vendredi 18 juillet 2014

«Mais pendant tout le petit souper, la charmante femme ne fit que se plaindre de son mari, qui n'aurait pas dû l'épouser puisqu'il savait n'être pas en état de faire auprès d'une femme les fonctions d'un homme.
- Pourquoi n'en avez-vous pas essayé avant de vous marier ?
- Mais était-il convenable que j'en fis les avances ? Et puis comment croire qu'un aussi bel homme ne serait bon à rien ? Voici l'histoire. Je dansais, comme vous le savez à la Comédie Italienne, et j'étais entretenue par M. de Sanci, trésorier aux économies du clergé. Ce fut lui qui me conduisit votre frère chez moi. Il me plut et je en fus pas longtemps à m'apercevoir qu'il m'aimait. Mon amant m'avertit que c'était le moment de faire ma fortune en me faisant épouser. Dans cette idée je formai le plan de ne rien lui accorder. Il venait chez moi le matin, me trouvait souvent seule au lit ; nous causions, il paraissait s'enflammer, mais tout finissait par des baisers. Je l'attendais à une déclaration en forme d'amener la conclusion que je désirais alors. C'est alors que M. de Sanci me fit une rente viagère de mille écus, moyennant quoi je me suis retirée du théâtre.
La belle saison étant venue, M. de Sanci invita votre frère à passer un mois à la campagne, m'emmenant avec lui, et, pour que tout fût couvert du voile de la décence, il fut convenu que je serais présentée comme sa femme. Cette proposition plut à Casanova, n'y voyant qu'un badinage et ne pensant pas, peut être, qu'elle pût tirer à conséquence. Il me présenta donc comme sa femme à toute la famille de mon amant, ainsi qu'aux parents, conseillers au parlement, militaires, petits-maîtres et dont les femmes étaient du grand ton. Il trouva plaisant que le bon ordre de la comédie le mît en droit d'exiger que nous couchassions ensemble. Je ne pouvais pas m'y refuser sans m'exposer à faire la plus mauvaise figure ; d'ailleurs loin de me sentir la moindre répugnance pour cette concession, je n'y voyais qu'un prompt acheminement à ce qui faisait l'objet de tous mes vœux. 
Mais que vous dirais-je ! votre frère, tendre et me donnant mille marques de son amour, m'ayant en sa possession pendant trente nuits de suite, ne vint jamais à la conclusion qui doit sembler si naturelle en pareille circonstance.»

Histoire de ma vieJacques Casanova de Seingalt. Bouquins Robert Laffont (2006)


jeudi 17 juillet 2014

«nos mômes sûrement pouvaient tenir à douze ou quinze dans n'importe quel trou... je ne les avais pas comptés... en plus je vous ai dit, baveux visqueux... et recroquevillés... ils passaient par n'importe quel trou, des fentes, vous vous demandiez comment ? et j'ai été accoucheur, je peux dire passionné par les difficultés de passages, visions aux détroits, ces instants si rares, où la nature se laisse observer en action, si subtile, comment elle hésite, et se décide... au moment de la vie, si j'ose dire... tout notre théâtre et nos belles lettres sont au coït et autour... fastidieux ressassages!... l'orgasme est peu intéressant, tout le battage des géants de plume et de cinéma, les millions de publicité ont jamais pu mettre en valeur que deux ou trois petites secousses de croupions... le sperme fait son travail bien trop en douce, bien trop intime, tout nous échappe... l'accouchement voilà qui vaut la peine d'être vu !... épié !... au milli !... partouze ?... Dieu sait si j'y ai perdu des heures !... pour à peine deux... trois remous de fesses !»

Rigodon. Louis-Ferdinand Céline. Editions Gallimard (1969)

lundi 14 juillet 2014


La PBF tous les mercredis à 19H sur Radio-radio 106.8 Mhz (Toulouse) et sur http://www.radio-radio.net avec possibilité de télécharger le podcast pour ceux qui ont piscine le mercredi...

dimanche 13 juillet 2014

«Lucerne avait parlé d'une traite, sur le souffle, en forçant sa voix jusqu'à manquer de la briser. Un silence absolu suivit son discours. En coulisse, les techniciens se déplaçaient sur la pointe des pieds. Parfois, on les apercevait qui communiquaient par signes, comme des sourds-muets.
Linou frotta sa joue contre la bras nu d'Alexandra et murmura un ironique "Ah la la..." Puis plus sérieusement : "Tu sens la vanille." "Chut", lui murmura Alexandra en retour. Mais soudain, elle croisa, par hasard parce qu'elle s'apprêtait à changer de position, le regard intense, brûlant et terrible d'Alma. Un regard où s'affrontaient à égalité l'amour, la haine et le désir de meurtre. Un regard comme elle n'en avait jamais eu, ou alors sur scène, et qui bouleversait Alexandra.»

Canines. Anne Wiazemsky. Editions Gallimard (1983)

samedi 12 juillet 2014

«La jurisprudence et la grammaire commençant à fleurir, l'instruction élémentaire, qui remontait déjà à l'époque précédente, dut en recevoir une certaine impulsion. Le livre d'Homère, le plus ancien des livres grecs ; le Code des XII Tables, le plus ancien écrit romain, ont été chacun dans leur patrie respective, la base de l'enseignement. Les enfants de Rome eurent à apprendre par coeur, c'était là leur principale étude, le manuel de droit civil et politique condensé dans les XII Tables. Outre le maître de lettres latines (litteratores), il y avait aussi à Rome depuis que la langue grecque y était devenue l'indispensable auxiliaire du commerçant et de l'homme d'Etat, des professeurs de langue grecque (grammatici), tantôt esclaves ou intendants du chef de la maison, tantôt instituteurs privés, qui enseignaient la lecture et l'écriture grecques, soit chez eux, soit au domicile de l'élève. Le bâton avait son rôle dans l'éducation, comme dans la police, nous n'avons pas besoin de le dire.»

Histoire romaine Livre I à IV : Des commencements de Rome jusqu'aux guerres civilesTheodor Mommsen. Bouquins Robert Laffont (1985)

vendredi 11 juillet 2014

«Elle se réjouissait d'avoir eu l'inspiration de mettre des bas transparents à la pensée que Reggie Wylie pourrait sortir mais elle n'en était plus là. Voilà que se réalisait ce dont elle avait si souvent rêvé.  Voilà celui qui lui importait désormais et elle laissait la joie illuminer son visage  parce que c'était lui qu'elle voulait parce que l'instinct le lui signalait comme unique au monde. C'est de tout son coeur que la femmenfant se livrait à lui, son maridéal, parce que d'emblée elle avait su que c'était lui. S'il avait souffert, plus à plaindre qu'à blâmer, et même, même s'il avait été effectivement à blâmer, méchant homme, elle ne voulait pas en tenir compte. Même s'il était protestant ou méthodiste elle pourrait le convertir aisément, il n'y mettrait aucun obstacle si vraiment il l'aimait. Il est des plaies qui demandent à être pansées avec le baume de l'amour. Elle était une femme vraiment femme, non comme toutes ces greluches, garçonnes, qu'il avait connues, ces créatures qui vont à bicyclette pour montrer ce qu'elles n'ont pas et elle s'impatientait de tout savoir pour tout pardonner, si elle parvenait à le faire tomber amoureux d'elle, elle lui ferait oublier la mémoire du passé. Alors sans doute la prendrait-il doucement dans ses bras à la façon d'un vrai mâle, presserait-il son souple corps contre le sien et l'aimerait-il, sa petite fille toute à lui, parce qu'elle serait pour lui unique au monde.»

Ulysse. James Joyce. Gallimard (2004)

jeudi 10 juillet 2014

«Mais sans remuer la main, il regarderait toujours dehors, attendant peut être ce désastre, sachant pourquoi il ne peut plus bouger, ignorant par conséquent, depuis combien de temps il est là. Il pourrait tout aussi bien se trouver ailleurs. Au bord de la mer. Sur une scène, spécialement agencé. Son propre point de vue, d'où il pourrait assister aux différentes phases de ce qui se produirait, n'exclurait les autres, précisément, que dans la mesure où il les contient tous simultanément. Dans sa main, mais était-ce bien la sienne - cette main qui prolongerait un bras insensibilisé - la tasse de café serait remplacée par un demi de bière, la bière par un deuxième verre de vin  et le premier verre de vin par une autre tasse de café. Entre deux doigts de ce qu'il présumerait être son autre main, une cigarette consumée se rallumerait. Un briquet argenté serait posé à côté d'un paquet bleu qui se viderait, se chiffonnerait, sauf quand il serait encore intact, clos par une bande de papier blanc, bientôt arrachée...»

Les Aventures d'une jeune fille. Jean-Edern Hallier. Editions du Seuil (1963)

mardi 8 juillet 2014

«Les yeux au loin, vers les coloquintes, l'enfant guettait toujours les lézards. 
- Tu en as vu beaucoup ?
- Un million - il se ravisa - au moins deux.
Il se tourna vers elle, mais ses pensées étaient ailleurs, ivres de lézards.
- Et papa ?
- Il dort. Tu as faim ce matin ?
- J'ai volé du pain dans la cuisine, je voulais que papa il m'attrape un lézard.
Elle se pencha, l'embrassa. Toujours cette odeur ensoleillé.»

Les Petits chevaux de Tarquinia. Marguerite Duras. Editions Gallimard (1953)

dimanche 6 juillet 2014

«L'état dans lequel nous nous trouvons, écrit Kafka dans un autre recueil quasi contemporain, est celui du péché, indépendamment de la faute. 
Nous ne sommes pas dans l'univers moral de la faute et de sa punition qui fait la cruauté de l'Enfer de Dante, mais dans une temporalité répétitive, ressaisissant et perdant dans le même temps le paradis, qui ne fait dorénavant plus qu'un avec le purgatoire et l'enfer, ne peut que "clignoter", apparaître pour disparaître, et cela dans une durée complexe et simple à la fois. Reconnaissez tout de même  que le parallèle est frappant, et que nous sommes là, des deux côtés du Rhin, sur des sols très proches. Les écrivains n'ont pas de patrie , allez-vous me répondre... Si, mais c'est ici la même !»

La Divine comédie : entretiens avec Benoît Chantre. Philippe Sollers. Desclée de Brouwer (2000)

vendredi 4 juillet 2014

Réminiscence des Ateliers d'Écriture Totale (1)



«Près de l'entrée, un mourant
Lui confie en gémissant
Que sa femme plus ne l'aime
Et que sa vie devient blême.»

La Cause est immatérielle. Doriane le Bourse, Victor Gasia, Diane Loré et al. Editions du Paradis (2000)
«Il était chez lui. Avant d'aller se coucher, il buvait du thé en pensant à la mort. Cela l'inspirait. il était d'excellente humeur et aurait préféré un verre de vodka, mais il n'en avait pas.
On venait de lui proposer un jeu formidable. Il ignorait encore comment il allait s'acquitter de ses nouvelles obligations mais cet avant-goût de nouveauté et d'originalité le comblait. Micha le pingouin se promenait dans le couloir sombre, cognant de temps à autre à la porte fermée de la cuisine. Victor finit par se sentir coupable et lui ouvrit. Il s'arrêta près de la table. Haut de presque un mètre, il parvenait à embrasser des yeux tout ce qui s'y trouvait. Il fixa d'abord la tasse de thé, puis Victor, qu'il examina d'un regard pénétrant, comme un fonctionnaire du Parti bien aguerri. Victor eut envie de lui faire plaisir. Il alla lui préparer un bain froid. Le bruit de l'eau fit immédiatement accourir le pingouin, qui s'appuya au rebord de la baignoire, bascula et plongea sans attendre qu'elle soit pleine.»

Le Pingouin. Andreï Kurkov. Editions Liana Levi (2000)

Doux naturel et ardeur impétueuse

«Alors j'éprouvai de mon côté un sentiment de perplexité et, ayant passé en revue ce que nous venions de dire, je poursuivis :
- C'est à juste titre, mon ami, que nous sommes perplexes car nous avons laissé de côté l'analogie que nous avions proposée.
- Que veux-tu dire ?
- Nous n'avons par réfléchi au fait qu'ils existent des naturels d'un genre que nous aurions pensé impossible, des naturels qui intègrent ces contraires.
- Où donc ?
- On peut les observer chez d'autres animaux mais surtout chez celui que nous comparions au gardien. Tu sais sans doute que pour les chiens de bonne race, c'est là le caractère qu'ils possèdent naturellement : pour les gens de la maison et pour les connaissances, ils sont aussi doux que possible, alors que pour les inconnus, c'est tout le contraire.
- Je le sais bien sûr.
- C'est donc possible, dis-je, et nous ne cherchons pas quelque chose qui ne soit pas naturel en cherchant un gardien de ce genre.
- Il ne me semble pas.»

La République. Platon. Flammarion (2002)