jeudi 29 octobre 2015

«Mais quoi ! les Sciences sont-elles donc inutiles ? Ou, si elles sont utiles, d'où vient que les Hommes, attachez comme ils sont à leur intérêt, les regardent avec tant d'indifférence ? Certainement si les Connoissances, dont les Hommes sont capables, ne servoient de rien, ou si elles étoient de peu d'usage ; je ne trouverois pas étrange, qu'on eût que peu ou point d'empressement à les acquérir.»

Discours sur l'utilité des lettres et des sciences par rapport au bien de l'État, prononcé aux promotions publiques du Collège de Lausanne, le 2 de mai 1714. Jean Barbeyrac. Pierre Humbert (1715)

lundi 26 octobre 2015

«Certaines affections nerveuses ont également été diminuées par l'influence salutaire de la vaccine. Quelques épileptiques, au rapport de M. Isabeau, ont eu l'avantage de voir suspendre ou retarder leur accès d'une manière remarquable après l'effet d'une vaccination régulière. Un enfant de deux ans, atteint de la danse de Saint-Gui, fut vacciné par M. Rack, qui lui fit douze piqures le long de la colonne vertébrale. Pendant la suppuration des boutons, la traction des jambes et les mouvements désordonnés des bras avaient sensiblement diminué ; mais à peine la dessication des boutons eut-elle lieu, que les symptômes de la chorée reparurent avec la même intensité. Il est difficile de ne pas admettre, dans ce cas, une influence bien immédiate de la vaccine sur la maladie principale qui reprend son premier caractère quand l'action qui l'avait momentanément enchaînée, vient à s'éteindre.»

Rapport du Comité central de vaccine sur les vaccinations pratiquées en France pendant l'année 1816. Imprimerie royale (1818)

dimanche 25 octobre 2015

«- C'est ce que me dis toujours Mondoux.
Thérèse demanda : " Qui est Mondoux ? Mais elle savait d'avance qui était Mondoux : le type prodigieux que connaissent toujours les garçons de cet âge, l'ami qui a tout lu, qui peut déchiffrer n'importe quelle partition, qui a une mystique ; la merveille qu'ils sont impatients de vous présenter et que d'avance la femme déteste. "Vous verrez, il ne se livre pas tout de suite, mais s'il est bien disposé..." Presque toujours, il s'agit d'un personnage remarquable par ses boutons et par sa pomme d'Adam, fou de timidité, d'orgueil et de jalousie. L'influence de Mondoux est toujours redoutable...»

La Fin de la nuit. François Mauriac. Éditions Bernard Grasset (1935)
«L'âme fataliste, ou si l'on veut prophétique, comme parle Hegel, est aux écoutes ; elle cherche des signes, elle les appelle ; elle va au-devant des signes, elle les fait surgir par incantation. D'un côté elle méprise, elle écarte, elle fait taire par violence tout ce qui n'est pas signe ; et le simple bonheur lui est par là  plus directement odieux qu'aucune autre chose. De l'autre, elle s'entraîne elle-même vers l'état sibyllin, déclamant à elle-même et aux autres.»

Mars ou la guerre jugée. Alain. Éditions Gallimard (1936)

vendredi 23 octobre 2015

Réminiscence personnelle (10)

«Enfin il y avait encore deux accordéons. Ma parole, je n'avais jusqu'alors aucune idée du parti qu'on pouvait tirer de ce grossier instrument populaire ; l'harmonie des sons, le jeu, surtout l'expression, la compréhension, le rendu parfait des motifs, étaient véritablement extraordinaires. C'est là que je compris pour la première fois quel abandon infini, quel amour du risque recèlent les airs de danse si entraînants de la Russie.»

Souvenirs de la maison des mortsDostoïevski. Editions Gallimard (1950)

jeudi 22 octobre 2015

Les rondes



Je n'ai pas fait de rondes
Pas joué au cerceau
Moi je suis de ce monde
Où l'on se fout à l'eau

A la fin de l'année
On m'oubliait souvent
Et j'avais tout le temps
De recompter les têtes,
Dans la cour des vacances
Je jouais à la marelle
Je régnais en silence
Et j'étais la plus belle

Je n'ai pas fait de rondes
Pas joué au cerceau
Moi je suis de ce monde
Où l'on se fout à l'eau

J'inventais des navires
Qui venaient me chercher
Et l'on courrait me dire
Que j'allais m'en aller,
On coulait au grand large
Le parc et le préau
Au creux de chaque vague
On larguait les barreaux

Je n'ai pas fait de rondes
Pas joué au cerceau
Moi je suis de ce monde
Où l'on se fout à l'eau

Et sonne une heure encore,
Mon bateau s'est noyé
Il n'y a pas de port
Et l'amarre est cassée,
Racontez-moi les rondes
Les marelles, les cerceaux

Moi j'étais de ce monde
Où l'on se fout à l'eau.

Paroles : Gribouille. Musique : Jean-Claude Annoux
«Vivre avec les hommes comme avec des ennemis dont on se défie, être sans cesse occupé à saisir sur eux jusqu'aux plus légers avantages, censurer avec aigreur ou avec emportement leurs foiblesses & leurs imprudences, ne pouvant leur pardonner de valoir quelquefois mieux que nous, & repousser, si j'ose dire, leur supériorité comme une tyrannie, n'est-ce pas acheter leur haine par l'injustice ?»

Considérations sur le génie et les mœurs de ce siècle
. Jean Soubeyran de Scopon. Durand (1750)
«Et faut noter premierement ce que l'Apostre dit, que ceux qui défendent de se marier sont cauterisez en leur propre conscience ; d'autant qu'ores que par ceste defence ils veuillent faire semblant d'aimer la continence, néanmoins ils sentent en leur conscience le cautere de leurs incontinences qui les brusle ; & sont convaincus en eux-mesmes d'estre mille fois plus incontinens que ceux qui se marient.»

Zacharie, ou de la Saincteté du mariage, et particulièrement du mariage des ecclésiastiques. Contre l'usage des sous-introduites, & autres impuretés des consciences cauterizées. Jean Faucher.  Veuve de Jean Vaguenar (1627)

mardi 20 octobre 2015

«Jusqu'à un an environ, les enfants vivaient accrochés à leur mère, dans un sac de coton ceint au ventre et aux épaules. On leur rasait la tête jusqu'à l'âge de douze ans, jusqu'à ce qu'il soient assez grands pour s'épouiller tout seuls et ils étaient nus à peu près jusqu'à cet âge aussi. Ensuite ils se couvraient d'un pagne de cotonnade. A un an la mère les lâchait  loin d'elle et les confiait à des enfants plus grands, ne les reprenant que pour les nourrir, leur donner, de bouche à bouche, le riz préalablement mâché  par elle.»

Un Barrage contre le Pacifique. Marguerite Duras. Gallimard (1950)
«Dans ma chambre, à peine avais-je fermé les yeux que la blonde du cinéma venait me rechanter encore et tout de suite pour moi seul alors toute sa mélodie de sa détresse. je l'aidais pour ainsi dire à m'endormir et j'y parvins assez bien... Je n'étais plus tout à fait seul... Il est impossible de dormir seul...» 

Voyage au bout de la nuitLouis-Ferdinand Céline. Éditions Gallimard (1952)

dimanche 18 octobre 2015

Analogies possible avec les Muses galantes

«Mais que diable avons-nous besoin d'une langue et d'une plume ? Et, en tous cas, d'où nous vient ce besoin pervers de faire tourner la première inconsidérément  devant les auditeurs bouche bée ou paupières closes, de faire grincer la seconde en vue le plus souvent de remédier à l'insuffisance de notre vie ? Lesquels d'entre nous ont encore la pudeur de se livrer à ce fâcheux exercice  seuls devant eux-mêmes ? Les maniaques, les vieux garçons, les fous. Et notez que moi-même, je ne nie pas avoir sollicité une audience, restreinte, très restreinte, il est vrai. Mais enfin une audience. 

Oeuvres complètes : Le BavardLouis-René des Forêts. Quarto Gallimard (2015)

«Tenez un souvenir : dans mon enfance étaient à la mode - pas uniquement chez les gosses,  non, mais aussi, parmi les grandes personnes - de petits machins que l'on appelait des  "négatis" pour lesquels on avait, n'est-ce pas, un miroir spécial qui non content d'altérer les objets, vous les déformait au point qu'on n'y comprenait plus goutte ; trous, embrouillamini, lignes fuyantes sous vos yeux. Mais loin d'être un effet du hasard, cette déformation était justement calculée exprès... ou bien plutôt à cette fausseté du miroir se trouvaient assortis de telle manière... Non, attendez, je vous explique mal... En un mot, on disposait de l'un de ces miroirs et de toute une collection de "négatis", c'est à dire des objet qui semblaient dépourvus de sens, divers fourbis sans formes, bariolés, percés, comme certains fossiles... Mais le miroir qui dénaturait les objets ordinaire recevait dès lors, faut croire l'aliment qui lui convenait, je veux dire que si l'on plaçait l'une de ces choses incompréhensibles et difformes de façon qu'elle reflétât dans la glace incompréhensible et déformante, on obtenait un résultat remarquable : non plus non égalait oui, tout se rétablissait comme il le fallait, tout devenait parfait et voilà que la chose tordue, maculée, informe, produisait dans le miroir en question une belle image harmonieuse : des fleurs, un navire, un personnage, un paysage quelconque.

Invitation au suppliceVladimir Nabokov. Éditions Gallimard (1960)

«Il était modeste et fier : un jour Alcibiade lui donna un grand terrain pour bâtir une maison. Socrate lui dit : "Et si j'avais besoin de chaussures, et que tu viennes me donner du cuir, pour que je me les fasse moi-même, crois-tu qu'en l'acceptant je ne serais pas ridicule ?" Souvent, regardant la foule des choses que l'on vend, il se disait en lui-même : "Combien il y en a dont je n'ai nul besoin !" Il citait constamment ces vers :
Ornements d'argent et de pourpre
Servent au théâtre, non à la vie.»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Socrate. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

samedi 17 octobre 2015

«Si la bêtise, en effet, vue du dedans, ne ressemblait pas à s'y méprendre au talent, si vue du dehors, elle n'avait pas toutes les apparences du progrès, du génie, de l'espoir et de l'amélioration, personne ne voudrait être bête et il n'y aurait pas de bêtise. Tout au moins serait-il aisé de la combattre. Le malheur est qu'elle ait quelque chose d'extraordinairement naturel et convaincant.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)
«Une fois, je lui dis :"Comment ça se fait, monsieur, avec la grande intelligence que vous avez, et les dix ans ça fait que vous vivez dans la règle monastique, et dans le retranchement complet de votre vouloir propre, que vous entrez toujours pas dans les ordres, pour être, là, complètement parfait ?" Et il me répond : "Qu'est-ce que tu dis, vieillard, de mon intelligence ; si ça se trouve, c'est mon intelligence, qui me rend aveugle au lieu que, moi, je la dompte. Et puis, tu réfléchis sur l'entrée dans les règles ; moi si ça se trouve, depuis longtemps, j'ai perdu ma mesure. Et qu'est-ce que tu me dis, le retranchement de mon vouloir ? Mon argent, tiens, j'y renoncerai tout de suite, mes titres, je peux les rendre, toutes mes médailles, pareil, je les poserais sur la table, mais une pipe de tabac, dix ans ça fait que je me bats, pas moyen que j'y renonce. Alors, quel ermite je ferais, après ça, et de quel retranchement de mon vouloir tu me fais des éloges ?"»

L'AdolescentFédor Dostoïevski. Actes Sud (1998)
«Chez un pharmacien, Jacques Legras demandera un médicament pour se rendre malade. Pas trop... Pour avoir l'air malade. Afin d'obtenir quelques jours de congé de la part de son patron. Pourquoi ? Une petite amie arrive de province...  Il faut bien lui consacrer ses journées...  Ses nuits sont déjà prises...
- Vous comprenez, madame la pharmacienne... Vous connaissez la vie... je n'ai pas besoin de vous expliquer davantage.
- Mais monsieur, les médicaments sont faits pour guérir, pas pour rendre malade !
- Oh vous avez bien quelque chose qui va me détraquer un peu le foie !... Juste pour me donner mauvaise mine !»
 
Les Employés du gag : Gardez le sourire, la Caméra invisibleJacques Rouland. Calmann-Lévy (1966)

vendredi 16 octobre 2015

Des prix pour tout

«On payoit tousjours plus pour le masle que pour la femelle, mais non tousjours en mesme proportion. Le taux estoit différent selon les aages, mais avec beaucoup de diversité.
Depuis un mois après la nativité, jusques à l'aage de 5 ans, la femelle payoit 3 Cinquiemes de la somme que l'on payoit pour le masle.
Depuis 5 ans jusques à 20, la femelle payoit justement la moitié de l'estime du masle.
Depuis 20 ans, jusques à 60, derechef 3 Cinquiemes.
Depuis 60 ans jusques à la fin de sa vie, les 2 tiers de la somme.
Ces inégalitez de proportions avoyent leurs raisons, quoy que fort difficiles à trouver. L'aage nubile de la femme, celuy auquel elle cesse de produire enfans, celui auquel l'homme est capable de servir en guerre ou d'exercer Offices publics, toutes ces circonstances, & autres bien pesées, pourroyent nous montrer la justesse de telles disproportions.»

Essay Des Merveilles De Dieu En L'Harmonie Des Temps, des Generations, & des plus illustres evenements y enclos. Depuis l'origine des siecles, jusques à la closture du Nonveau Testament. Jean d'Espagne. A. Williamson (1657)

jeudi 15 octobre 2015

Patchwork humain d'avant la mondialisation

«Il arrive que les déreglemens des hommes, leurs erreurs & leurs passions, ne sont jamais singulières ; il y en a de Villes, de Provinces, de Royaumes, & de siècle. Les François ont leurs vices & leur passions particulieres, que toutes les autres nations reconnaissent. Il en est de même des Italiens, des Espagnols, des Anglois, & des Allemands. Il y en a de sexe, de condition & d'âge. Et on peut dire (à la honte du genre humain) que la foiblesse de l'homme est si grande à s'y laisser aller, qu'on ne se trompe presque jamais à juger tous ceux qui sont de cet âge, de cette condition, de ce sexe & de ce païs, engagé dans les mesmes passions, & qu'à ces vices on reconnoit leur âge, leur condition, leur sexe et leur païs.»

Traité de la volonté, de ses principales actions, de ses passions, et de ses egaremens. Claude Ameline.Guillaume Desprez (1684)
«Faudra-t-il approuver l'extrême liberté que les femmes ont en France, & tomberons-nous d'accord avec les Français que le commerce fréquent & libre entre les deux sexes, les préserve de la corruption grossière, où succombent en d'autres pays quelques unes de ces femmes que l'on tache de tenir renfermées ? Pour  décider cette question, on en peut former une autre, c'est de sçavoir si le caractère de ce sexe, qui dans le fond, & selon la pratique de tant de Nations,, demande de la retraite & quelque sequestre ; si ce caractère, dis-je, n'est pas miné & détruit par la manière de vivre établie en France, & si cela est, je demande encore lequel de ces deux inconvéniens est le plus grand ; celui de ne pouvoir empêcher que de tems en tems des femmes se laissent tenter par l'occasion & s'échappent, ou l'inconvénient de voir chaque jour de la vie les femmes en général, sortir du caractère de leur sexe & se corrompre le cœur, sans même que tout ce qui se passe à cet égard soit compté pour des échappées.»

Lettres sur les Anglois et les François et les voyages, avec la lettre sur l'esprit fort, l'instinct divin recommandé aux hommes, & l'apologie du caractère des Anglois & des François, &c. Béat Louis de Muralt. David l'aîné (1747)
«M. d'Alembert, petit et fluet, fut un jour confondu par la répartie d'une dame de beaucoup d'esprit ; il défendoit avec vivacité l'état de nature, pour établir son système favori de l'égalité. M. d'Alembert, lui dit cette dame, je ne vous conseille pas de tant désirer l'état de nature ; vous courriez risque que l'on vous fît votre part bien petite.»

Mémoires d'un voyageur qui se repose, contenant des anecdotes historiques, politiques et littéraires, relatives à plusieurs des principaux personnages du siècle. Louis Dutens. Bossange Masson et Besson (1806)

dimanche 11 octobre 2015

L'Éblouissement des prémisses (incipit 10)

«On signalait une dépression au dessus de l'Atlantique ; elle se déplaçait d'ouest en est en direction d'un anti-cyclone situé au-dessus de la Russie, et ne manifestait encore aucune tendance à l'éviter par le nord. Les isothermes et les isothères remplissaient leurs obligations. Le rapport de la température de l'air et de la température, annuelle moyenne, celle du mois le plus froid et du mois le plus chaud, et ses variations mensuelles apériodiques, était normal. Le lever, le coucher du soleil et de la lune, les phases de la lune, de Vénus et de l'anneau de Saturne, ainsi que nombre d'autres phénomènes importants, étaient conformes aux prédictions qu'en avaient faites les annuaires astronomiques. La tension de vapeur dans l'air avait atteint son maximum, et l'humidité relative était faible. Autrement dit, si l'on ne craint pas de recourir à une formule démodée, mais parfaitement judicieuse : c'était une belle journée d'août 1913.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)

vendredi 9 octobre 2015


«Quoiqu'il en soit Du Fresnoy l'épousa. Je crois qu'on peut placer ce mariage vers 1663 ou 1664.
En effet, nous savons par d'Hozier que Du Fresnoy maria une de ses filles, belle comme un ange, bien faite et de beaucoup d'esprit, dit-il en juillet 1680, avec M. d'Alègre, comte de Beauvoir en Auvergne, et que de cette union, naquit une fille qui épousa le célèbre comte de Boulainvilliers.
Or, Madame de Boulainvilliers, Claude Catherine d'Alègre, mourut à Paris, le 1er septembre 1723 (Table du journal de Verdun 1,70), âgée de 42 ans. Elle était donc née en 1681. Donc sa mère était nubile quand elle se maria en 1680, c'est à dire âgée d'environ 16 ans ou même un peu plus ; elle naquit donc en 1164 si ce n'est 1663, ce qui met le mariage de ses parents en 1162 ou 1664. Mais il se peut que le fils de Du Fresnoy ait été l'aîné de ses enfants ; on pourrait alors reculer la date du mariage ; cependant il ne faut pas perdre de vue que Mme du Fresnoy était dans la fleur de sa beauté en 1673 et qu'elle n'avait pu naître que vers 1648.
Je ne doute pas que, soit avant de l'épouser, soit dans les premiers temps de leur mariage, Du Fresnoy n'ait fait donner à Mlle Colot une éducation suffisante, si elle ne l'avait pas reçue déjà, Et puis la nature fait tant pour ses favoris ! Ne voit-on pas des hommes, des femmes surtout, deviner, pour ainsi dire, les bonnes manières sans avoir fréquenté ceux qui les ont par leur éducation première et presque par droit de naissance ? Mme Du Fresnoy les eut, elle, naturellement sans doute et aussi par droit de conquête, c'est le cas de le dire. Cela résulte et du silence significatif du haineux et malveillant La Fare et surtout du récit de Mmes de Coulanges et de Sévigné ; j'en dirai de même de son esprit, mais j'y  reviendrai. L'austère Louvois, si sévère pour ses commis,ne put voir cette belle personne sans l'aimer et il l'aima éperdument. Il paraît bien établi que, quoi qu'il fût secrétaire d’État de la guerre, il eut les privilèges des surintendants et ne trouva pas Mme Du Fresnoy cruelle. Que fit Du Fresnoy, si, comme on ne peut guère en douter, il connut son malheur ? Il est probable qu'il prit son parti avec philosophie ; en tout cas, sa femme allait à la Cour et dans le plus grand monde, tandis qu'on ne voit pas que lui les fréquentât. Elle triomphait seule. Le plus important est une lettre de Mme de Sévigné à Mme de Grignan, du 29 janvier 1672. «Hier au soir, dit-elle dans cette lettre, Mme Du Fresnoy soupa chez nous. C'est une nymphe, c'est une divinité. Mais Mme Scarron, Mme de La Fayette et moi nous voulûmes la comparer à Mme de Grignan, et nous la trouvâmes cent piques, au-dessous non pour l'air et pour le teint, mais ses yeux sont étranges : son nez n'est point comparable au vôtre, sa bouche n'est point finie — la vôtre est parfaite — et elle est tellement recueillie dans sa beauté que je trouve qu'elle ne dit précisément que les paroles qui lui siéent bien. Il est impossible de se la représenter parlant communément et d'affection sur quelque chose. C'est la résidence de l'abbé Têtu auprès de la plus belle ; il ne la quitta pas. Et pour votre esprit ces dames ne mirent aucun degré au dessus du vôtre, et votre conduite, votre sagesse, votre raison, tout fut célébré. Je n'ai jamais vu une personne si bien louée ; je n'eus pas le courage de faire les honneurs de vous ni de parler contre ma conscience. » (Sévigné, Ed. Regnier, t. II, p.485.)»

Mémoire sur Mr du Fresnoy, bibliophile du XVIIe siècle et sur sa famille. Jérôme Pichon. Librairie Techener. (1893)

jeudi 8 octobre 2015

«Quoique l'expérience prononce journellement en faveur des pommes de terre, que leur usage adopté depuis un siècle, & vanté par des écrivains amis de l'humanité, n'ait produit jusqu'à présent que des effets très-heureux ; on vient cependant de déprimer la salubrité de ses racines, en les accusant d'occasionner des maladies qu'elles seroient plutôt capables de prévenir si on en étoit menacé.»

Ouvrage économique sur les pommes de terre, le froment et le riz. Antoine-Augustin Parmentier. Monory (1774)
«Lorsqu'un individu sera empoisonné par une préparation mercurielle, introduite dans l'estomac, ou appliquée à l'extérieur, on délaiera provisoirement douze ou quinze blancs d’œuf (on pourra même sans inconvénient se servir également du jaune) dans deux pintes d'eau froide, et on lui donnera un verre de cette boisson toutes les deux minutes afin de favoriser le vomissement. Si l'on n'a pas à sa disposition le nombre d’œufs indiqué, loin de renoncer à cette boisson salutaire, on la préparera avec ceux qu'on aura ; en attendant on cherchera à s'en procurer  d'autres. Dans le cas où l'on ne pourrait pas en avoir, on donnerait du lait en abondance ; enfin l'eau de gomme, de graine de lin, de fleurs sucrée, et même  l'eau simple seraient administrées sans délai si on manquait d’œufs ou de lait.

Secours à donner aux personnes empoisonnées ou asphyxiées, suivis des moyens propres à reconnaître les poisons et les vins frelatés, et à distinguer la mort réelle de la mort apparenteMatthieu Joseph Bonaventure Puig Orfila (1818)
«ZOOTIPOLITHES. On donne ce nom aux pierres qui portent l'empreinte de quelque animal ou de quelques-unes de ses parties : voyez EMPREINTES.
ZOPISSA. Nom que l'on donne au goudron que l'on détache des navires, à leur retour d'un long voyage sur mer : voyez GOUDRON à l'article PIN.
ZOUCHET : voyez CASTAGNEUX.
ZURNAPA. C'est la giraffe Voyez ce mot.
ZYGENE zigana : voyez MARTEAU.»

Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle contenant l'histoire des animaux, des végétaux et des minéraux, celle des corps célestes, des météores et des autres principaux phénomènes de la nature. Avec l'histoire et la description des drogues simples tirées des trois règnes. Jacques Christophe Valmont de Bomare. Lacombe (1767-1768)

dimanche 4 octobre 2015

Texte des Petites Amoureuses (3)

«Un éclair d'orgueil fulgura dans le ventre et dans le torse de Manuel. Il se rappela les après-midi torrides, blancs de soleil, quand on marche dans la campagne et que tout d'un coup toute la chaleur, toute la résine brûlante de l'été paraît se condenser dans le ventre, monte, oppresse, puis éclate en gerbe écarlate - et à ce moment on pense à l'aigle d'or... Mais maintenant c'était la nuit, et il ne comprit pas son orgueil. Il caressa avec ses lèvres les joues de l'enfant.
- Je ne fait pas exprès, dit-il.
Il songea à éloigner son propre corps de celui de la petite fille, mais il ne le souhaitait pas vraiment. Il ajouta :
- C'est parce que je suis un homme.»

Mano l'archangeJacques Serguine. Editions Gallimard (1962)

L'été vingt-quinze en montages (et démontages) sur un lit de philosophie


On voudrait en faire un symbole de l'été 2015, un peu en deçà d'une prophétie mais au-delà du reportage. Quelque chose de sauvagement conceptuel ! Et un souvenir !

MG 337 : dernière émission des Muses galantes


samedi 3 octobre 2015

«Cette nuit-là, je fis des cauchemars les plus horribles. Pas étonnant : toute la soirée j'avais été oppressé par les souvenirs de mes années de bagne à l'école, je ne pouvais m'en détacher. J'avais été fourré dans cette école par de lointains parents dont je dépendais et dont je n'ai eu par la suite aucune nouvelle - ils m'avaient fourré là, orphelin, déjà complètement écrasé par leurs reproches, déjà méditatif, ne disant rien et lançant un regard farouche sur tout. Mes camarades m'avaient accueilli par des moqueries méchantes et sans pitié  parce que je ne ressemblais à aucun d'eux. Mais je ne pouvais pas les supporter, les moqueries, je ne pouvais pas m'y faire d'une façon si lâche, comme eux, ils se faisaient les uns les autres. Je les avais haïs immédiatement et je m'étais muré de tous dans un orgueil craintif, blessé et incommensurable.»

Les Carnets du sous-sol. Fédor Dostoïevski. Babel - Actes Sud (1992)

Quelques Éléments de la Société du Spectacle (8)

151

Le temps pseudo-cyclique est un temps qui a été transformé par l'industrie. Le temps qui a sa base dans la production des marchandises est lui-même une marchandise consommable, qui rassemble tout ce qui s'était auparavant distingué, lors de la phase de dissolution de la vieille société unitaire, en vie privée, vie économique, vie politique. Tout le temps consommable de la société moderne en vient à être traité en matière première de nouveaux produits diversifiés qui s'imposent sur le marché comme  emploi du temps socialement organisés. "Un produit qui existe déjà sous une forme qui le rend propre à la consommation peut cependant devenir à son tour matière première d'un autre produit." (Le Capital)

La Société du spectacle. Guy Debord. Éditions Gallimard (1992)

vendredi 2 octobre 2015

«Il y a un certain esprit religieux, qui n'est pas le meilleur, et qui s'accorde avec la guerre par le dessous, comme on peut voir chez un bon nombre d'officiers, que je prends pour sincères. D'abord cette idée que l'homme n'est pas bon, et, en conséquence, que l'épreuve la plus dure est encore méritée. Aussi l'idée que, selon l'impénétrable justice de Dieu, l'innocent paie pour le coupable. Enfin cette idée aussi que notre pays, léger et impie depuis tant d'années, devait un grand sacrifice. Sombre mystique de la guerre qui s'accorde avec l'ennemi, la fatigue et la tristesse de l'âge.»

Mars ou la guerre jugéeAlain. Éditions Gallimard (1936)
«Rien n'est plus ennuïeux qu'une fade redite.
C'est trop pour bien des gens, que narrer une fois ;
Mais d'y revenir deux ou trois,
Le plus beau diseur en est quitte.
Je hais à mort toute présomption
D'homme qui croit toujours dire merveilles,
Et sans pitié pour mes oreilles,
Les met à contribution ;
Qui sçachant quelque fait, se flatte qu'on l'ignore.
Et d'un conte passé vient me faire un grand plat,
Où me jugeant une pecore
D'heure en heure me le rabat.»

Continuation des mémoires de littérature et d'histoire
. Albert-Henri de Sallengre. Simart (1727)