mardi 30 septembre 2014

«Ils s'assirent à l'ombre du grand mur, la vieille se poussa un peu. Sara fut entre l'homme et Ludi. Jacques était en face, à l'ombre du petit mur.
- Et maintenant, dit l'homme, les promenades en mer, ça ne vous dit plus rien ? 
- Non, dit l'épicier, avec elle j'ai perdu ma joie de vivre. Maintenant je ne suis plus qu'amertume.
- Oh non, dit Ludi, que c'est faux ce que tu dis là.
- Si, dit l'épicier, vingt ans avec une femme qui ne change pas du tout, on n'en sort pas comme ça. On est abîmé pour toujours.»

Les Petits chevaux de TarquiniaMarguerite Duras. Editions Gallimard (1953)

lundi 29 septembre 2014

«Les soldats conquièrent les colonies, les prêtres les éduquent, les administrateurs les organisent, les touristes les enlaidissent, les commerçants les ruinent et les politiciens les perdent.»

Hiver caraïbe : documentairePaul Morand. Ernest Flammarion éditeur (1929)

dimanche 28 septembre 2014

«J'en ay ouy tant parler de ces transitz d'amours mais encores jamays je n'en veis mourir ung.»

L'HeptameronMarguerite de Navarre. Garnier classiques (1975)
«Fort bavard, violent et prompt à la réplique, dépourvu du moindre sens autocritique, il se plaisait à débiter dans n'importe quelle langue, des tirades en vers qui produisaient frayeur et admiration, avec un tel aplomb et une prononciation si brutale et inadéquate - un français de Valladolid et un anglais de Gijon, un allemand de Faculté et un italien d'école religieuse - que sans erreur de diction et sans jamais trébucher, il maintenait une ligne droite jusqu'au point final, même dans les crocs-en-langue de Pétrarque qu'il ne récitait que sur demande et pour briller, avec une imperturbabilité qui fit dire à Jorge qu'il le "récitait comme une charrue", laissant derrière lui un sillon bordé de décombres et de grosses pierres là où avant existait un agréable pré parsemé de fleurs et d'ombres suggestives.»

Une MéditationJuan Benet. Editions Passage du nord-Ouest (2007)

samedi 27 septembre 2014

«L'illusion comique se déroule, c'est la messe globale de l'époque. Stendhal plus lucide que bien d'autres se pose brusquement, avant tout le monde, une curieuse question : pourquoi ne sommes-nous pas heureux ? Pourquoi les hommes de cette société n'accèdent-ils pas au bonheur ? Quoi les Bastilles sont effondrées, les rois en déroute ou contrôlés, les féodalités effacées, les privilèges et les injustices en cours de liquidation. Nous devrions nous épanouir. Et pourtant non. Rien. La prostration. Une nouvelle façon d'être malheureux. Malgré le progrès pourtant réel. Comment les philosophes des Lumières ont-ils pu si radicalement se tromper dans leurs calculs de l'avenir ? Question des effets pervers, première intuition des chocs en retour, du trajet tordu qui va des causes aux conséquences. Première vision du décalage entre l'ébauche théorique des conceptions du monde et leur application dans la réalité. On commence en voulant du bien et on finit en faisant le mal. La disparition du droit divin des rois qui aurait dû permettre un sensationnel développement du bonheur des peuples a laissé place à l'empoignade des égaux, l'imitation féroce entre soi, l'étouffante anxiété des rivalités mutuelles. La montée du public actif qui veut se faire admirer et s'exaspère de ne pas l'être, exige qu'on applaudisse et s'aperçoit qu'il n'y a personne pour applaudir parce que tout le monde est grimpé sur scène : ce qui fait monter d'un cran l'énervement du public, candidat au vedettariat impossible pour cause de disparition de public. Et ainsi de suite.»

Le XIXe siècle à travers les âgesPhilippe Muray. Editions Denoël (1999)

vendredi 26 septembre 2014

Tentative d'autoportrait (5)

«On avait trouvé la solution : ce qui n'allait pas dans la société et chez nos parents c'était la frustration. Il fallait se débarrasser de toutes les frustrations. Et on pensait en premier lieu sexuelles. Et on essayait de convaincre nos putatives compagnes qu'il ne fallait pas nous laisser dans un tel état de frustration, de manque permanent d'affection et de sexe. Mais on avait beaucoup de mal à les convaincre et si jamais on y arrivait, c'était pour qu'elles se précipitent dans le lit du plus beau d'entre-nous. N'était-ce pas injuste ? Est-ce que cela nous aidait dans notre frustration permanente ? En même temps, nous étions pareil : nous sautions comme des crapauds sur les jolies filles et le autres, les normales, on les dédaignait, comme on nous dédaignait ! La paille et la poutre ! 
Et après, les psychologues nous ont déclaré que l'on ne se construisait qu'avec ou contre les frustrations. Alors, nous sommes bien construit, faits pour durer, toujours frustré.
Et puis bien construit, bien construit ! Lequel dans des conditions favorables ne se laisserait pas aller à un petit viol ou à subjuguer une innocence trop jeune. Nos bellâtres ont eu foule de maladies sexuellement transmissibles et nous pas. Ils ont eu les filles et nous pas.
Et ils ne sont pas plus heureux que nous au final. Quelle tristesse ! 
Nous avons peut être plus d'acuité intellectuelle, une vision des choses plus honnête. On devrait pouvoir éclater de rire. On le fait souvent mais pas toujours. Comme quelque chose qui nous reste dans la gorge, beaucoup plus qu'une amertume. On  nous aurait menti. On  nous baladé probablement d'ailleurs pour des raisons mercantiles. Frustration, consommer pour compenser. Nous étions compulsifs du sexe, il fallait l'être des achats. Et on a pas compris. Ou on a pas voulu comprendre.»

Les Perdants magnifiques. Léonard Cohen. Christian Bourgeois éditeur (2002)

mercredi 24 septembre 2014

«Adimante, repris-je, affirmons-nous donc, également que les âmes douées des meilleurs naturel, si elles subissent une mauvaise éducation, deviendront particulièrement mauvaises ? Ou alors crois-tu que les grandes injustices et le perversité pure soient le fait d'une âme médiocre, et non pas d'une nature vigoureuse gâtée par les conditions de son milieu de croissance ? Crois-tu qu'un naturel faible soit jamais susceptible d'être cause de grands biens ou de grands maux ?»

La République. Platon. Flammarion (2002)

lundi 22 septembre 2014

«A l'antique et pieuse foi nationale allait visiblement en déclinant : mais à mesure qu'on défrichait les grands arbres de la forêt primitive, le terrain se recouvrait d'un fouillis de buissons et de mauvaises herbes jusqu'alors inconnues. Les superstitions nées dans le pays, la fausse sagesse venue de l'étranger, se coudoyaient et entremêlaient leurs produits mal assortis. Nul peuple en Italie ne savait se défendre contre la ruine des vieilles croyances disparues sous les superstitions nouvelles. Chez les Etrusques, l'examen des entrailles des victimes, la science des éclairs et de la foudre ; chez les Sabelliens et surtout chez les Marses, l'art de lire dans le vol des oiseaux et de conjurer les serpents avaient atteint leur apogée.»

Histoire romaine Livre I à IV : Des commencements de Rome jusqu'aux guerres civilesTheodor Mommsen. Bouquins Robert Laffont (1985)

dimanche 21 septembre 2014

«Le 19 juin [1792], j'étais allé à la vallée de Montmorency, visiter l'Ermitage de J. J. Rousseau : non que je me plusse au souvenir de madame d'Epinay et de cette société factice et dépravée ; mais je voulais dire adieu à la solitude d'un homme antipathique par ses mœurs à mes mœurs, bien que doué d'un talent dont les accents remuaient ma jeunesse.»

Mémoires d'outre-tombe. François-René de Chateaubriand. Librairie générale française (1973) 

samedi 20 septembre 2014

Talens réunis : textes (18)


«Légèrement de profil, il considère avec plus que de l'attention, avec une concentration qui se marque sur sa bouche, ses sourcils, son front, ses joues, la chanteuse qui vient d'entrer en scène, suivie de sa jeune suivante. Elle semble assez belle, bien que, de si loin, sur un théâtre mal éclairé par des chandelles, on ne puisse guère débrouiller ce qui tient à la beauté de la femme et ce qui relève des mouches, des fards, de la poudre, des crèmes, des sourcils peints, du tour de tête, des cheveux vrais, des cheveux faux, de l'éventail, du décolleté, des paniers, de l'or, des brillants, des perles vraies et des perles fausses. C'est égal : le petit orchestre vient d'attaquer lorsqu'elle est entrée un ritornello si émouvant, avec deux lignes de violons qui ne cessent de s'effleurer et de dissoner l'une contre l'autre, si délicieusement qu'on en frissonne. On fermerait volontiers les yeux pour mieux écouter et pour retrouver en soi-même l'exquise volupté de ce que l'on entend. Lorsque l'orchestre se pose enfin sur un bel accord mineur, la dame ouvre sa bouche, et c'est dommage. Sa voix a dû être belle, elle l'est encore presque, mais plus tout à fait. Le Sénateur est d'accord avec moi : je le vois à ses lèvres ; c'est décidément par là que cet homme se trahit. Nous avons tous ainsi une petite partie de notre visage ou de notre corps par laquelle nous laissons filtrer des choses que nous voudrions vraiment garder cachées, ou que même nous avons à peine pressenties : un coin de lèvre qui sourit quand elle ne devrait pas ; une ride près des yeux, ou pire, d'un seul ; quelque chose sur la joue qu'on  ne surveille pas, et qui tremble ; ou bien les mains. Heureusement la plupart des gens regardent mal.»

StradellaPhilippe Beaussant. Editions Gallimard (1999)
«Plus on insiste, plus on change, plus on attend d'une relation amoureuse, et plus on retourne à l'indigence primitive car ceux qui connaissent un jour le point culminant de leur désir parcourent d'un seul coup tout le chemin possible et toute aventure nouvelle se trouve n'être qu'une étape partielle du retour, comme s'ils aspiraient à revenir au plus tôt à ce premier moment d'ignorance où tout a commencé avec l'éveil du désir.»

Une Méditation. Juan Benet. Editions Passage du nord-Ouest (2007)

vendredi 19 septembre 2014

«Après tout, cela n'est que trop naturel. Etant donné que chaque penseur savait fort bien que son opinion sur la vie dans l'au-delà ne transformerait en aucun cas le monde, que le lendemain les tramways continueraient de circuler comme avant et que le Journal amusant serait toujours lu par cent mille fois autant de lecteurs que l'oeuvre d'Einstein, il aurait été vraiment superflu de se torturer les méninges à propos de l'existence d'un au-delà ou de  sa non-existence. L'excellent et très spirituel Chesterton décédé depuis peu (par ailleurs explorateur sérieux et inspiré de cette grande question), a démontré très plaisamment à titre de moralité pour la malheureuse enquête que notre époque est celle du dernier sursaut de la pensée humaine et que, même en comptant la préhistoire, il n'y a pas eu d'autres temps où l'on aurait répondu autant de fadaises et de niaiseries à la question posée : tout le monde a complètement  et désespérément échoué à l'examen, sans même s'inscrire à la session de rattrapage.»

Reportage céleste de notre envoyé spécial au paradis. Frigyes Karinthy. Editions Cambourakis (2007)

jeudi 18 septembre 2014

«Avons-nous dans notre idiome des articles définis et indéfinis comme en latin ? Les uns pensent que oui, les autres que non. Ils n’osèrent se décider.
Le verbe s’accorde toujours avec le sujet, sauf les occasions où le verbe ne s’accorde pas.
Nulle distinction autrefois entre l’adjectif verbal et le participe présent, mais l’Académie en pose une peu commode à saisir.
Ils furent bien aises d’apprendre que leur, pronom, s’emploie pour les personnes mais aussi pour les choses, tandis que  et en s’emploient pour les choses et quelquefois pour les personnes.
Doit-on dire : "cette femme a l’air bon " ou "l’air bonne" ? — "une bûche de bois sec" ou "de bois sèche" — "ne pas laisser de " ou "que de" — "une troupe de voleurs survint" ou  "survinrent " ?
Autres difficultés : "autour" et "à l’entour" dont Racine et Boileau ne voyaient pas la différence ; "imposer" ou "en imposer" synonymes chez Massillon et chez Voltaire ; "croasser" et "coasser" confondus par La Fontaine, qui pourtant savait reconnaître un corbeau d’une grenouille.
Les grammairiens, il est vrai, sont en désaccord, ceux-ci voyant une beauté, où ceux-là découvrent une faute. Ils admettent des principes dont ils repoussent les conséquences, proclament les conséquences dont ils refusent les principes, s’appuient sur la tradition, rejettent les maîtres, et ont des raffinements bizarres.
Ménage au lieu de lentilles et cassonade préconise nentilles et castonade, Bouhours jérarchie et non pas hiérarchie, et M. Chapsal les œils de la soupe.
Pécuchet surtout fut ébahi par Génin. Comment ? des z’annetons vaudrait mieux que des hannetons, des z’aricots que des haricots – et sous Louis XIV, on prononçait Roume et M. de Lioune pour Rome et M. de Lionne !
Littré leur porta le coup de grâce en affirmant que jamais il n’y eut d’orthographe positive, et qu’il ne saurait y en avoir.
Ils en conclurent que la syntaxe est une fantaisie et la grammaire une illusion.»

Bouvard et Pécuchet. Gustave Flaubert. Garnier-Flammarion (1993)
«La tragédie lyrique, constitue, depuis Lully, une sorte d'«exception culturelle» française, car toute l'Europe pratique plus ou moins l'opera seria à l'italienne ; elle est née de l'amalgame conflictuel de trois éléments.
Le premier est la tragédie, à la manière de Corneille et de Racine, les grands modèles français, mais surtout de leurs émules précieux, Quinault (le librettiste de Lully) ou Thomas Corneille. L'opéra français gardera toujours un complexe d'infériorité vis-à-vis de la tragédie avec l'obsession de rivaliser avec elle. Le second élément, contradictoire, c'est le goût du «merveilleux», de la féerie sous deux aspects, mythologique et magique, avec tout ce que cela peut mettre en jeu ; machineries, accessoires, changements de décors, truquages... Le troisième élément ( le seul qui rapproche la tragédie lyrique de l'opera seria), c'est le goût du romanesque, des intrigues et des aventures sentimentales. Cet aspect est souvent inspiré des grandes oeuvres littéraires italiennes et baroques du Tasse et de l'Arioste. A ces trois éléments thématiques ajoutons l'indispensable présence du ballet.»

Dardanus de Jean-Philippe Rameau : texte de présentation du compact-disque Dardanus  par Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre. Philippe Beaussant. Archiv (2000)

mercredi 17 septembre 2014

Informatique : dictionnaire (2)

Back office : arrière-guichet
Big data : mégadonnées
Blog : blogue
Buzz : ramdam
Crowdsourcing : production participative
Hashtag : mot dièse
Lurker : fureteur
Microblogging : microblogage
Opendata : données ouvertes
Pure player : tout en ligne
Thumbnail : imagette
Webconference : cyberconférence

Commission générale de terminologie et de néologie 

mardi 16 septembre 2014

«- Sur le point suivant en tous cas, dis-je, personne ne s'objectera à ce que nous disions qu'il existe un autre parcours méthodique qui entreprend, en suivant un cheminement précis, de saisir au sujet de toute chose, concernant chacune en elle-même, ce que chacune est réellement. Tous les autre arts, au contraire, ou bien s'orientent en fonction des opinions ou des désirs des hommes, ou alors se placent tous dans la perpective du devenir et de la composition des êtres, ou alors en fonction du soin à donner aux êtres qui croissent naturellement ainsi qu'aux chose qui sont produites artificiellement. Quant aux arts qui restent, ceux qui selon nous saisissent quelque chose de ce qui est réellement, la géométrie par exemple et les arts qui en dépendent, nous voyons bien qu'ils ne font encore que rêver ce qui est réellement, et qu'il leur sera impossible de voir comme dans l'état d'éveil aussi longtemps que, dans leur recours à des hypothèses, ils les abandonneront à leur inertie sans être capables d'en rendre raison.»

La République. Platon. Flammarion (2002)

lundi 15 septembre 2014

«Il n'y a rien d'aussi beau que les première minutes de solitude avec celui qui pourrait nous aimer, avec celui que l'on pourrait aimer. Il n'y a rien d'aussi silencieux que ces minutes, rien d'aussi saturé de suave attente. C'est pour ces quelques minutes qu'on aime et non pour toutes celle qui suivront.»

L'Enfant brûlé. Stig Dagerman. Editions Gallimard (1956)
«Et suis encore si fol qu'il faut que je confesse que cest enfer là m'est plus plaisant venant de sa main que le paradis donné de celle d'une autre.»

L'Heptameron. Marguerite de Navarre. Garnier classiques (1975)

dimanche 14 septembre 2014

Talens réunis : textes (17)


«Saint-Cloud, le 1er octobre 1687.

... La cour devient si ennuyeuse qu'on n'y tient plus, car le roi s'imagine qu'il est pieux s'il fait en sorte qu'on s'ennuie bien... C'est une misère quand on ne veut plus suivre sa propre raison et qu'on ne se guide que d'après des prêtres intéressés et de vieilles courtisanes ; cela rend la vie bien pénible aux gens honnêtes et sincères.. Si vous voyiez comment les choses vont présentement, vous ririez bien, mais aux gens plongés dans cette tyrannie, à la pauvre dauphine, par exemple, et à moi, la chose, il est vrai, paraît ridicule, mais nullement risible...»

Lettres de Madame duchesse d'Orléans, née princesse Palatine. Mercure de France : Le temps retrouvé. (1981)

Projet Poubelle-bis (19)

«La Blonde est en travail depuis le début de l'après-midi ; elle a fait les eaux au début de la soirée, les coliques n'ont pas cessé, le rythme des poussées vient de s'accélérer, le veau peut apparaître d'un instant à l'autre. C'est la première fois qu'elle vêle, on ne peut pas savoir d'avance si ce sera facile. Radiguette aurait voulu qu'on appelât le vétérinaire, mais ce n'est pas l'habitude d'engager des frais tant que les choses se passent normalement. C'est Bourret, un voisin et un ami, réputé pour son habileté en tout ce qui concerne les animaux, qui va diriger les opérations.
L'étable est de torchis mal protégée par un crépi écaillé ; des courants d'air passent par les fentes creusées par les intempéries entre les lattes. Ni eau courante, ni rigole d'écoulement pour le purin. Une seule ampoule de 30 ampères suspendue très haut à la poutre médiane afin que sa pâle clarté se répande avec égalité sur les six stalles. C'est une étable de pauvre, une pauvre étable, comme la plupart des étables de France.


Les mauvais coups. Roger Vailland. Editions du Sagittaire (1948)

samedi 13 septembre 2014

«Il est intéressant aussi de se souvenir que c'est à la même époque qu'on se met en tête d'inventer le concept de musée. A l'occasion de la fête du 10 août 1793. Le Louvre, ancienne résidence des rois, devient cimetière à œuvres d'art. A cette occasion également, la Convention décrète l'ouverture du musée des Monuments français où va s'entasser ce qu'on a volé des églises. "Tout un monde de morts historiques, sorti de ces chapelles à la puissante voix de la Révolution", s'excite Michelet qui a le sens des morts comme on a le sens du rythme ou des affaires et qui croit revivre l'aventure prodigieuse biblique de Josaphat. On a tout entassé là à la hâte. Chaos du passé dans un monde qui commence déjà à percevoir inconsciemment que son avenir ne va plus consister qu'à le revivre et le recombiner ce passé, le réévoquer et le représenter. En même temps, David organise la fête du 10 août pour laquelle il monte ses trois grandes statues de plâtre : le Peuple-Hercule aux Invalides, la Liberté là où précisément fonctionne tous les jours l'échafaud, place de la Révolution, et la Nature au milieu des gravats pas encore déblayés de la Bastille. Les statues seront laissées sur place, elles pourriront aux pluies d'automne. Totems vite délabrés, fétiches fossiles. Tristes trophées. La Liberté qui s'en va par plaques fait mauvais effet à côté de la guillotine qui a recommencé à découper la contre-révolution en saucisson. La fête est finie, elle était pourtant réussie : un tombereau emportait les sceptres et les couronnes de l'ancien régime, une urne sur un char contenait les cendres des héros. Des charrois, toujours des charrois. Version à l'envers du transfert des Saints-innocents aux Catacombes.»

Le XIXe siècle à travers les âgesPhilippe Muray. Editions Denoël (1999)

vendredi 12 septembre 2014

Talens réunis : textes (16)


«Deux hommes occupent un salon au décor disparate. Peu de mobilier à l’exception d’un grand canapé, qui prend presque toute la place et dans lequel Broc est affalé. Son compagnon, Bric, s’affaire ici et là, un chiffon à poussière à la main. Soudain Broc lance d’une voix troublée :
- Elle tourne !
Bric, qui lui tourne le dos, demande :
- Qui ?
Broc agacé, répond, comme s’il s’agissait d’une évidence :
- Ma tête, tiens !
Bric continue son ménage tout en poursuivant la conversation :
- T’as des vertiges ?
- Sais pas, sans doute.
Habitué aux jérémiades de son compagnon, Bric ne s’en émeut pas.
- Allonge-toi, ça passera.
- Peux pas, c’est pire ! J’ai l’impression d’être sur un bateau en pleine tempête. Tout tangue tellement et s’enroule autour de moi, comme si j’étais sur un manège, que j’ai la sensation que je vais exploser.
Sur le même ton monocorde ne trahissant aucune inquiétude, Bric conseille tout en continuant à épousseter quelques bibelots :
- Si tu ne peux pas te coucher, lève-toi doucement comme ça, et il mime un lever difficile puis, se tournant vers Broc, il ajoute :
- Tu veux que je t’aide ?
Excédé Broc s’agace :
-Non ! Non ! je ne peux pas ! Si je réussis à me mettre debout, je suis sûr que je vais m’affaler sur le carrelage. Ce sera pire.
Bric est revenu à ses occupations.
- Qu'est-ce que tu veux alors ? J’appelle un médecin ? Il parait que les vertiges peuvent être causés par des problèmes aux oreilles...
- Pour ce que tu en sais...
- Sûr j’en sais rien mais la terre tourne aussi et depuis déjà longtemps, alors, pour ce qui est de ta tête...
Broc lève les bras au ciel en s’écriant :
- J’avais pas pensé à ça ! La terre tourne, c’est vrai, et nous tournons avec elle, sans nous en rendre compte. Peut être bien que mon malaise provient du fait que, tout à coup, j’ai voulu tourner plus vite qu’elle. Qu’est-ce que t’en dis ?
- Absurde !
Répond Bric en haussant les épaules. Broc s’énerve :
- Alors explique-moi !
- Mais il n’y a rien à expliquer. C’est comme ça, c’est tout ! Au fait, ta tête tourne toujours ? 
Non ou en tous cas, pas aussi vite qu’avant. Elle continue à tourner mais au rythme de la terre de sorte que je n’en ai pas conscience.
-Bon si tu vas mieux, lève-toi et fais quelque chose !
Broc étonné, regarde Bric.
- Pourquoi et que veux-tu que je fasse ? Si j’entreprends quoi que ce soit, je n’arriverai pas à ressentir les vibrations de la terre qui tourne et pour moi, c’est important. Je suis persuadé que si je me concentre bien, le moment viendra où je percevrai ce mouvement qui nous entraîne malgré nous.
Bric, fataliste, constate :
- Tous les prétextes te sont bons pour ne rien faire.
Vexé, Broc, rétorque, véhément :
- Contrairement à ce que tu crois, je fais quelque chose et de la plus haute importance, je te le répète.
- Tu peux toujours t’accrocher à ton canapé, tu ne t’apercevras de rien, ironise Bric.
- Evidemment, avec toi qui n’arrêtes pas de t’agiter dans tous les sens, comment veux-tu que je me concentre ?
Bric ricane :
- Réfléchis un peu. Comment saurions-nous que la terre tourne si on ne nous l’avait pas appris ? Comment en aurions-nous conscience s’il n’y avait pas le jour et la nuit ? Et même si tu faisais le tour du monde, crois-tu que tu t’en apercevrais ? Tu tracerais seulement un cercle qui te ramènerait seulement au point de départ sans te permettre de discerner que tu as réellement tourné en même temps que la terre.
- C’est bizarre ce que tu dis. J’ai pas tout compris.
- Bizarre peut être, mais certainement tout aussi vrai que de rester immobile sur ton canapé ne te prouvera rien. La terre tourne, c’est une évidence, paraît-il, et on le croit parce qu’on nous l’a dit, mais ce n’est peut être qu’une théorie que nous n’avons jamais vérifiée. C’est comme Dieu, tu crois ou pas en son existence mais tu ne l’as jamais vu. 
- Tu mélanges tout.
Broc porte un index à son front en regardant Bric et le tourne sur sa tempe.
Bric s’approche de lui et martèle en agitant le chiffon :
- Non, parce que la religion dit que c’est Dieu qui a créé la terre et peut être que gamin, il aimait jouer aux billes. Ce pourrait être pour ça que la terre tourne. Ce que je veux dire, c’est que nous croyons à un tas de choses dont on nous a persuadé qu’elles sont vraies et nous n’avons pas cherché plus loin. Donc, Dieu existe, le diable et les sorcières aussi, puis la terre tourne, comme ta tête.
- Mon vieux Bric, tu délires !
- Non, en réalité, je m’en fous !
- Tu t’en fous ?
- Parfaitement et complètement et je vais te faire une confidence, ça ne m’empêchera pas de dormir.
- C’est tout ce que ça te fait que je soit malade ?
- Mais non imbécile, je ne parle pas de toi mais de la terre et tout ça !
- Ah bon, je préfère !
Broc se tait quelques instants, songeur, puis reprend :
- Pourtant, ce serait grave, tu crois pas, si la terre un jour s’arrêtait de tourner ?
- Ben elle s’arrêterait de tourner ! Qu’y pourrions-nous ?
- Tu te rends compte, il ferait toujours nuit ou jour, chaud ou froid, ce ne serait plus normal !
- Parce que tu penses qu’elle tourne rond la terre en ce moment ?
- J’en sais rien mais en tous cas, elle tourne, apparemment du moins.
- Peut être mais pas rond ! On dirait qu’elle marche sur la tête.
- Mais elle ne peut pas marcher puisqu’elle tourne.
- Parce que toi, tu ne peux pas tourner en marchant, peut être...
- Si, bien sûr, mais la terre n’a ni jambe, ni pied.
- Qu’est-ce que tu en sais ?
- Rien mais je suppose si je me fie aux images que nous en avons. Elle est entièrement ronde et...
- Et pas plate mais qui te dit que les volcans ne sont pas des moteurs qui la poussent dans un sens ou dans un autre selon le bon vouloir du Dieu Pilote ? Qui peut t’affirmer que la lune et le soleil ne s’en servent pas comme d’une balle de tennis et ne la balancent pas dans l’univers au gré de leur jeu ?
Bric époussette énergiquement un tableau tandis que Broc le regarde éberlué. Il émet des sons étranges avant de parvenir à articuler difficilement : 
- On nage complètement dans la science fiction, mais admettons que ce que tu racontes soit vrai, ne crois-tu pas que nous le saurions, qu’on nous l’aurait dit ?
- Parce que toi, tu vérifies toujours tout ce qu’on t’affirme ?
- Sûrement pas !
- Alors tout est possible !
- Tout de même...
- Tu manques seulement d’imagination, voilà !
Broc s’agite sur le canapé. Il ne semble pas convaincu. Hésitant, il lâche :
- Ah bon ?
- Oui parfaitement ! Tu es trop terre à terre !
- C’est rigolo ça !
- Quoi ? 
- Que tu me dises que je suis trop terre à terre !
- Pourquoi ?
- Parce que généralement, tu trouves que je suis trop souvent dans la lune.
- Alors, c’est pour ça que tu avais la tête qui tournait.
- Faudrait savoir, c’est ma tête qui tourne ou la terre ?
- Les deux, mon ami !
Broc fait des gestes désordonnés sur le canapé, sans se lever. il râle.
- Avec tous tes raisonnements sans queue ni tête, tu vas finir par me faire perdre la boule.
Bric s’arrête d’astiquer et se fige.
- Ben tu vas mieux à ce que je vois. Dis-moi, maintenant que j’ai fini le ménage, qu’est-ce qu’on fait ?
- Rien !
- Comment ça, rien ? On va pas tout de même rester là à attendre que l’heure tourne ?
- C’est devenu une véritable obsession chez toi ! Depuis que j’ai la tête qui a un peu tourné, tu vois tout tourner !
- Pas spécialement, mais l’heure c’est sûr. Je vois bien les aiguilles faire le tour du cadran. Pas toi ?
- Si, et en les regardant, j’ai conscience que la terre tourne aussi. 
- Et ça te sert à quoi ?
- A tourner avec elle. C’est suffisamment fatigant pour n’avoir pas, en plus, besoin de faire autre chose.
Bric va d’un côté à l’autre désorienté. Le ton goguenard, il lance :
- Si tu le dis... Tu permets que je m’assoie près de toi ? Ainsi nous attendrons patiemment que la terre continue à tourner jusqu’à ce que nous mourions. Ca devrait aller assez vite. Sans manger et sans boire, sans dormir aussi, nous ne devrions pas en avoir pour longtemps à tourner. L’effort nous épuisera rapidement.
Un long silence s’installe durant lequel Bric et Broc sont assis côte à côte sur le canapé, immobiles. Puis bric se met à bouger la tête dans tout les sens, les mains jointes entre ses genoux serrés. Il a manifestement du mal à rester en place. Il interroge Broc :
- Tu ne trouves pas que c’est long de tourner sans rien faire d’autre ?
- Tais-toi ! J’essaie de capter les vibrations.
- Lesquelles ?
- Celles que produit la terre en tournant.
- Tu es sûr de te sentir parfaitement bien ? Moi j’ai soif. Je crois que je vais aller...
- Tais-toi, bon sang, et ne bouge pas ! Il me semble sentir de légers picotements dans la plante des pieds.
- Pas étonnant depuis le temps que tu restes assis. Ce ne sont pas des vibrations mais simplement des fourmis.
- Décidément, il faut que tu trouves des explications à tout ! Qu’est-ce que viennent foutre des fourmis dans cette affaire ? Nous ne sommes pas assis sur une fourmilière mais sur un canapé. Si moi j’ai la tête qui tourne, chez toi, ça ne tourne pas rond dans la tienne.
Bon, bon !... Calme-toi. D’accord, nous sommes installés sur un canapé et comme il y a longtemps  que tu as les jambes pliées, la circulation sanguine ne s’effectue plus correctement et ça explique que tu ressens des picotements. Lève-toi et ça passera.
- Tu ne comprends décidément rien ! Je te dis depuis tout à l’heure que si je me mets debout, je tombe. De plus, je t’affirme percevoir les vibrations de la terre qui tourne, rien à voir avec des fourmis dans les pattes !
Bric se lève, se gratte le crâne puis dit, sentencieusement : 
- Certes... Mais si tu dis vrai, alors crois-moi, c’est grave !
- Pourquoi ? s’étonne Broc
- Parce que si tes sismographes pédestres te démangent, ça signifie qu’il va y avoir une catastrophe imminente, un tremblement de terre, peut être, ou un tsunami. Nous devrions rapidement sortir de la maison de crainte qu’elle nous tombe dessus.
- Tu ne me crois pas, c’est ça ?
- Oh si, mais ça ne m’empêchera pas d’aller boire un verre d’eau ! On ne sait jamais, vaut mieux en profiter tant qu’il y en a d’à peu près potable parce qu’avec toute cette pollution, il pourrait se faire qu’il qu’il n’y en ait plus, surtout si la terre cesse de tourner.
Broc ne semble pas comprendre la moquerie et enchaîne :
- C’est vrai ça, l’humain n’est pas très raisonnable. Dis Bric, tu ne trouves pas étrange cette manie, qu’il a de détruire tout ce qui contribue à son bien-être ? C’est comme si je cassais à coups de masse cette maison que j’ai construite de mes mains alors qu’elle m’abrite des intempéries.
- Manquerait plus que ça ! A ce propos, je te rappelle, en passant, que tu n’en es pas propriétaire mais seulement mon locataire.
- Comme tous les hommes de la terre ! conclut Broc.
- Si tu veux, concède Bric, qui poursuit :
- Mais eux, en plus, scient la branche sur laquelle il sont assis. La chute risque d’être rude mais rassure-toi, tu ne risques rien. Le canapé est costaud et je ne suis pas certain que tu saches te servir d’une scie.
Broc, faisant comme s’il n’avait entendu qu’une partie de la réponse :
- Oui, tu as tout à fait raison, l’homme se suicide sans s’en rendre compte.
- C’est bien le problème même si la terre continue à tourner, comme les idées dans ta caboche. Elle a tourné bien avant que l’homme n’apparaisse et il est probable qu’elle continuera bien après, avec ou sans lui. 
- Et oui, pourtant elle tourne , comme l’a dit Galilée, constate d’un ton rêveur Broc.
Bric s’apprête à sortir mais avant il lance :
- Bon mon vieux, c’est bien tout ça mais j’ai autre chose à faire. permets-moi de te laisser tourner avec la terre mais attention, ne perds pas la tête ! Moi je vais boire un coup !
Et il s’en va. Broc reste seul dans le salon vissé sur le canapé. il rit puis chuchote sur le ton de la confidence :
- Ah ce pauvre Bric, il y a vraiment quelque chose qui tourne pas rond chez lui, il ne comprend jamais rien à rien ! N’empêche, j’en suis débarrassé et je vais pouvoir dormir, enfin !
Broc s’allonge sur le canapé, puis, brusquement, relève la tête juste le temps de déclarer :
Après un bon somme réparateur, je m’occuperai en regardant les mouches voler...»

De bric et de broc extrait de Nouvelles d’un quotidien ordinaire. Gilbert Marquès (2010)

mercredi 10 septembre 2014

«Ils avaient vu dans leur famille, à leur propre foyer les calamités et les souffrances causées par l'ignorance, par la promiscuité de la tanière domestique, par le pullulement des enfants, errements de l'époque victorienne et même édouardienne, et ils régissaient violemment. Jusque là, ça va bien. Mais ils ne s'aperçurent pas que par leur manière de procéder, ils instauraient simplement une autre tyrannie, la tyrannie de l'amour libre. Pourquoi ne serait-on pas monogame, si cela nous plaît ? il se peut que cet état convienne à beaucoup.»

Mort d'un héros (Tome II). Richard Adlington. Albin Michel éditeur (1931)

Talens réunis : textes (15)


43 (VII)

«Voyez, Lucile, ce morceau de terre, plus propre et plus orné que les autres terres qui lui sont contiguës : ici ce sont des compartiments mêlés d’eaux plates et d’eaux jaillissantes ; là des allées en palissade qui n’ont pas de fin, et qui vous couvrent des vents du nord ; d’un côté c’est un bois épais qui défend de tous les soleils, et d’un autre un beau point de vue. Plus bas, une Yvette ou un Lignon, qui coulait obscurément entre les saules et les peupliers, est devenu un canal qui est revêtu ; ailleurs de longues et fraîches avenues se perdent dans la campagne, et annoncent la maison, qui est entourée d’eau. Vous récrierez-vous : « Quel jeu du hasard ! combien de belles choses se sont rencontrées ensemble inopinément ! » Non sans doute ; vous direz au contraire : « Cela est bien imaginé et bien ordonné ; il règne ici un bon goût et beaucoup d’intelligence. » Je parlerai comme vous, et j’ajouterai que ce doit être la demeure de quelqu’un de ces gens chez qui un Nautre va tracer et prendre des alignements dès le jour même qu’ils sont en place. Qu’est-ce pourtant que cette pièce de terre ainsi disposée, et où tout l’art d’un ouvrier habile a été employé pour l’embellir, si même toute la terre n’est qu’un atome suspendu en l’air, et si vous écoutez ce que je vais dire ?

Vous êtes placé, ô Lucile, quelque part sur cet atome : il faut donc que vous soyez bien petit, car vous n’y occupez pas une grande place ; cependant vous avez des yeux, qui sont deux points imperceptibles ; ne laissez pas de les ouvrir vers le ciel : qu’y apercevez-vous quelquefois ? La lune dans son plein ? Elle est belle alors et fort lumineuse, quoique sa lumière ne soit que la réflexion de celle du soleil ; elle paraît grande comme le soleil, plus grande que les autres planètes, et qu’aucune des étoiles ; mais ne vous laissez pas tromper par les dehors. Il n’y a rien au ciel de si petit que la lune : sa superficie est treize fois plus petite que celle de la terre, sa solidité quarante-huit fois, et son diamètre, de sept cent cinquante lieues, n’est que le quart de celui de la terre : aussi est-il vrai qu’il n’y a que son voisinage qui lui donne une si grande apparence, puisqu’elle n’est guère plus éloignée de nous que de trente fois le diamètre de la terre, ou que sa distance n’est que de cent mille lieues. Elle n’a presque pas même de chemin à faire en comparaison du vaste tour que le soleil fait dans les espaces du ciel ; car il est certain qu’elle n’achève par jour que cinq cent quarante mille lieues : ce n’est par heure que vingt-deux mille cinq cents lieues, et trois cent soixante et quinze lieues dans une minute. Il faut néanmoins, pour accomplir cette course, qu’elle aille cinq mille six cents fois plus vite qu’un cheval de poste qui ferait quatre lieues par heure, qu’elle vole quatre-vingts fois plus légèrement que le son, que le bruit par exemple du canon et du tonnerre, qui parcourt en une heure deux cent soixante et dix-sept lieues.

Mais quelle comparaison de la lune au soleil pour la grandeur, pour l’éloignement, pour la course ? Vous verrez qu’il n’y en a aucune. Souvenez-vous seulement du diamètre de la terre, il est de trois mille lieues ; celui du soleil est cent fois plus grand, il est donc de trois cent mille lieues. Si c’est là sa largeur en tout sens, quelle peut être toute sa superficie ! quelle sa solidité ! Comprenez-vous bien cette étendue, et qu’un million de terres comme la nôtre ne seraient toutes ensemble pas plus grosses que le soleil ? « Quel est donc, direz-vous, son éloignement, si l’on en juge par son apparence ? » Vous avez raison, il est prodigieux ; il est démontré qu’il ne peut pas y avoir de la terre au soleil moins de dix mille diamètres de la terre, autrement moins de trente millions de lieues : peut-être y a-t-il quatre fois, six fois, dix fois plus loin ; on n’a aucune méthode pour déterminer cette distance.

Pour aider seulement votre imagination à se la représenter, supposons une meule de moulin qui tombe du soleil sur la terre ; donnons-lui la plus grande vitesse qu’elle soit capable d’avoir, celle même que n’ont pas les corps tombant de fort haut ; supposons encore qu’elle conserve toujours cette même vitesse, sans en acquérir et sans en perdre ; qu’elle parcoure quinze toises par chaque seconde de temps, c’est-à-dire la moitié de l’élévation des plus hautes tours, et ainsi neuf cents toises en une minute ; passons-lui mille toises en une minute, pour une plus grande facilité ; mille toises font une demi-lieue commune ; ainsi en deux minutes la meule fera une lieue, et en une heure elle en fera trente, et en un jour elle fera sept cent vingt lieues : or elle a trente millions à traverser avant que d’arriver à terre ; il lui faudra donc quarante-un mille six cent soixante-six jours, qui sont plus de cent quatorze années, pour faire ce voyage. Ne vous effrayez pas, Lucile, écoutez-moi : la distance de la terre à Saturne est au moins décuple de celle de la terre au soleil ; c’est vous dire qu’elle ne peut être moindre que de trois cents millions de lieues, et que cette pierre emploierait plus d’onze cent quarante ans pour tomber de Saturne en terre.

Par cette élévation de Saturne, élevez vous-même, si vous le pouvez, votre imagination à concevoir quelle doit être l’immensité du chemin qu’il parcourt chaque jour au-dessus de nos têtes : le cercle que Saturne décrit a plus de six cents millions de lieues de diamètre, et par conséquent plus de dix-huit cents millions de lieues de circonférence ; un cheval anglais qui ferait dix lieues par heure n’aurait à courir que vingt mille cinq cent quarante-huit ans pour faire ce tour.

Je n’ai pas tout dit, ô Lucile, sur le miracle de ce monde visible, ou, comme vous parlez quelquefois, sur les merveilles du hasard, que vous admettez seul pour la cause première de toutes choses. Il est encore un ouvrier plus admirable que vous ne pensez : connaissez le hasard, laissez-vous instruire de toute la puissance de votre Dieu. Savez-vous que cette distance de trente millions de lieues qu’il y a de la terre au soleil, et celle de trois cents millions de lieues de la terre à Saturne, sont si peu de chose, comparées à l’éloignement qu’il y a de la terre aux étoiles, que ce n’est pas même s’énoncer assez juste que de se servir, sur le sujet de ces distances, du terme de comparaison ? Quelle proportion, à la vérité, de ce qui se mesure, quelque grand qu’il puisse être, avec ce qui ne se mesure pas ? On ne connaît point la hauteur d’une étoile ; elle est, si j’ose ainsi parler, immensurable ; il n’y a plus ni angles, ni sinus, ni parallaxes dont on puisse s’aider. Si un homme observait à Paris une étoile fixe, et qu’un autre la regardât du Japon, les deux lignes qui partiraient de leurs yeux pour aboutir jusqu’à cet astre ne feraient pas un angle, et se confondraient en une seule et même ligne, tant la terre entière n’est pas espace par rapport à cet éloignement. Mais les étoiles ont cela de commun avec Saturne et avec le soleil : il faut dire quelque chose de plus. Si deux observateurs, l’un sur la terre et l’autre dans le soleil, observaient en même temps une étoile, les deux rayons visuels de ces deux observateurs ne formeraient point d’angle sensible. Pour concevoir la chose autrement, si un homme était situé dans une étoile, notre soleil, notre terre, et les trente millions de lieues qui les séparent, lui paraîtraient un même point : cela est démontré.

On ne sait pas aussi la distance d’une étoile d’avec une autre étoile, quelque voisines qu’elles nous paraissent. Les Pléiades se touchent presque, à en juger par nos yeux : une étoile paraît assise sur l’une de celles qui forment la queue de la grande Ourse ; à peine la vue peut-elle atteindre à discerner la partie du ciel qui les sépare, c’est comme une étoile qui paraît double. Si cependant tout l’art des astronomes est inutile pour en marquer la distance, que doit-on penser de l’éloignement de deux étoiles qui en effet paraissent éloignées l’une de l’autre, et à plus forte raison des deux polaires ? Quelle est donc l’immensité de la ligne qui passe d’une polaire à l’autre ? et que sera-ce que le cercle dont cette ligne est le diamètre ? Mais n’est-ce pas quelque chose de plus que de sonder les abîmes, que de vouloir imaginer la solidité du globe, dont ce cercle n’est qu’une section ? Serons-nous encore surpris que ces mêmes étoiles, si démesurées dans leur grandeur, ne nous paraissent néanmoins que comme des étincelles ? N’admirerons-nous pas plutôt que d’une hauteur si prodigieuse elles puissent conserver une certaine apparence, et qu’on ne les perde pas toutes de vue ? Il n’est pas aussi imaginable combien il nous en échappe. On fixe le nombre des étoiles : oui, de celles qui sont apparentes ; le moyen de compter celles qu’on n’aperçoit point, celle par exemple qui composent la voie de lait, cette trace lumineuse qu’on remarque au ciel dans une nuit sereine, du nord au midi, et qui par leur extraordinaire élévation, ne pouvant percer jusqu’à nos yeux pour être vues chacune en particulier, ne font au plus que blanchir cette route des cieux où elles sont placées ?

Me voilà donc sur la terre comme sur un grain de sable qui ne tient à rien, et qui est suspendu au milieu des airs : un nombre presque infini de globes de feu, d’une grandeur inexprimable et qui confond l’imagination, d’une hauteur qui surpasse nos conceptions, tournent, roulent autour de ce grain de sable, et traversent chaque jour, depuis plus de six mille ans, les vastes et immenses espaces des cieux. Voulez-vous un autre système, et qui ne diminue rien du merveilleux ? La terre elle-même est emportée avec une rapidité inconcevable autour du soleil, le centre de l’univers. Je me les représente tous ces globes, ces corps effroyables qui sont en marche ; ils ne s’embarrassent point l’un l’autre, ils ne se choquent point, ils ne se dérangent point : si le plus petit d’eux tous venait à se démentir et à rencontrer la terre, que deviendrait la terre ? Tous au contraire sont en leur place, demeurent dans l’ordre qui leur est prescrit, suivent la route qui leur est marquée, et si paisiblement à notre égard que personne n’a l’oreille assez fine pour les entendre marcher, et que le vulgaire ne sait pas s’ils sont au monde. O économie merveilleuse du hasard ! l’intelligence même pourrait-elle mieux réussir ? Une seule chose, Lucile, me fait de la peine : ces grands corps sont si précis et si constants dans leur marche, dans leurs révolutions et dans tous leurs rapports, qu’un petit animal relégué en un coin de cet espace immense qu’on appelle le monde, après les avoir observés, s’est fait une méthode infaillible de prédire à quel point de leur course tous ces astres se trouveront d’aujourd’hui en deux, en quatre, en vingt mille ans. Voilà mon scrupule, Lucile ; si c’est par hasard qu’ils observent des règles si invariables, qu’est-ce que l’ordre ? qu’est-ce que la règle ?

Je vous demanderai même ce que c’est que le hasard : est-il corps ? est-il esprit ? est-ce un être distingué des autres êtres, qui ait son existence particulière, qui soit quelque part ? ou plutôt n’est-ce pas un mode, ou une façon d’être ? Quand une boule rencontre une pierre, l’on dit : « c’est un hasard » ; mais est-ce autre chose que ces deux corps qui se choquent fortuitement ? Si par ce hasard ou cette rencontre la boule ne va plus droit, mais obliquement ; si son mouvement n’est plus direct, mais réfléchi ; si elle ne roule plus sur son axe, mais qu’elle tournoie et qu’elle pirouette, conclurai-je que c’est par ce même hasard qu’en général la boule est en mouvement ? ne soupçonnerai-je pas plus volontiers qu’elle se meut ou de soi-même, ou par l’impulsion du bras qui l’a jetée ? Et parce que les roues d’une pendule sont déterminées l’une par l’autre à un mouvement circulaire d’une telle ou telle vitesse, examiné-je moins curieusement quelle peut être la cause de tous ces mouvements, s’ils se font d’eux-mêmes ou par la force mouvante d’un poids qui les emporte ? Mais ni ces roues, ni cette boule n’ont pu se donner le mouvement d’eux-mêmes, ou ne l’ont point par leur nature, s’ils peuvent le perdre sans changer de nature : il y a donc apparence qu’ils sont mus d’ailleurs, et par une puissance qui leur est étrangère. Et les corps célestes, s’ils venaient à perdre leur mouvement, changeraient-ils de nature ? seraient-ils moins de corps ? Je ne me l’imagine pas ainsi ; ils se meuvent cependant, et ce n’est point d’eux-mêmes et par leur nature. Il faudrait donc chercher, ô Lucile, s’il n’y a point hors d’eux un principe qui les fait mouvoir ; qui que vous trouviez, je l’appelle Dieu.

Si nous supposions que ces grands corps sont sans mouvement, on ne demanderait plus, à la vérité, qui les met en mouvement, mais on serait toujours reçu à demander qui a fait ces corps, comme on peut s’informer qui a fait ces roues ou cette boule ; et quand chacun de ces grands corps serait supposé un amas fortuit d’atomes qui se sont liés et enchaînés ensemble par la figure et la conformation de leurs parties, je prendrais un de ces atomes et je dirais : Qui a créé cet atome ? Est-il matière ? est-il intelligence ? A-t-il eu quelque idée de soi-même, avant que de se faire soi-même ? Il était donc un moment avant que d’être ; il était et il n’était pas tout à la fois ; et s’il est auteur de son être et de sa manière d’être, pourquoi s’est-il fait corps plutôt qu’esprit ? Bien plus, cet atome n’a-t-il point commencé ? est-il éternel ? est-il infini ? Ferez-vous un Dieu de cet atome ?»

Les Caractères ou les moeurs de ce siècleLa Bruyère. Garnier - Flammarion (1965)



mardi 9 septembre 2014

Conseils

«DON JUAN. -  Il se révèle que l'attaque soudaine est préférable au siège prolongé. Le séducteur usera de tendresse et de la plus ferme résolution ne laissant aucun doute à l'objet.
PABLO. - On sait ça.
DON JUAN. - Vivacité méridionale dans le ton, pureté et modération afin d'inspirer confiance.
PABLO. - On a saisi.
DON JUAN. - Un ton élégiaque, un rien de peine surmontée afin d'exalter l'imagination et la sympathie.
PABLO. - Là, nous sommes experts.
DON JUAN. - Toute déclaration suggérant la froideur ou la perversion est strictement interdite.
PABLO. - Pour qui nous prennent-ils ?
DON JUAN. - Un brin de cynisme venant d'un idéalisme blessé est autorisé, même recommandé. La jeune femme nordique est réceptive à un parler raffiné teinté d'accent étranger. Une attitude virile est un avantage sans être indispensable. Elle n'a pas l'habitude des compliments et il faut louer ses charmes ou ses habits avec prudence. Si le séducteur est trop enthousiaste, elle pensera qu'il ment et le jeu est perdu. Résumé : la femme nordique est passionnée, surprenante, indépendante, loyale et romantique mais absolue dans sa passion. Elle a souvent les pieds froids. Prendre son impudeur pour de la frivolité serait la sous-estimer. Inexpérimentée mais curieuse. Facile d'accès en été lorsqu'elle a moins d'habits. Elle a rarement conscience de sa féminité donc facile à capturer. Sa moralité est impénétrable, elle est donc difficile à garder.»

L'Oeil du diable. Ingmar Bergman. (1960)

lundi 8 septembre 2014

Talens réunis : textes (14)




«Lettre soixante et unième

Jacob Brito à Aaron Monceca

   J'ai quitté Naples depuis quinze jours, & je tache d’arriver en Suisse le plutôt qu’il me sera possible. Je resterai cependant quelques jours à Milan. Depuis que je suis dans cette ville, j’ai aperçu bien des choses qui méritent l’attention d’un voyageur. Elle est grande & bien bâtie. Les Français & les Piémontais, au pouvoir de qui elle est encore pour quelques temps, y sont peu aimés des habitants. Les maris jaloux soupirent après l’heureux instant où les Impériaux viendront les délivrer d’incommodes galants. Depuis que les Français sont maîtres de Milan, le vin a beaucoup diminué de prix, & le nombre de baptêmes s’est considérablement augmenté. Beaucoup de maris, qui n’avaient jamais eu d’enfants, & qui croyaient leurs femmes stériles, jouissent maintenant du doux nom de père. Les dévots attribuent cette heureuse multiplication aux intercessions de Charles Borromée : les astrologues assurent qu’on en est redevable aux heureuses influences des astres ; mais, les jaloux pensent que les Français y ont beaucoup plus de part que les saints & les globes célestes. Ils attendent donc le retour des Allemands avec beaucoup d’impatience ; & je ne doute pas, qu’ils ne fassent rendre publiquement des actions de grâce de leur arrivée aux Saints en qui ils ont le plus de confiance. 

   Les Milanais, ainsi que les autres Italiens, ont auprès de la divinité de très grands protecteurs, auxquels ils ont bâti des temples magnifiques. Les principaux avocats, qu’ils ont choisis dans la Cour céleste, ont vécu autrefois dans leur ville. Clou & Charles Borromée sont les plus distingués. Le jour de fête du premier, on expose son corps sur le grand autel du Dôme. Le peuple vient de tous côtés se prosterner devant lui. Une foule de possédés accourent en grand nombre, & font devant le Saint des figures les plus étonnantes, se tourmentent, crient, hurlent, & jouent enfin à Milan le même personnage que les convulsionnaires à Paris. On soulage leurs maux d’une façon assez plaisante. Un prêtre leur jette quelques fleurs prises d’entre celles qui ornent la chasse du Saint ; & les diables sensibles à l’odeur des oeillets & des violettes, deviennent doux, paisibles, complaisants, entrent en conversation avec les prêtres, & leur parlent fort honnêtement. Il n’est rien de si curieux pour un philosophe, que d’être spectateur de ces scènes : & les enthousiasmes de la prêtresse de Delphes n’eurent jamais rien d’aussi extraordinaire. Il y en a, parmi ces possédés, qui font la même cérémonie toutes les années ; & quelques personnes à qui l’on apprend plusieurs mots de différentes langues. Les prêtres font valoir beaucoup cet artifice ; & le menu peuple est fort étonné d’entendre un paysan parler une langue qu’il n’a jamais apprise. Il y a quelque temps, qu’un docteur nazaréen, qui interrogeait un de ces possédés, oublia les demandes qu’il devait faire, & lui proposa quelques-unes des questions qui regardait un de ses confrères ; qui, entendant la question du Prêtre, crut qu’on s’adressait à lui, & répondit pour son camarade. Cette aventure étonna un peu le docteur : mais, il se remit bientôt de sa surprise, qui ne fut remarquée que de ceux qui connaissent le ridicule & la fourberie de ces comédies infernales. 
   
   Les Milanais ont autant de superstition que leurs voisins ; mais ils accommodent leur dévotion à leurs plaisirs ; & comme les fêtes des Saint leur procurent plusieurs divertissements, ils en font autant qu’ils peuvent. Le beau sexe, les moines, les galants, les musiciens, & les limonadiers, en profitent. 

   Le Carnaval est presque aussi gai à Milan qu’à Venise : tout le monde s’y livre à la joie. Les religieuses enfermées dans leurs couvents ne cèdent point leur part : elles jouent entre elles des comédies, s’habillent en Arlequin, en Scaramouche, en Mezetin ; & la sœur Dorothée & la sœur Angélique deviennent Pantalon & Pierrot. Depuis Noël jusqu’au Carême, on va en foule dans les couvents voir représenter à la grille ces troupes de comédiens femelles qui se tirent à merveille d’affaire, & représentent souvent mieux leur rôle, que de véritables comédiens. 

   Les moines ne le cèdent en rien aux religieuses pour la mascarade. Ils jouent aussi des farces publiquement dans leurs couvents. Le père Prieur fait le Bonhomme Jean Broche : les jeunes novices s’acquittent à merveille des rôles d’Angélique & de Spinete ; & jusqu’aux frères lais, tous veulent avoir part aux plaisirs publics. Ces moines poussent même la science plus loin : ils vont jouer leurs pièces dans bien des maisons particulières ; &, pour une collation, on peut avoir chez soi pendant un après-midi la troupe franciscaine, ou l’augustinienne. L’on a à choisir parmi toutes les différentes sectes de moines. 

   Ces troupes particulières n’empêchent point qu’il n’y en ait plusieurs autres de véritables comédiens, répandus dans la ville. L’opéra occupe le premier théâtre. Il est magnifique, & les décorations en sont superbes. Les Milanais ont une façon particulière d’applaudir aux acteurs ou aux actrices. Ils composent des sonnets, ou bien ils les font faire à quelques poètes à gage ; & lorsqu’un Virtuoso, ou une Virtuosa, a parfaitement chanté, on jette de tout côté sur le théâtre de ces sonnets imprimés, qui contiennent tous quelques louanges de l’acteur. Il arrive souvent, que, dans ces poésies, Jules César, Tamerlan, Mahomet II, se trouvent de petits Garçons, eu égard aux Signori Scalfi, Fufarlini, Sinefini, & autres demi hommes, qui ont payé bien chèrement l’avantage d’avoir la voix claire. Les Anglais ont une autre façon d’applaudir, qui plait beaucoup aux acteurs. Ils jettent, au lieu de vers, des bourses remplies de ducats ; & la gloire n’est point assez chère aux Signori Virtuosi, pour leur faire préférer les sonnets aux pistoles. Il faut pourtant qu’ils s’en contentent en Italie, ne pouvant mieux faire ; car il n’est aucun Milanais, qui soit tenté d’applaudir à la manière anglaise. [...]»

Lettres juives ou correspondance philosophique, historique et critique entre un juif voyageur à Paris & ses correspondants en divers endroitsMarquis Boyer d'ArgensA Amsterdam Chez Paul Gautier (1737)