il, si on le presse de la subtilité sophistique de quelque syllogisme ? Le jambon fait boire, le boire désaltère, par quoi le jambon désaltère. Qu'il s'en moque. Il est plus subtil de s'en moquer que d'y répondre.»

Les Essais : De l'institution des enfants. Montaigne. Librairie Générale Française (2002)

Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (6)

«L'adolescence est une catégorie récemment créée par les exigences de la consommation de masse.»

Premiers matériaux pour une théorie de la jeune filleTiqqun. Mille et une nuits (2001)

mercredi 30 novembre 2016

«[...] je n'aimais pas au premier abord cette ouverture béante qui reçoit sans contrôle aucun tout ce qu'on y dépose ; l'enfant naturel et quelquefois aussi l'enfant légitime ; l'enfant nouveau né et celui que des parents dénaturés abandonnent en bas âge ; l'enfant de la misère mais aussi l'enfant de la débauche fortunée ; l'enfant de la fille séduite et l'enfant du désordre ; l'enfant du département et l'enfant qui lui est étranger ; je répugnais enfin au dépôt illimité au tour, à cette sorte de mainlevée qui me paraissait plutôt un encouragement qu'une restriction aux mauvaises mœurs ; [...]»

De la suppression des tours : de l'admission à  bureau secret des enfants-trouvés et des filles-mères. Rapport à la commission administrative des hospices civils de Toulouse et projet de règlement (2 avril 1850). Flavien d'Aldéguier. Bonnal et Gibrac (1850)
«Nous créerions du même coup, au sein de notre pays, un vaste courant d'émigration vers ces contrées nouvelles, riches et salubres. L'excédant des populations des villes, les oisifs, les déclassés, les désœuvrés, les fils de famille auraient, dans notre nouvelle colonie des Indes africaines, un débouché pour leur activité, des moyens sûrs d'acquérir honorablement une fortune rapide.»

Le trans-saharien. Gazeau de Vautibault. Challamel (1879)

dimanche 27 novembre 2016

Définition du XIXe siècle de l'art littéraire

«Initier les autres hommes à la connaissance complète de la nature de l'homme, révéler l'homme à lui-même, c'est évidemment l'objet de l'art littéraire. Or, les violences, les bassesses, les grossièretés, les dégradations et même les aberrations de l'homme font partie de sa nature. Rien n'est étranger à l'art. Il n'y a pas de domaine qui puisse lui être interdit.»

Art et pornographie
George Fonsegrive. Librairie Bloud & compagnie (1911)

samedi 26 novembre 2016

Convergence amicale

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

vendredi 25 novembre 2016

«La vanité des femmes et la complaisance des hommes ont composé tous les Romans. Les attentats qu’on fait contre l’histoire dans ces sortes de livres, ne les rendent pas moins méprisables que les attentats qu’on y fait contre le bon sens ; je ne sais comment on peut donner cours à des ouvrages où la nature et l’histoire sont également falsifiées ; mais où la vertu est encore plus maltraitée que l’histoire et la nature.

La plupart des faiseurs de Romans veulent nous représenter une grande vertu jointe à une grande passion ; mais de la manière dont ils s’y prennent ils ne connoissent ni la passion, ni la vertu. Ils outrent l’un et l’autre, pour avoir lieu de dire de jolies choses, et de former des aventures surprenantes, ils font faire à des femmes toutes mondaines des actions plus héroïques que n’en ont fait les plus grands Saints, ils leur donnent une force en s’occupant sans cesse de leur passion, que l’on ne peut obtenir que par le jeune et la prière ; on a beau dire, ceux qui veulent étudier la chasteté dans des exemples si pernicieux ne deviendront jamais chastes ; quoi que la vertu soit aussi grande dans les Romans que la passion, on n’y apprendra jamais que celle-ci.»

Réflexions sur les défauts d’autruy. Pierre de Villiers. Claude Barbin (1690)

mercredi 23 novembre 2016

«Malraux, en effet, est tout ce qu’on veut sauf un historien. En revanche, il a le goût de la rêverie sur les siècles et les génies qui les animent. Les élèves invités à discuter, à lui poser des questions lors d’un enregistrement mémorable dont on a ici la transcription intégrale, ne posent pas des questions d’apprentis historiens mais des questions qui appellent la dimension du "héros", du "grand homme". C’est cela qui les intéresse. Malraux a vu, connu, croisé (peu importe le degré d’intimité) Nehru, de Gaulle, Mao : qu’est-ce qu’ils représentent, qu’est-ce qui les caractérise ? Réponse de Malraux : "l’obsession". Obsession de quoi ? C’est toujours la même hantise malrucienne : la confrontation avec la mort. Autrement dit : qu’est-ce qui tient devant la mort ? L’action historique, certains gestes, certaines aventures. Ce qui fait à la fois rêver et tenir tête à la débâcle. C’est le principe de composition des Antimémoires, où les conversations ressemblent aux morceaux de sitar que Ravi Shankar jouait à l’époque, en compagnie des Beatles. L’Histoire est un poème, une mélopée.» 

Malraux face aux jeunes : Mai 68, avant, après. Entretiens inédits. André Malraux. Préface de Michel Crépu. Editions Gallimard (2016)

mardi 22 novembre 2016

«L'u de bas de casse remplace le v qui n'existait pas dans la fonte de Gering que comme lettre capitale : l'i et le j sont employés indistinctement, autre usage commun à cette époque et qui a persisté longtemps même après l'emploi du v et du j consonne.»

Origine de l'imprimerie à Paris d'après des documents inédits. Jules Philippe. Charavay Frères, éditeurs (1885)

Convergence populacière

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)
«Vous les hommes supérieurs, voici ma leçon : sur la place publique personne n'accorde créance aux hommes supérieurs. Et voulez-vous y parler, grand bien vous fasse ! Mais la populace cligne de l'oeil, disant, : "Nous sommes tous égaux !"»

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)




dimanche 20 novembre 2016

«Comme tout homme un peu plus renseigné que les autres, il avait dû s'irriter d'innombrables fois déjà de la capacité d'admiration de ses contemporains, admiration qui tombe presque toujours à faux et, de la sorte, réussit encore à anéantir ce que l'indifférence avait laissé subsister.»

L'Homme sans qualitésRobert Musil. Éditions du Seuil (1956)

mercredi 16 novembre 2016

«Or, nos sociétés assurent qu'elles laissent libres toutes les doctrines, elles ne professent aucune religion, aucune philosophie, car si elles avaient une doctrine quelconque, que deviendrait, je vous prie, la liberté de penser ? Il faut qu'on soit libre de penser comme on l'entend. Il en résulte de la façon la plus nécessaire que chacun doit se croire libre d'agir comme il juge bon. Ceux qui dans leurs actions gênent trop les autres, ou leur font du mal, ou simplement dérangent leurs habitudes, sont réprimés. Etre tolérable, rester tolérable, tout est là. L'intolérable seul, c'est à dire l'exorbitant, le trop clairement inaccoutumé, est condamnable et réprimé. La société n'est qu'un milieu de tolérance.»

Art et pornographieGeorge Fonsegrive. Librairie Bloud & compagnie (1911)

lundi 14 novembre 2016

Résonances contemporaines (21)

«L'esprit de suite n'est pas toujours la qualité dominante des administrateurs ; la plupart de ceux-ci, dès leur arrivée aux affaires sont enclins à faire table rase des projets de leurs prédécesseurs pour en préparer de nouveaux, soit qu'ils veuillent par leurs fondations, ou leurs établissements fixer plus particulièrement le souvenir de leur passage à l'administration, soit par esprit de réaction, de contradiction, ou pour toute autre cause.»

Le Jardin des plantes de Toulouse : sa fondation, ses translations et ses transformations. L. Vergne. Imprimerie G. Berthoumieu (1893-1894)

dimanche 13 novembre 2016

«Même soumis à la torture, le sage peut être heureux. Seul un sage peut obliger ses amis aussi bien quand ils sont absents que quand ils sont présents. Quand on le torture, il peut se plaindre et gémir. Le sage n'abuse jamais d'une femme par des moyens illégaux. Il pourra châtier ses esclaves, mais il aura pitié de ceux qui ont des qualités, et il leur pardonnera. Selon les philosophes épicuriens, le sage ne doit pas être amoureux, ni se soucier de son tombeau. L'amour n'est pas une passion envoyée par les dieux. Le sage ne doit pas se soucier d'éloquence. Le mariage n'est jamais avantageux ; bienheureux même à qui il ne nuit pas. Le sage ne doit ni se marier, ni avoir d'enfants.»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : EpicureDiogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

samedi 12 novembre 2016

«Pour que les esclaves modernes acceptent, et même revendiquent, leur condition, il faut les droguer d'images et de racontars en permanence, et qu'ils n'aient pas la plus petite distance, le moindre recul par rapport à leur propre situation. Sauf pour s'effrayer d'être à ce point gratuits et serviles, d'où soumission renouvelée et renforcée d'angoisse.»

La Fête à Venise. Philippe Sollers. Éditions Gallimard (1991)
«Les jeunes c'est toujours si pressé d'aller faire l'amour, ça se dépêche tellement de saisir tout ce qu'on leur donne à croire pour s'amuser, qu'ils y regardent pas à deux fois en fait de sensations. C'est un peu comme ces voyageurs qui vont bouffer tout ce qu'on leur passe au buffet, entre deux coup de sifflet. Pourvu qu'on les fournisse aussi les jeunes de ces deux ou trois petits couplets qui servent à remonter les conversations pour baiser, ça suffit, et les voilà tout heureux. C'est content facilement les jeunes, ils jouissent comme ils veulent d'abord c'est vrai !
Toute la jeunesse aboutit sur la plage glorieuse, au bord de l'eau, là où les femmes ont l'air d'être libres enfin, où elles sont si belles qu'elles n'ont même plus besoin du mensonge de nos rêves.»

Voyage au bout de la nuit. Louis-Ferdinand Céline. Éditions Gallimard (1952)
«Le roman et l'art romanesque, maintenus en tant que clichés, ont donc été associés logiquement au mythe gelé d'un univers toujours aussi passionnant que par le passé, d'un vrai monde vivant qui recèlerait encore de multiples secrets, quand tout démontre que ce globe unifié et visitable à merci présente un intérêt qui va chaque jour s'amenuisant.»

Après l'histoirePhilippe Muray. Les Belles Lettres (2000)

vendredi 11 novembre 2016

Convergence musicale

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

Réminiscence personnelle (23)

«Lorsque j'étais petit garçon... je remonte loin dans mon enfance. L'enfance, ce grand territoire d'où chacun est sorti ! D'où suis-je ? Je suis de mon enfance. Je suis de mon enfance comme d'un pays...»

Pilote de guerreAntoine de Saint-Exupéry. Éditions Gallimard (1959)

jeudi 10 novembre 2016

Convergence viticole

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)
«Quelle force me poussa vers les plus pauvres, ô Zarathoustra ? Ne fut-ce ma nausée devant les riches ? 
- devant ces forçats de la richesse qui de toute poubelle tirent leur avantage, l'oeil froid et la pensée avide, devant cette canaille dont vers le ciel monte la puanteur, [...]»

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

mardi 1 novembre 2016

Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (5)

«La Jeune-Fille appelle invariablement "bonheur" tout ce à quoi on l'enchaîne.»


Premiers matériaux pour une théorie de la jeune filleTiqqun. Mille et une nuits (2001)

dimanche 30 octobre 2016

«Jan sortit de chez lui. À peine a-t-il appuyé sur la poignée que s'ouvre la porte en verre. Par deux fois, la loi de la réfraction et la déviation des rayons vient à la rencontre de Jan Hvezdar. La première fois à l'ouverture, la seconde à la fermeture de la surface vitrée. Ah, la belle matinée ! Bonjour le matin ! Un baisemain à toi, cher soleil ! Un baiser sur ton derrière tout nu ! Jan marche sur le trottoir, sa main repousse son chapeau sur la nuque, égrenant au passage le tic-tac de la montre dans son oreille droite. il veille à ne pas marcher sur les rainures entre les pierres qui bordent la chaussée et se dit encore : Quelle belle matinée !»

Rencontres set visites. Bohumil Hrabal. Éditions Robert Laffont (2014)

samedi 29 octobre 2016

Convergence macrobiotique

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

vendredi 28 octobre 2016

«Et justement la courtisane n'aime pas, elle fait sans amour, les gestes de l'amour, c'est pour cela qu'elle est mensongère ; elle est stérile, inféconde ; elle détruit, épuise la vie, c'est pour cela qu'elle est vile.»

Art et pornographieGeorge Fonsegrive. Librairie Bloud & compagnie (1911)

dimanche 23 octobre 2016

«Ainsi voit-on se constituer à toute allure une nouvelle élite censureuse, sourcilleuse, susceptible, capable d'entrer dans des colères folles au moindre soupçon de contradiction,une kosmoklatura qui a réglé leur compte à toutes les souverainetés particulières, mais qui entend faire respecter à jamais sa souveraineté à elle. Tandis que la tentative de ralentir l'inéluctable, ou d'en retarder l'avènement le plus longtemps possible, c'est à dire le contraire du nihilisme, est désigné comme le nouveau nihilisme menaçant l'avenir, le consentement nihiliste à l'inéluctable est à l'inverse proposé comme la seule attitude positive maintenant admissible.»

Après l'histoire. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2000)
«Ô bienheureux silence autour de moi ! Ô pures senteurs autour de moi ! Oh ! comme à pleins poumons il aspire, ce silence, un souffle pur ! Oh comme il écoute, ce bienheureux silence !
Mais en bas -tout est discours, rien ne s'écoute. Vous pouvez bien carillonner votre sagesse ; plus fort sur le marché les boutiquiers feront sonner leurs sous !
Chez eux tout est discours ; comprendre personne ne le sait plus. C'est à l'eau que tout tombe, mais en des puits profonds plus ne descend aucune chose.»

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

vendredi 21 octobre 2016

«La grandeur d'un métier est, peut être, avant tout, d'unir des hommes : il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines.
En travaillant pour les seuls biens matériels, nous bâtissons nous-même notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille de vivre.
Si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eût procurées. On n'achète pas l'amitié d'un Mermoz, d'un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont lié à nous pour toujours.»

Terre des Hommes. Saint-Éxupéry. Éditions Gallimard (1959)

jeudi 20 octobre 2016

« Étant ainsi socialement inclinées à se traiter elles-mêmes comme des objets esthétiques et, en conséquence, à porter une attention constante à tout ce qui touche la beauté, à l'élégance du corps, du vêtement, du maintien, elles ont tout naturellement en charge, dans la division du travail domestique, tout ce qui ressortit à l'esthétique et, plus largement, à la gestion de l'image publique et des apparences sociales des membres de l'unité domestique, des enfants évidemment, mais aussi de l'époux, qui leur délègue très souvent ses choix vestimentaires ; ce sont elles aussi qui assument le soin et le souci du décor de la vie quotidienne, de la maison et de sa décoration intérieure, de la part de gratuité et de finalité sans fin qui y trouve toujours sa place, même chez les plus démunis (comme les potagers paysans d'autrefois comportaient un coin réservés aux fleurs d'ornement, les appartements les plus pauvres des cités ouvrières ont leurs pots de fleurs, leurs bibelots et leurs chromos).

La Domination masculinePierre Bourdieu. Editions du Seuil (1998)

mercredi 19 octobre 2016

«Luz me raconte un de ses rêves "en deux tableaux", oui, un diptyque, elle s'amuse à filmer l'interprétation que j'en fais. L'idée de stocker des archives m'est venue peu à peu, quand j'ai été sûr que personne n'écoutait plus personne, ne se souvenait de rien, ne faisait plus attention à rien. Que sommes-nous ? Où irons-nous ? Qui serons-nous ? Inapparences, apparences, désapparences... Y aura-t-il encore une transmission ? Par où passera-t-elle ? Les gestes amoureux ? Vieilles marques animales toujours fraîches ?»

La Fête à Venise. Philippe Sollers. Éditions Gallimard (1991)

mardi 18 octobre 2016

«Il avait été fidèle à la devise ancestrale : "Belle santé est domaine hérité." A cinquante ans, il ne se rappelait avoir vu fuir et s'amenuiser devant le chariot qui le transportait qu'un seul corridor d'hôpital (et deux pieds impeccablement chaussés de blanc, qui s'éloignaient avec légèreté). Cependant, il remarquait à présent que des fissures fourchues furtivement mais fréquemment lézardaient le mur de son bien-être physique, comme si l'inévitable décomposition lui dépêchait, à travers le temps terne et statique, ses premiers émissaires.»

Ada. Vladimir Nabokov. Librairie Arthème Fayard (1975)
«Il est sur la terre deux races d'homme. La première -d'un nombre étouffant- se contente d'assouvir les besoins élémentaires de l'existence. Les préoccupations matérielles, les soucis familiaux bornent son champ. L'amour parfois y projette son ombre, mais strictement égoïste et ramené à l'échelle du reste.
L'autre race, quoique soumise au joug de la faim, du plaisir charnel et de la tendresse porte plus loin et plus haut son ambition. Pour s'épanouir et simplement pour respirer, elle a besoin d'un climat plus beau, plus pur et spirituel. Il lui faut dénouer les limites ordinaires, exalter l'être au-delà de lui-même, le soumettre à quelque grande force invisible et le hausser jusqu'à elle. La pauvreté de l'homme la blesse, la désespère. L'inaccessible seul attire comme le rachat et la victoire sur l'humaine condition.»

Mermoz. Joseph Kessel. Éditions Gallimard (1938)

dimanche 16 octobre 2016

«Comme nous lisions nombre de journaux cochons à notre hôtel, on en connaissait des trucs et des adresses pour baiser à Paris ! Faut bien avouer que c'est amusant les adresses. On se laisse entraîner, même moi qui avais fait le passage des Bérésinas et des voyages et connu bien des complications dans le genre cochon, la partie des confidences ne me semblait jamais tout à fait épuisée. Il subsiste en vous toujours un peu de curiosité de réserve pour le côté du derrière. On se dit qu'il ne vous apprendra plus rien le derrière, qu'on a plus une minute à perdre à son sujet, et puis on recommence encore une fois cependant rien que pour en avoir le coeur net qu'il est bien vide et on apprend tout de même quelque chose de neuf à son égard et ça suffit pour vous remettre en train d'optimisme.
On se reprend, on pense plus clairement qu'avant, on se remet à espérer alors qu'on espérait plus du tout et fatalement on y retourne au derrière pour le même prix. En somme, toujours des découvertes dans un vagin pour tous les âges.»

Voyage au bout de la nuitLouis-Ferdinand Céline. Éditions Gallimard (1952)
«[...] il accompagna partout Anaxarque, au point de le suivre chez les gymnosophistes de l'Inde et les mages, d'où il a tiré sa philosophie si remarquable, introduisant l'idée qu'on ne peut connaître aucune vérité, et qu'il faut suspendre son jugement, comme nous l'apprend Ascanios d'Abdère. Il soutenait qu'il n'y avait ni beau, ni laid, ni juste, ni injuste, que rien n'existe réellement et d'une façon vraie, mais qu'en toute chose les hommes se gouvernent selon la coutume et la loi. Car une chose n'est pas plutôt ceci que cela. Sa vie justifiait ses théories. Il n'évitait rien, ne se gardait de rien, supportait tout, au besoin d'être heurté par un char, de tomber  dans un trou, d'être mordu par des chiens, d'une façon générale ne se fiant à rien à ses sens. Toutefois, il était protégé par ses gens qui l'accompagnaient.

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : PyrrhonDiogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

Eblouissement des prémisses (incipit 27)

«Mais j'aimerais également faire observer qu'en tant que poète, je connais la bêtise de plus longue date encore, et je dois dire qu'il m'est plus d'une fois arrivé d'entretenir avec elle des rapports confraternels ! Car à peine la poésie a-t-elle ouverts les yeux d'un homme, celui-ci se voit confronté à une multitude de formes de résistance qu'on aurait grand peine à caractériser : qu'elles se manifestent chez des individus, ainsi qu'on le voit par exemple dans la noble attitude d'un professeur d'histoire littéraire qui, à l'aise avec des cibles fort lointaines, manque son tir d'une façon désastreuse quand il s'agit du présent ; ou qu'elles soient aussi diffuses que l'air qui nous entoure, comme dans les cas de l'altération du jugement critique par l'esprit mercantile depuis que Dieu, dans sa bonté si impénétrable, a également accordé la parole humaine aux personnages de cinéma.»

De la bêtise. Robert Musil. Editions Allia (2015)

jeudi 13 octobre 2016

«D'ordinaire, les souvenirs vieillissent avec les êtres, expliqua-t-il, et les épisodes les plus passionnés, avec la perspective du temps, prennent un côté comique, comme si on les apercevait à travers quatre-vingt-dix-neuf portes ouvertes les unes derrière les autres. Mais quelquefois, lorsque les souvenirs étaient liés à des sentiments très intenses, ils ne vieillissent pas et tiennent accrochés à eux-mêmes des couches entières de l'être.»

L'Homme sans qualitésRobert Musil. Éditions du Seuil (1956)
«La poésie, quand il est impossible de la juger, correspond admirablement, en tant qu'ersatz d'art, et comme onirisme collectif, à une nouvelle "pensée" qui se fixe la tâche primordiale de ne jamais conclure, qui pare ses diverses impuissances du nom d'"ouverture" et ses renoncements de celui de "nomadisme".

Après l'histoire. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2000)

lundi 10 octobre 2016

Convergence bouffonne

 Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

vendredi 7 octobre 2016

«La pornographie fait donc courir à la France un double péril : elle risque de corrompre à l'intérieur une partie de notre jeunesse ; à l'extérieur elle porte atteinte à notre renommée.»

Art et pornographie. George Fonsegrive. Librairie Bloud & compagnie (1911)

mardi 4 octobre 2016

«Vieux bureaucrate, mon camarade ici présent, nul jamais ne t'as fait évader et tu n'en es point responsable. Tu as construit ta paix à force d'aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les échappées vers la lumière. Tu t'es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rites étouffants de ta vie provinciale, tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles. Tu ne veux point t'inquiéter des grands problèmes, tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d'homme. Tu n'es point l'habitant d'une planète errante, tu ne te poses point de questions sans réponse : tu es un petit bourgeois de Toulouse. Nul ne t'a saisi par les épaules quand il était encore temps. Maintenant la glaise dont tu es formé a séché, et s'est durcie, et nul en toi ne saurait désormais réveiller le musicien endormi, ou le poète, ou l'astronome qui peut être t'habitaient d'abord.»

Terre des hommes. Antoine de Saint-Exupéry. Editions Gallimard (1959)
«Tandis que je dormais, lors un mouton brouta le lierre qui couronnait ma tête, - il le brouta et dit : "Zarathoustra, n'est plus un érudit !"
Dit et s'en fut, hargneux et hautain. Me l'a conté un enfant.
Ici me plaît d'être étendu, où s'amusent les enfants, près du mur lézardé, parmi des chardons et de rouges pavots.
Un érudit, encore le suis pour les enfants, et aussi pour les chardons et les rouges pavots. Même dans leur malice, ce sont des innocents.
Mais pour les moutons, plus ne le suis, ainsi le veut mon sort, - béni soit-il !»

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personne. Friedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)
«Comme l'hôte, le client a l'entrée de la maison du patron : exilé souvent, et sans patrie, il en use même bien plus largement. Il est à vrai dire de la maison ; il est compté parmi les serviteurs (cliens veut dire qui écoute, qui obéit). Le maître va-t-il au dehors, il a ses amis et clients à sa suite : comme ses esclaves, il les arme pour les besoins de ses affaires ou de ses querelles privées. [...] Tous, les uns comme les autres, esclaves, clients et simples affranchis, ils portent le nom de la famille.»

Histoire romaine Livre I à IV : Des commencements de Rome jusqu'aux guerres civilesTheodor Mommsen. Bouquins Robert Laffont (1985)

Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (4)

«Le caractère rachitique de langage de la Jeune-Fille, s'il implique un incontestable rétrécissement du champ de l'expérience, ne constitue nullement un handicap pratique, puisqu'il n'est pas fait pour parler mais pour plaire et répéter.»

Premiers matériaux pour une théorie de la jeune filleTiqqun. Mille et une nuits (2001)

jeudi 29 septembre 2016

«De cinquante barbouillages peinturlurés sur le visage et les membres, ainsi vous vis-je assis, pour ma stupeur, vous mes contemporains. 
Et cinquante miroirs autour de vous, qui flattaient et reflétaient le jeu de vos couleurs !
En vérité, vous ne sauriez porter masque meilleur, vous mes contemporains, que votre propre visage ! Qui donc vous pourrait -reconnaître

 Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

mercredi 28 septembre 2016

«Malheureusement, contre les hommes on joue un jeu, où compte si peu le vrai sens des choses. L'on gagne ou l'on perd sur des apparences, on marque des point misérables. Et l'on se trouve ligoté par une apparence de défaite.»

Vol de nuit. Antoine de Saint-Exupéry. Éditions Gallimard (1959)

Eblouissement des prémisses (incipit 26)

«Monelle se tut et me regarda : 
Je suis sorti de la nuit, dit-elle, et je rentrerai dans la nuit. Car moi aussi je suis une petite prostituée.
Et Monelle dit encore :
J'ai pitié de toi, j'ai pitié de toi, mon aimé. Cependant je rentrerai dans la nuit ; car il est nécessaire que tu me perdes, avant de me retrouver. Et si tu me retrouves, je t'échapperai encore. Car je suis celle qui est seule. 
Et Monelle dit encore :
Parce que je suis seule, tu me donneras le nom de Monelle. Mais tu songeras que j'ai tous les autres noms.»

Le livre de Monelle. Marcel Schwob. Mercure de France (1959)
«Et les dames riches et intelligentes que je hante te répondront aussitôt, si tu leur poses une question de ce genre, que le dernier homme qui ait peint de telles expériences est Van Gogh. Peut être au lieu de citer un peintre, évoqueront-elles les poèmes de Rilke ; en général elles préfèrent Van Gogh qui représente un excellent placement et qui s'est coupé l'oreille parce que sa peinture, comparée à la ferveur des choses, le décevait. La majorité de nos compatriotes dirait, en revanche, que se couper l'oreille n'est pas l'expression d'un sentiment vraiment allemand, plutôt le vide indubitable que vous inspirent les panoramas des sommets. Pour eux, la solitude, les petites fleurs et le murmure des ruisseaux sont la quintessence de l'exaltation humaine ; et l'on peut découvrir, jusque dans la complète niaiserie de cette adoration toute crue de la Nature, l'ultime reflet mal compris d'une seconde vie ; finalement il faut donc bien que celle-ci existe ou ait existé !»

L'Homme sans qualitésRobert Musil. Éditions du Seuil (1956)

jeudi 22 septembre 2016

Convergence genrée

 Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)
«Il ne possède rien dont il n'aspire aussitôt à se défaire, sans toutefois y parvenir, moins possédant que possédé par une surabondance d'images fastueuses où il voit la preuve de son inaptitude à modérer le mouvement qui l'entraîne bien au-delà de cette part de lui-même que son peu d'éclat rend impropre à la magnification mystificatrice. Négliger les régions arides où se trahit l'insuffisance de l'être ne répond nullement à une à une volonté préméditée de se prendre ni de se donner pour qui n'aurait respiré que l'air des sommets, mais au besoin insatiable d'aller plus loin, encore et encore plus loin, toute illusion écartée d'infléchir le parcours en le subordonnant à une fin incompatible avec sa nature qui est de n'en viser aucune et de poursuivre indéfiniment.»

Ostinato. Louis-René des Forêts. Gallimard  Quarto (2015)

lundi 19 septembre 2016

Résonances contemporaines (20)

«Mais comme en Occident on ne vit pas sous la menace des camps de concentration, comme on peut dire ou écrire n’importe quoi, à mesure que la lutte pour les droits de l’homme gagnait en popularité elle perdait tout contenu concret, pour devenir finalement l’attitude commune de tous à l’égard de tout, une sorte d’énergie transformant tous les désirs en droits. Le monde est devenu un droit de l’homme et tout s’est mué en droit : le désir d’amour en droit à l’amour, le désir de repos en droit au repos, le désir d’amitié en droit à l’amitié, le désir de rouler trop vite en droit à rouler trop vite, le désir de bonheur en droit au bonheur, le désir de publier un livre en droit de publier un livre, le désir de crier la nuit dans les rues en droit de crier la nuit dans les rues.»

L’immortalité. Milan Kundera. Éditions Gallimard (1990)

vendredi 16 septembre 2016

«- On m'aurait dit ça, dit-elle enfin, quand ils étaient petits, on m'aurait dit qu'à vingt ans ils feraient encore des fautes d'orthographe, j'aurais préféré qu'ils meurent. J'étais comme ça quand j'étais jeune, j'étais terrible.
Elle ne les regardait plus, ni l'un ni l'autre.
- Puis ensuite bien sûr, j'ai changé. Puis voilà maintenant que ça me revient comme quand j'étais jeune, il me semble quelquefois que je préfèrerais voir Joseph mort que de le voir faire tellement de fautes d'orthographe.
- Il est intelligent dit Suzanne, quand il le voudra, il apprendra l'orthographe. Suffit qu'il veuille.»

Un Barrage contre le Pacifique. Marguerite Duras. Gallimard (1950)

«La langue de Lucilius est celle d'un homme ayant reçu à fond la culture gréco-latine : tout d'une venue et d'abandon, il est trop pressé de dire pour châtier son vers : il improvise jusqu'à deux cent hexamètres avant la table mise et deux cents encore la table desservie. Aussi rencontrerez-vous chez lui d'inutiles longueurs, et les mêmes tours se répètent de façon bavarde, les négligences les plus fâcheuses : le premier mot qui lui vient, grec ou latin, lui est le meilleur.»

Histoire romaine Livre I à IV : Des commencements de Rome jusqu'aux guerres civilesTheodor Mommsen. Bouquins Robert Laffont (1985)

vendredi 9 septembre 2016

Convergence passéiste

 Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

«Le génie de l'augmentation qui le possède (et qui n'est évidemment pas étranger à la tonalité même de son antisémitisme), cet art de l'exagération, et même de l'exagération d'exagération, qui transforme certaines scènes de ses romans en séquences de comics (ce qu'il n'aurait sans doute pas désavoué, lui qui déclarait :"J'aurais chez moi, si je pouvais, tous les Dessins animés"... C'est vous dire que je suis bignolle, pas délicat pour un rond... je veux bien (voyez-vous ça) de tous les genres, aucun ne me semble inférieur, à condition que la matière soit organique et organisée, que le sang circule, partout, autour et dedans à partir du cœur, respire avec les poumons, tienne debout, en somme, que le truc tourne, avec un point de catalyse bien vivant, le plus vivant possible, insupportable ! au centre, bien caché, bien scellé, au tréfonds de la viande, qu'on ne se trompe pas, que cela palpite, qu'on ne me vante pas tel pauvre cadavre en froufrous babillards..."), trahissent un effort stylistique de chaque instant pour se rapprocher de l'exagération même du réel, qu'il ne semble envisager que dans la catégorie du délire.»

Céline. Philippe Muray. Gallimard (2001)

jeudi 8 septembre 2016

«Le désordre du monde, voilà le sujet de l'art. Impossible d'affirmer que, sans désordre, il n'y aurait pas d'art et pas davantage qu'il pourrait y en avoir un : nous ne connaissons pas de monde qui ne soit désordre. Quoi que les universités nous susurrent à propos de l'harmonie grecque, le monde d'Eschyle était rempli de luttes et de terreur, et tout autant celui de Shakespeare et celui d'Homère, de Dante et de Cervantès, de Voltaire et de Goethe. Si pacifique que parût le compte rendu qu'on en faisait, il parle de guerres, et quand l'art fait  la paix avec le monde, il l'a toujours signée avec un monde en guerre.»

Écrits sur le théâtre. Bertold Brecht. Éditions Gallimard (1940)

mardi 6 septembre 2016

Convergence divinatoire


 Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

Résonances contemporaines (19)

«La Toilette intime ne porte-t-elle pas atteinte à la dignité de la femme ? Ne fait-elle pas l'éloge de son asservissement ? La question mérite  d'être posée, comme pour un grand nombre d’œuvres anciennes et, dans une moindre mesure, heureusement modernes. Notre Commission s'est à nouveau réunie, consciente de la tâche immense qui est devant elle : la constitution d'un Index des mille et trois productions littéraires, plastiques et musicales suspectes. Il sera remis bientôt à la presse et au Parlement.»

La Fête à Venise. Philippe Sollers. Éditions Gallimard (1991)

Résipiscence : Reconnaissance de sa faute avec amendement

«Celles de ses sœurs qui menaient une vie de patachon, un amant aujourd'hui, un autre demain et tous les jours faire la valise, vinrent les premières à résipiscence. La plupart des autres tenaient au vice par un apéritif à heure fixe, un appartement commode, un rond de serviette, au restaurant, un sourire de la concierge, un chat siamois, un lévrier, une mise en plis hebdomadaire, un poste  de radio, une couturière, un fauteuil profond, des partenaires de bridge, et enfin par la présence régulière de l'homme, par des opinions échangées sur le temps, les cravates, le cinéma, la mort, l'amour, le tabac ou le torticolis.»

La Passe-muraille : nouvelles. Marcel Aymé. Librairie Gallimard (1943)