mardi 28 février 2023

Visionnage domestique toulousain (123)

 

Bande de filles. Céline Sciamma (2014)

«On a donné à l'opéra les Indes galantes de Rameau avec un ballet nouveau. Quelque baroque que soit la musique elle trouve de grands admirateurs ; mais j'ai grand peur que si un goût nouveau prend le dessus, il ne fasse tort aux opéras de Lully.»

Nouvelles de la Cour et de la ville. Paris (1879)

lundi 27 février 2023

La musique dans l'Ancien Régime

«Depuis longtemps les historiens conviennent du rôle majeur de la musique dans la société d'Ancien Régime. Comme en un théâtre permanent, elle constitue le fonds sonore constant sans lequel rien ne peut se concevoir. Elle rythme les âges de la vie et de la mort, elle marque les étapes du cérémonial public comme les usages du for privé, elle scande les travaux et les jours de la ville comme elle imprègne d'une éclatante solennité les très riches heures de la Cour. Tour à tour joyeuse, effrontée ou mélancolique dans la rue, elle se fait compagne discrète mais affichée dans le cabinet feutré de l'honnête homme, partenaire obligé dans l'élégance cérémonieuse du salon.»

La musique dans la ville : de Lully à Rameau. Jean-Marie Duhamel. Presses universitaires de Lille (1994)

samedi 25 février 2023

Séquence contemporaine de Nivellement par la Base

«Je composerai quelque chose, disait le maître, qui prendra notre époque en compte. L'esprit du temps, qu'ils ont sur les lèvres, je vais le restituer, aussi grinçant, ironique, aussi malfaisant qu'ils l'ont rendu et bien sûr, ils ne le reconnaîtront pas, ils se demanderont d'où vient une telle défiance, une telle absence d'harmonie. Ça vient de vous, mais vous ne pourrez l'admettre. Vous pensez croire en vous, en votre monde, mais l'incroyance vous guide, le scepticisme, le rire, le sarcasme. Vous dominez mais au fond, je vous plains.»

Conversations avec le maîtreCécile Wajsbrot. Denoël (2007)

Tiré de Camille Claudel : Into the fire (Gene Scheer / Jake Heggie)


La petite châtelaine


Hello, my little one,
La petite châtelaine

Do you know who I am?
Do you know who I am?

They say I leave at night
By the window of my tower
Hanging from a red umbrella
With which I set fire to the forest

Hello, my little one,
La petite châtelaine

Do you know who I am?
Or the land you come from?

Where the earth is stained…
I did as he said and returned you to clay.
Oh, how could I bleed such a blessing away?

Now I’m forever alone
With my children of stone.

La petite châtelaine

Can you hear my voice?
The voice of your mother?


"Sachez qu'une personne de qui je suis très proche a commis le même crime que vous et qu'elle l'expie depuis vingt-six ans dans une maison de fous. Tuez un enfant, tuer une âme immortelle, c'est horrible ! C'est affreux ! C'est affreux ! Comment pouvez vous vivre et respirer avec un tel crime sur la conscience..." - Paul Claudel lettre à la femme de Romain Rolland (1939)

vendredi 24 février 2023

Applicable à l'art ?

«Dans une société sans stabilité, sans unité, il ne peut se créer d'art stable d'art définitif. De cette organisation sociale inachevée, qui exprime en même temps l'inquiétude des esprits, naît l'inexpliqué besoin d'individualité dont les manifestations littéraires présentes sont le reflet direct.»

René char in Enquête sur l'évolution littéraire. Jean Huret. Thot (1984)

«Certes Satie ne cherche pas à capter la fugitivité d'une impression, mais plutôt à éterniser l'instant, à ironiser le sentiment.»

Erik SatieJean-Pierre Armengaud. Fayard (2009)

jeudi 23 février 2023

PBF 2023.03 : Vingt ans de calin_minette

Mercredi 22 février 2023 à 19H, nouvelle émission de la Petite Boutique Fantasque. Nous n’avons pas eu souvent l’occasion de fêter un anniversaire. Mais vingt ans de la parution de Calin_minette de vs_price, qui nous est si proche, ne pouvait être ignoré.
2003 – 2023 ! Vingt ans. ! Quelle peut être notre écoute actuelle de cette musique ? Qu’est-ce qu’elle nous dit de l’ambiance musicale de l’époque ? Ce sont des réflexions qui ont agité la conception de cette émission.

Cette émission autour de calin_minette est articulée autour d’un entretien avec vs_price et d’une conversation téléphonique avec Paul Merritt co-responsable du label londonien Expanding records qui a publié ce disque. Pour plonger totalement dans l’ambiance nous écouterons deux extraits de calin-minette, ainsi qu’un morceau de Benge (Benjamin Edwards, l’autre co-fondateur d’Expanding records) publié dans la compilation The condition of musak 5 et un de Stendec (formé de Paul Merrit et de Benge) Avro publié dans la compilation The condition of musak 3

Cette émission a été enregistrée et montée au studio de RadioRadioToulouse et diffusée en hertzien, Toulouse : 106.8 Mhz ou en streaming http://62.210.215.26:8000/xstream et pour tout le reste du temps sur les podcasts de mixcloud.

Programmation musicale :
1) Bretelle (vs_price)
2) Avro (Stendec) 
3) Baud (Benge)
4) Matic 02 (vs_price)
+ entretien avec vs_price
+ entretien téléphonique avec Paul Merritt avec la complicité linguistique de Perlette

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y a une possibilité de rattrapage avec les podcasts de la PBF : https://www.mixcloud.com/RadioRadioToulouse/vingt-ans-de-calin_minette-la-petite-boutique-fantasque/


Sus aux Béotiens !
Photographie de la box où a été redistribuée en 2021 l’album calin_minette de vs_price. (photographie Vincent)

Discographie de vs_price chez Expanding :

samedi 18 février 2023

«Prenez l'être le plus seul, disait le maître, et le plus démuni, il a toujours quelqu'un qui le comprendra parce que, au fond, ils vivent dans le monde réel, le monde quotidien. Mais nous qui occupons d'un autre monde, du monde sans nom qui nous habite, qui nous possède, nous qui sommes ailleurs en ayant l'air d'être ici, nous qui parlons comme vous alors que nous voulons autre chose, nous qui explorons des terres et des mers inconnues et revenons parmi vous pour essayer d'en rendre compte - mais notre tentative est vouée à l'échec- nous connaissons la solitude totale, l'abîme au fond duquel nul d'entre vous ne peut nous rejoindre.»

Conversations avec le maîtreCécile Wajsbrot. Denoël (2007)

mardi 14 février 2023

Visionnage toulousain en salle (47) à l'ABC avec Laurie

La grande magie. Noémie Lvovsky (2023)

Visionnage toulousain en salle (46 ter) à l'ABC

Dans «Aftersun», «le drame, c'est le passage du temps»
Anaïs Bordages 2023 Slate

Avec son montage patient et inventif, cette chronique de vacances progresse vers une secousse émotionnelle dont on peine à se remettre.

Quand on raconte pour la énième fois une histoire déjà bien familière, il est impossible de toujours coller à la même version des faits. Les détails changent. L'ordre des événements est modifié. Un geste anodin se voit attribuer a posteriori une toute nouvelle signification. C'est un peu ce qui se produit devant Aftersun, qui même après plusieurs visionnages, conserve une qualité immatérielle et insaisissable. L'histoire en apparence anecdotique d'un souvenir de vacances révèle très graduellement une abondance d'émotions et d'interprétations sous-jacentes.Du casting à la musique d'Oliver Coates, en passant par les costumes ou la photographie de Gregory Oke, le premier long-métrage de Charlotte Wells est un accomplissement total. Révélé par la Semaine de la critique à Cannes en mai 2022, le film enchaîne depuis les distinctions, et a même reçu une nomination aux Oscars (dans la catégorie Meilleur acteur pour Paul Mescal). En France, où il est sorti en salle le 2 février, sa popularité ne cesse de s'accroître grâce à un puissant bouche-à-oreille.
On y suit, en 1997, les vacances en Turquie d'un jeune père célibataire et sa fille de 11 ans. C'est un film dans lequel on pourrait dire que rien ne se passe, mais tout se joue. Sophie, coincée entre l'enfance et l'adolescence, se trouve à un moment charnière de sa vie. Elle commence à ressentir les premiers frémissements du désir romantique, mais aussi, sans pouvoir y poser des mots, percevoir le profond mal-être existentiel que son père Calum a de plus en plus de peine à dissimuler.
Dans Aftersun, tout revêt un nouveau sens a posteriori. Car dès le premier plan, filmé avec un vieux caméscope sur le point d'être rembobiné, on décèle que le film est, pour sa grande majorité, un souvenir. Avec une progression délicate et parfaitement calibrée, Aftersun glisse lentement vers une secousse émotionnelle finale dont on peine à se remettre. Et c'est en partie grâce à la collaboration étroite entre Charlotte Wells et son monteur Blair McClendon. «Le drame du film, c'est simplement le passage du temps», résume ce dernier, qui cite Edward Yang ou Chantal Akerman (souvent caractérisés par la lenteur de leur style) en références.

Raconter la mémoire
Du procès de Rashōmon à l'amnésie du personnage principal de Memento, nombreuses sont les œuvres qui abordent la question de la mémoire. Le plus souvent, les souvenirs et moments du passé sont illustrés à l'écran par des flashbacks, soulignés par un effet sonore ou visuel qui les sépare du reste de l'intrigue: une image ternie, floutée ou en noir et blanc, voire, dans les exemples les moins subtils, un son de harpe (ou dans le cas de la série Lost, un bruit de réacteur d'avion). Il y a aussi les thought cuts, ces coupes rapides que l'on retrouve dans les œuvres de Jean-Marc Vallée, et qui évoquent plutôt la fugacité des pensées intrusives et des souvenirs refoulés.
Pour Blair McClendon, quand on parle de mémoire au cinéma, «il y a Alain Resnais [Hiroshima mon amour, ndlr], et il y a tout le reste». Lors de son travail sur Aftersun, le monteur a soigneusement évité les clichés, en s'accrochant à une idée cruciale: celle que le cinéma est toujours au temps présent. «En réalité, dans un film, on ne peut pas mettre quelque chose au passé. Même si on fait un flashback, l'image est quand même au présent. Et je pense que beaucoup de représentations de la mémoire m'agacent parce qu'elles essaient de forcer un temps passé, alors qu'il n'y en a pas.»
La puissance d'Aftersun, un film qui suggère plus qu'il ne montre, provient ainsi de sa subtilité. Charlotte Wells fait confiance à son public pour déceler lui-même les enjeux intimes des personnages, et se refuse à fournir des réponses prémâchées. «Si beaucoup de bonds dans le temps tombent à plat au cinéma, c'est parce qu'ils essaient d'utiliser la mémoire pour expliquer quelque chose. Mais personnellement, aucun de mes souvenirs ne m'a jamais aidé à expliquer quoi que ce soit», s'amuse Blair McClendon.
La réalisation pudique du film, qui observe souvent les personnages dans le reflet d'une table ou derrière une vitre, s'accompagne d'un montage patient. En s'attardant sur chaque image, le rythme langoureux permet de prêter attention aux plus infimes détails et changements d'attitude, et ainsi, de mieux comprendre ce qui se joue sous la surface.
Tôt dans le film, alors qu'ils viennent d'arriver à leur hôtel et que Sophie commence à s'endormir, Calum s'isole sur le balcon et allume une cigarette. Filmé de dos, il se met à danser légèrement, perdu dans ses pensées. La caméra, d'abord concentrée sur Sophie, opère un zoom très lent sur Calum, et reste fixée sur la silhouette du trentenaire. Blair McClendon explique que ce plan était capital pour «enseigner au public la manière dont il doit regarder ce film, indépendamment des autres films qu'il aurait vus avant. Ce que ça nous dit, c'est qu'il faut bien se concentrer sur lui. Notre mission ici, c'est juste de le regarder.»

Une musique parfaitement déployée
L'utilisation libre du son, qui entremêle les dialogues et les bruits d'une scène avec les images d'une autre, amplifie la rêverie mélancolique qui se dégage du film. La musique, quant à elle, nous plonge immédiatement dans la nostalgie des années 1990 (attention, des interprétations spontanées de la «Macarena» ont été observées pendant certaines projections), et confère un sens supplémentaire aux interactions entre les personnages.
Dans un moment doux-amer entre le père et sa fille, «Tender», célèbre chanson de rupture de Blur, illustre la difficulté à s'extirper d'une peine incontrôlable («get through it»). «Losing My Religion» de REM est utilisé dans une scène de karaoké déchirante, qui souligne la déception de Sophie et la déconnexion mentale de Calum.

Le film atteint son apogée émotionnelle lors d'une scène à couper le souffle, qui fait s'entrechoquer le souvenir et le temps présent autour d'une danse entre le père et sa fille. Au cours du montage, Charlotte Wells a tenté d'accompagner la scène avec «Under Pressure», le célèbre morceau de Queen et David Bowie –sans penser qu'il s'agirait d'un choix définitif. «À la base, c'était juste pour rire, raconte Blair McClendon. Et puis on a regardé la scène, et malheureusement [rires], on s'est immédiatement dit: “Oh. C'est ça le film, en fait.”»
Le monteur raconte qu'ils ont longtemps hésité avant de conserver la chanson pour de bon. «Le danger pour nous, c'était qu'“Under Pressure” n'est pas vraiment une petite chanson anonyme [rires]. Donc dès que le morceau commence, on se retrouve en compétition avec toutes les associations que tout le monde a déjà avec cette chanson. Je pense que le film de Charlotte est ambitieux sur plein de points, mais ça, c'était son choix le plus directement ambitieux. Parce qu'on devait être capables de faire quelque chose qui soit à la mesure de cette chanson. Si on n'y arrive pas, alors c'est juste une chanson. Et si c'est juste une chanson, alors on n'a pas vraiment de raison de la mettre là.»
D'autant plus que le morceau, qui date de 1981, s'éloigne ostensiblement des tubes des années 1990 qui ponctuent le film. Encore un accident heureux, mais signifiant pour Blair McClendon: «C'est le morceau qui est plus proche de son époque à lui. D'une certaine manière, le morceau comble le fossé entre eux.»

Une fin dévastatrice
Si cette séquence musicale restera sans doute la plus citée du film, elle ne doit pas éclipser son superbe plan final. Le monteur cite cette ultime image comme une de celles qui n'ont jamais cessé de l'émouvoir tout au long du processus. «Je me souviens qu'en voyant ce plan, je me suis dit: “C'est là que je ressens quelque chose. Et si je dois regarder quoi que ce soit après ça, je vais être très contrarié.» En un dernier mouvement de caméra, Charlotte Wells rassemble les différents lieux et temporalités du film. Et nous laisse avec une dernière envie: celle de rembobiner le film, et tenter de l'élucider une fois de plus.

samedi 11 février 2023

«Et puis des artistes en plus, de nos jours, on en a mis partout par précaution tellement qu’on s’ennuie. Même dans les maisons où on a mis des artistes avec leurs frissons à déborder partout et leurs sincérités à dégouliner à travers les étages. Les portes en vibrent. C’est à qui frémira davantage et avec le plus de culot, de tendresse, et s’abandonnera plus intensément que le copain. On décore à présent aussi bien les chiottes que les abattoirs et le Mont-de-Piété aussi, tout cela pour vous amuser, vous distraire, vous faire sortir de votre Destinée. 
Vivre tout sec, quel cabanon ! La vie c’est une classe dont l’ennui est le pion, il est là tout le temps à vous épier d’ailleurs, il faut avoir l’air d’être très occupé, coûte que coûte, à quelque chose de passionnant, autrement il arrive et vous bouffe le cerveau. Un jour, qui n’est qu’une simple journée de 24 heures c’est pas tolérable. Ça ne doit être qu’un long plaisir presque insupportable une journée, un long coït une journée, de gré ou de force. 
Il vous en vient ainsi des idées dégoûtantes pendant qu’on est ahuri par la nécessité, quand dans chacune de vos secondes s’écrase un désir de mille autres choses et d’ailleurs.»

Voyage au bout de la nuit. Louis-Ferdinand Céline. Gallimard, (1952)

Visionnage domestique toulousain (122) avec Laurie et Pierre : suite étendue du 19 février 2020

 

Comme un avion : Bruno Podalydès sur un kayak

L’acteur et réalisateur signe une comédie douce-amère dont le héros est un cadre désireux de larguer les amarres.
Franck Nouchi (Le Monde) 03 janvier 2019

Un mot suffit parfois pour changer le cours d’une vie. Un mot, pour se laisser ensuite porter par le courant. Dans le cas de Michel, infographiste dans un atelier de création graphique en 3D, le sésame fut une expression prononcée un jour par Rémi, son boss : « vision palindromique ». Le genre de truc qui ne veut rien dire, et qui un jour finit par déboucher sur tout autre chose : kayak. Envie d’évasion. Envie de larguer les amarres. Rêver, autre palindrome, tout éveillé, pour de vrai. Quelque chose de René Char lorsqu’il écrivait : "Impose ta chance, serre ton bonheur. A te regarder, ils s’habitueront."
Alors, Michel n’eut plus qu’une idée. Non pas voler, même si sa passion de toujours était l’Aéropostale, et Vol de nuit, son livre de chevet. Moins dangereux, plus en phase avec son tempérament volontiers pépère et prudent, ce serait la navigation fluviale. En kayak, justement, doté de tout le « matos » nécessaire. Qui veut voyager loin prépare sa monture…
Avant le grand départ, il y eut donc le moment magique de la décision. Commander un kayak en kit sur Internet. En prendre livraison. Le monter dans sa chambre. L’essayer pour de faux sur le toit de l’immeuble de La Celle-Saint-Cloud. Montrer l’embarcation à Rachelle, en espérant que cette femme, belle et lumineuse, comprendrait ce désir irrépressible de larguer les amarres. De partir à l’aventure.

L’aventure à deux pas de chez eux
Cette épouse apparemment admirable comprendra. Mieux, même, elle l’encouragera, avec ce qu’il faut de tendresse et de bienveillance. Une semaine de congés pour aller jusqu’à la mer ? Mais ce ne sera guère suffisant. Tu devrais voir plus grand. Plus loin. Plus longtemps…
Pas du genre à tenter l’impossible, Michel. Plutôt tout le contraire. On imagine le Vieux Campeur dévalisé en un après-midi. « Comme un avion sans ailes… » : Sur l’air fameux de CharlElie Couture, les voilà partis tous les deux dans la petite Smart, kayak sur le toit, vers le lieu de la mise à l’eau. L’aventure à deux pas de chez eux, une jolie rivière dans l’Yonne. Dernière check-list. Trac. Première tentative. Ratée. Deuxième… C’est parti !
A ce stade du film – et de cette critique –, une question surgit : de quoi s’agit-il ? Une comédie burlesque ? Une histoire douce-amère, vaguement dépressive ? Une fable ? Un film sociologique sur un cadre bobo en mal de sensations et de dépaysement ?

De l’humour, beaucoup, mais aussi un regard lucide et sans complaisance posé sur la vie qui va
La suite, à peine quatre kilomètres plus loin, en décidera. Premier arrêt. Premier amarrage. Première escapade. A quelques encablures, le paradis sur terre. Une maison à la française, un restaurant buvette, sa jolie serveuse, sa belle patronne ; et deux énergumènes, casque Bluetooth sur la tête, en train de repeindre en bleu tout ce qui leur tombe sous la main.
Michel, qui pense enfin toucher au but. Ne plus sentir la pression du temps. Certes mentir un tout petit peu, trois fois rien, quelques photos avec son smartphone pour laisser croire à sa femme qu’il continue à voguer, mais pour la bonne cause : se laisser vivre, sans contrainte, au fil de ses désirs et des désirs des autres.
On retrouvera dans Comme un avion ce qui faisait le charme et la poésie des précédents films de Bruno Podalydès, en particulier Dieu seul me voit (Versailles-Chantiers) et Liberté-Oléron. De l’humour, beaucoup, mais aussi un regard lucide et sans complaisance posé sur la vie qui va (plus ou moins bien d’ailleurs).

S’offrir une petite folie
Michel, c’est donc Bruno Podalydès. Réalisateur et acteur. Le genre de type qui, arrivé à la cinquantaine, pas trop heureux du sort que lui réserve la vie – il se rêvait en Mermoz, alors, pensez, des infographies en 3D, ça ne le fait pas forcément ! – veut forcer son destin. Enfin, forcer, n’exagérons pas, disons plutôt s’offrir une petite folie, à l’écart du train-train routinier. Décision d’autant moins évidente qu’il vit avec une femme « lumineuse » – c’est lui qui le dit (Sandrine Kiberlain). Mais c’est justement parce que sa femme l’est à ce point, merveilleuse, compréhensive, attentive, que lui, le bobo bourru – tellement obsédé par le « matos » qu’on se dit que cela doit bien cacher une foultitude d’angoisses et de névroses – ose ce grand départ.
Enfin, là encore, modérons l’expression : un tout petit départ de rien du tout sur une petite rivière, certes paradisiaque, mais de rien du tout elle aussi. Aventure toute relative, mais aventure tout de même. Evasion. Appropriation du temps. Et découverte d’autres gens, différents, moins stressés, moins urbains, la délicieuse Mila (Vimala Pons) et la plantureuse et énergique Laetitia (la patronne de l’auberge enchantée, Agnès Jaoui).
A mi-film, on se dit que l’utopie va triompher, à la manière d’un manifeste new age soixante-huitard ; et puis non, la vie – et la géolocalisation – reprend ses droits. Impossibilité de s’échapper, comme ça, au fil de l’eau, en douceur. Juste une fenêtre ouverte, un moment sur un coin de paradis. Un avant-goût de liberté ? Même pas, tant ce Michel semble d’emblée peu enclin à toute forme de rupture, prisonnier d’une société qui l’a formaté à souhait.


Comme un avion, film de Bruno Podalydès. Avec Bruno Podalydès, Sandrine Kiberlain, Agnès Jaoui (Fr., 2015, 105 min).

vendredi 10 février 2023

Théâtre au cinéma (5) avec Laurie

 

Le roi Lear (Shakespeare / Thomas Ostermeier) 2023

Visionnage toulousain en salle (46 bis) à l'ABC



Aftersun : derrière le soleil voilé du souvenir
Véronique Cauhapé

Grand Prix au Festival de Deauville, le premier long-métrage de la réalisatrice écossaise Charlotte Wells raconte avec émotion les jours heureux entre un père et sa fille.

Certains films sont comme ça, qui, dès les premières minutes, accrochent votre rétine, se branchent à votre inconscient, parlent à une part enfouie de vous-même. Sans rien montrer d’exceptionnel. Au contraire. Cela tient sans doute au grain de l’image, à la nature d’une situation, aux visages et à la justesse d’une expression. Aftersun, présenté à Cannes en 2022 à la Semaine de la critique, appartient à cette catégorie. Bouleversant dans la simplicité apparente de son sujet qui, en réalité, révèle à mesure, et sous des airs plutôt tranquilles, tout ce qui fabrique une vie, la défait, la meurtrit, ce sur quoi elle s’appuie pour tenter de garder l’équilibre. Le film se passe sur quelques jours dont on sait qu’ils sont perdus à jamais. Dès lors en perçoit-on d’emblée la mélancolie.
Aftersun ouvre un album de souvenirs. Les derniers que Sophie a partagés avec son père, lors d’une semaine de vacances dans un hôtel club de la côte turque. Elle avait 11 ans, le père une trentaine d’années. Vingt ans ont passé, la mémoire a fait son œuvre, revisité et réinterprété certains épisodes. Des zones d’ombre se sont éclaircies, d’autres sont demeurées opaques. Désormais en couple, Sophie, tout récemment devenue mère, revient à ces images dont on soupçonne qu’elle n’a cessé de les interroger. Dans l’espoir d’y trouver un indice qui puisse aider à mieux appréhender, voire comprendre, la disparition du père survenue après ce fameux été.

Magnétique Paul Mescal
C’est donc ce regard adulte posé sur l’enfance, et plus précisément sur l’amour infini, absolu, singulier, unissant un père et sa fille, que met en scène le premier long-métrage, largement autobiographique, de la réalisatrice écossaise Charlotte Wells. Lequel, on s’en souvient, a retourné le public du Festival de Deauville 2022 et mit unanimement d’accord le jury présidé par Arnaud Desplechin, qui lui a décerné le Grand Prix.
Le charme envoûtant d’Aftersun tient à la fragilité, à cette sensibilité secrète que la réalisatrice rend palpable. En particulier grâce aux deux personnages et à leurs interprètes. Le père, Calum – corps solide, sourire tendre et enfantin, regard d’une tristesse abyssale – auquel Paul Mescal prête une grâce magnétique. Le rôle vaut au comédien irlandais (révélé dans la série Normal People, de Lenny Abrahamson) d’être nominé, cette année, à l’Oscar du meilleur acteur. A son côté, Sophie – magnifique Frankie Corio, petit bout de femme en devenir, aussi légère que grave, un pied dans l’insouciance, l’autre trébuchant sur les premiers obstacles de l’adolescence. Ces deux-là réunis nous enchaînent à leur moindre geste, nous absorbent dans la contemplation de leurs échanges complices, de leurs étreintes sans ambiguïté, de leurs premiers désaccords.
Tout ce qui aurait pu nous paraître banal devient dans « Aftersun » captivant et profondément touchant

Le film commence en même temps que leurs vacances, dès l’arrivée à l’hôtel. Il se poursuit au fil de jours presque semblables. Baignades, bains de soleil, plongée sous-marine, parties de billard, séances de hammam, dîners en tête à tête. « On est là pour s’amuser », rappelle régulièrement Calum à sa fille. Tous deux d’ailleurs s’y appliquent. Ignorant qu’ils sont les derniers de leur histoire commune, ils savent cependant combien ces moments insignifiants sont rares et précieux. Caméscope en main, chacun à tour de rôle prend le temps de les immortaliser. Bouts de film que la réalisatrice intègre à son film, variant ainsi les points de vue, superposant les couches et les textures, pour tenter de saisir au plus près cette figure du père dont on décèle petit à petit les failles, l’immense douleur qui la traverse.
Celles-ci se manifestent en de fulgurants éclairs, inscrivent sur la toile de minces défauts qui suffisent à érafler le bleu du ciel et de la mer. Il faut les saisir au détour d’un regard, d’un silence, d’un temps suspendu, d’un détail, d’un parti pris formel (mises au point floues rendant l’image incertaine, cadrages décentrés). Sans en avoir l’air, le chagrin que s’évertue à contenir Calum distille doucement son venin, se glisse sous les interstices, voile la belle et douce lumière de fin d’été. C’est à ce point de rencontre – où l’indolence se mêle au mal-être – que se crée l’alchimie. Et que tout ce qui aurait pu nous paraître banal devient dans Aftersun captivant et profondément touchant.
Sans lyrisme ni effusions sentimentales, Charlotte Wells semble se contenter de rendre compte des faits et gestes de ses personnages dont, en réalité, elle laisse transparaître le mystère. A mesure qu’il approche de la fin, le film superpose les strates, se fractionne sous les lumières d’un stroboscope qui morcelle les corps et confond différents espaces-temps. Passé, présent, on ne sait plus. Charlotte Wells crée un brouillage destiné à nous faire lâcher prise. Quand l’album s’apprête à être refermé, il ne s’agit plus d’essayer de comprendre, mais de se laisser porter par l’émotion. Et de la garder comme un dernier souvenir.

Film anglais et américain de Charlotte Wells. Avec Paul Mescal, Frankie Corio, Celia Rowlson-Hall (1 h 42)

Laure Calamy

«Plus jeune, j'ai dragué comme un homme, avec la liberté qu'on n'autorise qu'aux hommes»
Ondine Millot Le Figaro (25 novembre 2022)


Elle a la fureur de dire. Au théâtre, où elle a cultivé l'exigence avant d'illuminer à 40 ans le cinéma avec sa grâce aussi fantasque qu'atypique. Déjà multirécompensée, l'actrice poursuit son ascension avec trois films.
C'est la première chose qu'elle a dite, après les bonjours d'usage. Laure Calamy aimerait bien avoir notre numéro de téléphone. Parce qu'après les interviews, souvent, elle a envie de rappeler les journalistes. Pour préciser un mot, développer un sujet esquissé. La perfection d'une scène de théâtre répétée mille fois, d'une dix-huitième prise au cinéma, elle aimerait les transposer dans la vie. Sans que cela n'entame sa légendaire spontanéité, au contraire. C'est cette exigence, cette intranquillité permanente, qui lui permet de chahuter les certitudes, d'être ivre sans alcool, pudique sans vêtements, drôle dans le désespoir ou amère dans l'allégresse, et de monter les marches de Cannes en dansant le french cancan.
À 47 ans, avec trois films où elle tient le haut de l'affiche (dans les salles ces prochains mois), Laure Calamy est le tourbillon de liberté qu'attendait le cinéma français. Un ouragan soudain, après vingt années de relatif anonymat sur les planches du théâtre public, déclenché par la déflagration de la série Dix pour cent , en 2015. Elle a, depuis, tourné vingt-cinq films en sept ans, décroché de très beaux premiers rôles et un César de la meilleure actrice pour Antoinette dans les Cévennes , en 2021. Et conservé cette fraîcheur qui la fait débouler au rendez-vous à vélo, casque turquoise sur la tête et manteau rouge pimpant.

Annie Colère, un film engagé
Le vélo aussi est rouge, authentique modèle des années 1970, garde-boue chromés et vieux ressorts sous le cuir craquelé de la selle. C'est celui qu'elle enfourche dans le film Annie Colère, de Blandine Lenoir . Un rôle écrit pour elle, qui lui colle tant à la peau qu'il semble logique qu'elle ait gardé le vélo. L'histoire se situe en 1974. Annie, ouvrière dans une usine à matelas, mariée, mère de deux enfants, rencontre les militantes du Mlac, le Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception. « Ma mère m'a raconté cette époque, sa jeunesse, dit l'actrice. On ne mesure pas à quel point les avortements clandestins faisaient alors partie de la vie des femmes. Avec les risques encourus. Cinq mille femmes en mouraient chaque année. Les comités du Mlac pratiquaient des avortements sûrs et sans douleur, le revendiquaient malgré l'illégalité. Ils ont mis une pression considérable : sans eux, la loi Veil légalisant l'IVG n'aurait jamais été votée.»

«Ma mère, une transfuge de classe»
Dans l'enthousiasme de Laure Calamy à défendre le film, il y a son propre engagement féministe, affirmé depuis toujours, la vigilance que réveille la régression américaine, «la façon dont même en France, le droit à l'avortement est remis en cause de manière sournoise, avec des médecins qui invoquent la clause de conscience, la fermeture des maternités». Il y a aussi un écho autobiographique «avec le parcours de ma mère, transfuge de classe», fille de petits paysans du Béarn devenue infirmière puis psychologue en reprenant ses études à 30 ans. Il y a aussi, enfin, la jouissance de jouer un parcours que rien ne prédestine. «C'est un film joyeux, lumineux. Annie, cette femme d'un milieu modeste, qui est dans la vie comme on lui a dit de faire – tu vas avoir des gosses, travailler dur, écouter ton père puis ton mari –, tout à coup s'autorise à penser par elle-même. Grâce aux autres, en se confrontant avec ces femmes de toutes origines sociales, elle chemine vers des endroits dont elle ne soupçonnait pas l'existence.»

Belle mais pas irréelle
Ce retournement du sort, cet empowerment féminin, Laure Calamy les incarne. Elle est la preuve que l'on peut commencer une carrière de premiers rôles au cinéma passé 40 ans, que l'on peut incarner l'éclat et la beauté au-delà des standards étriqués de la cinégénie. «Elle fait partie de ces actrices qui ont permis de projeter autre chose sur les femmes, dit son amie metteuse en scène Léna Bréban. Représenter des femmes désirables, auxquelles les spectatrices peuvent s'identifier.» «Elle est belle, mais elle n'est pas irréelle, renchérit la cinéaste Blandine Lenoir. Et elle assume son corps joyeusement. C'est une petite femme ordinaire, qui est en fait extraordinaire.»
Elle a été une mère dépassée dans Ava, de Léa Mysius (sa première nomination aux César), une employée d'un entrepôt Amazon dans Nos Batailles, de Guillaume Senez, une épouse d'agriculteur dans Seules les bêtes, de Dominik Moll, avant de crever l'écran dans trois premiers rôles renversants : l'institutrice amoureuse d'Antoinette dans les Cévennes, de Caroline Vignal, la prostituée qui se bat pour payer les études de son fils d'Une femme du monde, de Cécile Ducrocq, la femme de chambre dans un palace parisien d'À plein temps, d'Éric Gravel.
À travers ces personnages se retrouve un certain modèle, celui d'une femme du peuple dont le courage ou la quête ne peuvent que provoquer l'empathie du spectateur, un sentiment que, visiblement, elle inspire aussi aux réalisateurs. Pourtant, dans l'Origine du mal, de Sébastien Marnier, où elle trime à nouveau au bas de la chaîne sociale, dans une conserverie de poissons, elle se réjouit de susciter un trouble plus ambivalent.

Talent libre
«Je ne veux aucune morale dans mes personnages. On a tous en soi le beau comme le laid. Ça ne m'intéresse pas de juger, mais d'essayer de comprendre. De se dire, au départ, cette personne a été un enfant.» Elle cite Michel Serrault jouant le criminel Docteur Petiot, semble rêver d'une aventure comparable, défend l'association du tragique et de la drôlerie, comme chez son mentor au théâtre, le dramaturge et metteur en scène Olivier Py. « Une situation dite drôle part souvent de choses navrantes. Une chute, un échec. L'être humain est grotesque et touchant. C'est vrai que parfois, plus j'ai l'occasion d'être ridicule ou d'être “trop”, plus ça me plaît. » On recommande son crescendo de fureur paranoïaque, jubilatoire, dans Garçon chiffon, le premier film du comédien Nicolas Maury. «Nous avons ce point commun de côtoyer des gouffres, dit l'acteur, son alter ego comique dans la série Dix pour cent. Et de jouer avec nos angoisses.»

Le pouvoir des mots
Elle confirme. Raconte que certaines situations pour d'autres banales, comme l'exercice promotionnel à la télévision, peuvent la plonger dans des affres. «Je sais déployer un discours, être inspirée, heureusement. Mais je peux aussi me bloquer, perdre mes mots, mes esprits, et… être paralysée. C'est très pénible. Il y a une année de ma vie, au collège, où je ne parlais quasiment plus…» Elle se tait. Rit soudain, comme pour reprendre son impulsion. «Bref, c'est vrai que dans la vocation d'acteur, il y a toujours la volonté d'être regardé. Mais il y a aussi les mots. Je trouvais magnifique d'incarner des textes, des choses qui sont dites, justement, pas comme dans la vie. Que ce soit du Claudel, du Marivaux, du Feydeau, tout à coup, comme dans le conte, ce ne sont plus des crapauds qui sortent de votre bouche mais des bijoux. Ça m'a sauvée de quelque chose. De l'angoisse dans laquelle on peut être, adolescente, face à l'existence.»
Petite fille casse-cou et « sans doute fatigante », elle aimait grimper aux arbres et courir pieds nus dans les vergers autour du lotissement pavillonnaire où elle a grandi, près d'Orléans. Son amie Léna Bréban, élève avec elle au lycée, se souvient d'une ado moins exubérante, «maquillage charbonneux façon The Cure, avec cet air un peu éteint qu'on se donne à cet âge». Enfant unique de parents qui se sont faits seuls, Laure Calamy descend de lignées pour qui la vie ne fut pas tendre. Côté paternel, le grand-père, médecin de campagne, meurt à 42 ans, laissant sa femme avec cinq enfants. Son père, qui deviendra aussi médecin, grandit en pension. Côté maternel, il y a le récit «mythique», rit-elle, des vingt-et-une grossesses de son arrière-grand-mère. «Elle a passé presque vingt ans de sa vie enceinte. C'était dans le milieu paysan, mon grand-père, son fils, a été valet de ferme à 7 ans.»

La rencontre avec Olivier Py
À la maison, la jeune Laure entend ses parents parler entre eux de soins et de patients - «mais jamais avec les noms, ils étaient très respectueux du secret médical». Son père dirige le service d'infectiologie de l'hôpital de La Source, à Orléans, au moment de l'épidémie du sida. Sa mère, psychologue, travaille avec lui «pour les malades, mais aussi pour les soignants». «Il y avait trop de choses à encaisser, la mort de gens jeunes, rongés à petit feu.»
Elle part à Paris à 18 ans avec l'intention de devenir comédienne, une vocation entrevue enfant – «un cours de théâtre, je n'y étais allée qu'une fois, mais ça m'avait tellement plu… j'étais heureuse» – confirmée au Festival d'Avignon devant La Servante, d'Olivier Py - «certains n'aiment pas sa démesure, moi, au contraire, c'est ce qui m'a décidée à faire ce métier».

Une bête de scène
Elle retrouve le metteur en scène en dernière année de ses études au Conservatoire de Paris, fait ses armes dans le théâtre jeune public, à l'assaut des salles communales avec Léna Bréban. «Il fallait la voir, raconte cette dernière, face à six cents gamins qui hurlaient de rire, subjugués. Elle les tenait tous, elle les emmenait très loin. C'est une bête de scène.» Dans la pièce Les Inséparables, créée par Léna Bréban, Calamy incarne un petit garçon. Lors des rencontres avec le public, en bord de plateau, elle enlève sa perruque, redevient femme, s'amuse de la déception ou au contraire de la joie provoquées. «Jouer, c'est être au-delà des genres. Ce n'est pas notre sexe qui nous définit, il faut arrêter de se caractériser par ça. On est tellement plus intéressants ailleurs.»

Un compagnon, guide de montagne
Plus jeune, elle a «dragué comme un homme, avec la liberté qu'on n'autorise qu'aux hommes». «C'est mon côté travelo», rit-elle, en citant son livre préféré, Orlando, de Virginia Woolf, l'histoire d'un jeune noble qui se réveille dans un corps féminin et fait l'apprentissage d'une condition sociale bien plus contrainte. Aujourd'hui, elle rejoint dès qu'elle peut son compagnon, guide de montagne, dans son mazet des Cévennes, où ils vivent sans eau ni électricité. Elle n'a pas d'enfant, et aimerait là aussi que cesse cette injonction aux femmes, même si elle adore ceux des autres et particulièrement son beau-fils et son filleul. «Les enfants, quand vous êtes avec eux, c'est une bulle, un shoot de ludisme, de temps présent. Où vous oubliez justement que l'idéal, pour la planète, serait de faire moins d'enfants…»

Deux autres films sortiront début 2023, Les Cyclades, de Marc Fitoussi, et Bonne conduite, de Jonathan Barré, avant Iris et les hommes, de Caroline Vignal. Elle reprend sa métaphore de la bulle pour parler des tournages qu'elle enchaîne, enjouée à profiter de l'engouement qu'elle suscite. «Il y a ce côté heureux du collectif, comme partir en troupe en tournée. On est dans ce monde qu'on crée tous ensemble.» La vie, en mieux.

photographie Luc Braquet

jeudi 2 février 2023

«La musique à programme, disait le maître, ces morceaux colorés du XIXe siècle ont été délaissés comme la peinture figurative ou le roman d'action pour une musique plus épurée, moins pittoresque. Et si, pour la peinture, la photographie a pris la place, si pour la littérature, le cinéma a pris la place, pour la musique, on se demande d'où vient ce mouvement du concret vers l'abstrait, car rien n'a remplacé ces morceaux où l'auteur précisait de quoi il s'agissait, les aventures de Sindbab le marin dans Shéhérazade, les scènes au bord du ruisseau de la Symphonie pastorale, rien ne les a remplacés si bien qu'on pourrait croire cette évolution inhérente à tout art, que l'art se donne pour objet de représenter le monde ou le décrire, puis dans un deuxième temps de se représenter lui-même. Ainsi la peinture parle de la peinture, la littérature de la littérature et la musique de la musique.»

Conversations avec le maîtreCécile Wajsbrot. Denoël (2007)

Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (56)

«La Jeune-Fille ne crée jamais rien, en tout, elle se récrée.»

Premiers matériaux pour la théorie de la jeune-FilleTiqqun. Mille et une nuit. (2001)