samedi 29 novembre 2014

Tentative d'autoportrait (8)

«Non seulement je n'ai pas su devenir méchant, mais je n'ai rien su devenir du tout : ni méchant, ni gentil, ni salaud, ni honnête - ni un héros ni un insecte. Maintenant que j'achève ma vie dans mon trou, je me moque de moi-même et je me console avec cette certitude aussi bilieuse qu'inutile : car quoi, un homme intelligent ne peut rien devenir - il n'y a que les imbéciles qui deviennent. Un homme intelligent du XIXe siècle se doit - se trouve dans l'obligation morale - d'être une créature essentiellement sans caractère ; un homme avec un caractère, un homme d'action, est une créature essentiellement limitée. C'est là une conviction vieille de quarante ans.»

Les Carnets du sous-sol. Fédor Dostoïevski. Babel - Actes Sud (1992)

jeudi 27 novembre 2014

Talens réunis (22)


«Dans la chambre d'auberge, une servante à l'air bougon dispose une fiasque de vin blanc, un jambon de San Daniele, des fromages, et sort sans pouvoir s'empêcher en refermant la porte de jeter un regard soupçonneux sur Ortensia. Une seconde encore, le temps d'écouter son pas s'éloigner, et de toute la force de ces heures passées ensemble sans oser s'approcher de tout le désir renforcé par la peur, Sandro et Ortensia se précipitent l'un sur l'autre avec un irrépressible fou-rire, qui gêne leur baiser. Ils se sont agrippés, accrochés l'un à l'autre avec leurs bras, leurs, mains, leurs jambes. Leurs bouches se cherchent, et puis non, c'est impossible : ils rient trop. C'est comme si toute l'inquiétude, la fatigue, l'attente, les instants de panique, lorsqu'un cavalier galopait derrière eux, et puis l'accablement de s'être retrouvés il y a quelques instants dans l'espèce de dortoir sordide où les conduisait l'hôte, tout se dénouait à la fois en une explosion : ils rient, ils tremblent de rire, ils claquent des dents de rire, et leur rire se redouble de se baiser qu'ils ne parviennent pas à se donner à cause du rire.»

StradellaPhilippe Beaussant. Editions Gallimard (1999)

mardi 25 novembre 2014

Projet Poubelle-bis (23)

«Roberte et Milan arrivèrent vers les dix heures. Elle portait un chandail bleu sombre à col roulé, un pantalon de velours et des chaussures à talon bottier ; ses cheveux courts et plats étaient rejetés en arrière. Milan avait passé un pull-over sur une chemise blanche à col ouvert, il avait les pieds nus dans des espadrilles, il jouait avec son bâton de houx accroché au poignet par le lacet de cuir.
Bourret avait raconté l'intervention de Roberte au cours du vêlage de la Blonde. On la plaisanta, elle répondit gaillardement. Elle s'assit à côté de Radiguet qui lui offrit un verre de marc puis elle commanda une tournée. Milan alla d'une table à l'autre, il connaissait maintenant tout le monde, il eut un colloque avec Auguste, il était très mal à l'aise.»

Les mauvais coups. Roger Vailland. Editions du Sagittaire (1948)

dimanche 23 novembre 2014

«Mais voilà : je ne peux pas ne pas venir demain. Je suis un rêveur ; j'ai si peu de vie réelle que des minutes comme celle-là, celle que je suis en train de vivre, elles me sont si rares que je ne peux pas ne pas les répéter dans mes rêveries. Je rêverai de vous toute la nuit, toute la semaine, toute l'année. Je viendrai ici demain, coûte que coûte, oui, ici, à cet endroit précis, à la même heure, et je serai heureux en me souvenant de ce qui s'est passé. Cet endroit à lui seul m'est déjà cher. J'ai déjà comme cela deux ou trois autres lieux à Petersbourg. Une fois, je me suis même mis à pleurer à cause d'un souvenir, comme vous... Qui sait, peut être, vous aussi, il y a dix minutes, vous pleuriez à cause d'un souvenir ?»

Les Nuits blanches. Fédor Dostoïevski. Babel - Actes Sud (1992)

vendredi 21 novembre 2014

«Dès que d'une manière quelconque la corruption intervient, une superstition aux aspects variés commence à prédominer, tandis que la croyance qu'un peuple professait dans son ensemble pâlit et devient impuissante : la superstition est en effet une libre pensée de second ordre -celui qui s'y livre choisit un certain nombre de formes et de formules qui lui conviennent et s'autorise ainsi du droit même de choisir. Comparé à l'homme religieux, le superstitieux est beaucoup plus "personnel", et une société superstitieuse sera celle qui compte déjà beaucoup d'individus, et où se manifeste déjà le désir de l'individualité.»

Le Gai savoir. Friedrich Nietzsche. Garnier-Flammarion (2007)

jeudi 20 novembre 2014

Projet Terramycine 2 : Un doux sourire intérieur (deuxième partie)



«Le moyen le plus simple, théoriquement, pour atteindre Waindell, était de prendre un taxi jusqu'à Framingham, à Framingham de monter dans un express à destination d'Albany d'où partait un train d'intérêt local à parcours moins long en direction du nord-ouest. En fait, le moyen le plus simple était aussi le plus long. Soit à cause d'une vieille vendetta consacrée entre les différentes lignes de chemin de fer, soit que celles-ci se fussent unies pour accorder loyalement leur chance à d'autres moyens de transport, le fait était là : quoi que vous fissiez, quelque acrobatie que vous réussissiez avec les horaires, une attente de trois heures à Albany était ce qu'on pouvait espérer de mieux.»

PnineVladimir Nabokov. Editions Gallimard (1962)

mardi 18 novembre 2014

«L'esprit philosophique de Botul en tient compte : convaincu que Landru a effectivement tué, mais sans que le moindre cadavre puisse révéler qui il a tué, Jean-Baptiste voit en lui l'incarnation (peut être sous l'influence de Nietzsche) d'une volonté. Sauver Landru, fût-ce malgré lui (les conseils de Botul, subtilement, prennent en compte le désir inconscient, chez l'accusé, d'être puni pour avoir obstinément nié l'évidence), ce serait démontrer que l'on peut être à la fois nuisible et innocent, autrement dit : incondamnable. Le philosophe récuse l'idée banale du "monstre", il s'évertue à construire une transcendance du crime que Landru, de toute évidence, n'a jamais envisagée. Prisonnier de ses propres dénégations, et sans doute peu rompu aux stridences de la pensée pure, l'assassin reste sourd à ces conseils qui l'eussent sans doute point empêché de voir sa tête rouler dans un panier d'osier. Mais il l'eût fait d'un regard différent.»

Landru, précurseur du féminisme : correspondance inédite 1919-1922. Henri-Désiré Landru  et Jean-Baptiste Botul. Mille et une nuits (2001)

dimanche 16 novembre 2014

«En effet, les jeunes gens de Paris ne ressemblent aux jeunes gens d'aucune ville. Ils se divisent en deux classes : le jeune homme qui a quelque chose, et le jeune homme qui n'a rien ; ou le jeune homme qui pense et celui qui dépense. Mais entendez-le bien, il ne s'agit ici que de ces indigènes qui mènent à Paris le train délicieux d'une vie élégante. Il y existe bien quelques autres jeunes gens, mais ceux-là sont des enfants qui conçoivent très tard l'existence parisienne ou en restent les dupes. Ils ne spéculent pas, ils étudient, ils piochent, disent les autres. Enfin il s'y voit encore certains jeunes gens, riches ou pauvres, qui embrassent des carrières et les suivent tout uniment ; ils sont un peu l'Émile de Rousseau, de la chair à citoyen et n'apparaissent jamais dans le monde. Les diplomates les nomment impoliment des niais. Niais ou non, ils augmentent le nombre de ces gens médiocres sous le poids desquels plie la France. Ils sont toujours là ; toujours prêts à gâcher les affaires publiques ou particulières, avec la plate truelle de la médiocrité, en se targuant de leur impuissance qu'ils nomment moeurs et probité. Ces espèces de Prix d'excellence sociaux infectent l'administration, l'armée, la magistrature, les chambres, la cour. Ils amoindrissent, aplatissent le pays et constituent en quelque sorte dans le corps politique, une lymphe qui le surcharge et le rend mollasse. Ces honnêtes personnes nomment les gens de talent, immoraux ou fripons. Si ces fripons font payer leurs services, du moins ils servent ; tandis que ceux-la nuisent et sont respectés par la foule ; mais heureusement pour la France, la jeunesse élégante les stigmatise sans cesse du nom de ganaches.»

La fille aux yeux d'orHonoré de Balzac. Librairie Générale Française (1972)

vendredi 14 novembre 2014

«L'histoire n'acceptera pas, nous le voulons, un tel jugement à la lettre ; mais pour qui assiste à la révolution complète de la vie et de la pensée apportées dans Rome par un hellénisme abâtardi, il semble d'abord que loin d'adoucir la sentence, il convienne de la prononcer plus sévère.
En effet, les liens de la famille se relâchaient avec une effrayante rapidité. Les habitudes de  débauche dans la compagnie des courtisanes et des jeunes garçons gagnaient partout comme une lèpre, et la loi devenait impuissante à y porter remède. En vain Caton, étant censeur (184 av. J.-C.), établit une lourde taxe sur le luxe abominable des esclaves entretenus à de telles fins. Sa tentative resta sans effet ; et la taxe disparut dans l'impôt proportionnel sur l'ensemble des biens. Les célibataires dont le nombre avait, dès 234, provoqué de sérieuses plaintes, allaient de même en augmentant, et le divorce devenait quotidien. D'épouvantables crimes se commettaient au sein des plus notables familles.

Histoire romaine Livre I à IV : Des commencements de Rome jusqu'aux guerres civilesTheodor Mommsen. Bouquins Robert Laffont (1985)

jeudi 13 novembre 2014

«R. m'apparaît dans la plupart de mes rêves, sous sa propre forme ou sous une autre forme, cachée, comme si elle voulait ne pas se montrer, mais je la découvre et je l'identifie. Elle est là, l'interlocuteur par excellence, comme une ombre, parfois grondeuse et critique, parfois la conscience, parfois comme un adversaire redoutable. Mais elle est là. Ainsi dans ce jardin desséché, ainsi sur cette place, ainsi me grondant devant ce mur qu'elle juge laid, ainsi sur ces champs en pente et stériles et sombres, ainsi sous ce ciel sans lumières. Il est évident qu'elle partage mon destin, que je le veuille, que je ne le veuille plus, que je le veuille moins. Depuis, si longtemps, depuis si longtemps, elle le dit elle-même. Cela ne peut être autrement, ou tout se détruit. Amour ou possession ? Mais elle ne veut pas me conduire, elle m'accompagne, s'efforçant simplement d'empêcher que je m'égare. D'empêcher ce qu'elle croit être m'égarer. Le mot indépendance est un égarement ; qu'elle ne soit plus avec moi, c'est cela m'égarer. Qu'elle ne soit plus avec moi, elle se sentirait égarée elle-même, perdue dans un monde chaotique, un monde qui aurait perdu ses assises.»

Journal en miettesEugène Ionesco. Mercure de France (1967)

Un vieillerie retrouvée au fin fond d'un grenier par Ruthène Sith...
«Les passions ont cela de redoutable qu'elles sont toujours justifiées par les faits ; si je crois que j'ai un ennemi, et si l'ennemi supposé le sait, nous voilà ennemis. Et le naïf, en racontant ces guerres folles et des imaginations vérifiées, dira toujours : N'avais-je pas raison de le haïr ?

Mars ou la guerre jugée. Alain. Editions Gallimard (1936)

lundi 10 novembre 2014

«- Quand une cité gouvernée démocratiquement et assoiffée de liberté tombe par hasard sous la coupe de mauvais échansons et s'enivre du vin pur de la liberté, dépassant les limites de la mesure, alors ceux qui sont au pouvoir, s'ils ne sont pas entièrement complaisants et ne lui accordent une pleine liberté, elle les met en accusation pour les châtier comme des criminels et des oligarques.
- Voilà ce que la cité fait, dit-il.
- Quand à ceux, repris-je, qui respectent l'autorité des gouvernants, on les invective en les traitant d'hommes serviles et de vauriens, mais les gouvernants qui passent pour des gouvernés, et les gouvernés qui passent pour des gouvernants, ce sont eux auxquels on accorde du respect. N'est-il pas inévitable que dans une telle cité l'esprit de liberté s'étende à tout ?
- Si nécessairement.
Et que s'il se propage, cher ami, continuai-je, jusqu'à l'intérieur des maisons privées, de telle sorte qu'au bout du compte l'anarchie s'implante même chez les animaux sauvages ?»

La République. Platon. Flammarion (2002)

dimanche 9 novembre 2014

«Ce qui est drôle aussi, c'est que lorsqu'il analyse de prétendus rêves télépathiques, il [Freud] ne semble pas s'apercevoir que tous ceux qu'il cite tournent autour de la même chose : une grossesse, des accouchements, une femme qui  n'arrive pas à avoir d'enfants.  Des transmissions dans la pensée de la reproduction.»

Le XIXe siècle à travers les âgesPhilippe Muray. Editions Denoël (1999)

vendredi 7 novembre 2014

«Papaoutez-vous ! c'est partout...
Les Académies entières s'empapaoutent à tour de nouilles, se fêtent et se perpètent... mais que moi je risque un mot de travers : "Tiens, cette môme-là, par exemple, je lui filerais bien un centimètre" ! Cataclysses ! J'y passe ! pire qu'au trou du Ciel ! pire qu'après vingt "forteresses" ! c'est qu'un cri dans les pissotières !
- Avez-vous ouï ce fou ruteur ? vrai ? est-ce possible ? ce pire-que-tout ?»

Féerie pour une autre foisLouis-Ferdinand Céline. Editions Gallimard (1995)

jeudi 6 novembre 2014

«Au-dessus de cette sphère, vit le monde artiste. Mais là encore les visages marqués du sceau de l'originalité, sont noblement brisés, mais brisés, fatigués, sinueux. Excédés par un besoin de produire, dépassés par leurs coûteuses fantaisies, lassés par un génie dévoreur, affamés de plaisir, les artistes de Paris veulent tous regagner par d'excessifs travaux les lacunes laissées par la paresse, et cherchent vainement à concilier le monde et la gloire, l'argent et l'art. En commençant, l'artiste est sans cesse haletant sous le créancier ; ses besoins enfantent les dettes et ses dettes lui demandent des nuits. Après le travail, le plaisir. Le comédien joue jusqu'à minuit, étudie le matin, répète à midi ; le sculpteur plie sous sa statue ; le journaliste est une pensée en marche comme le soldat en guerre ; le peintre en vogue est accablé d'ouvrages , le peintre sans occupations se ronge les entrailles s'il se sent homme de génie. La concurrence, les rivalités, les calomnies assassinent ces talents. Les uns désespérés, roulent dans les abîmes du vice, les autres meurent jeunes et ignorés pour s'être escompté trop tôt leur avenir. Peu de ces figures, primitivement sublimes, restent belles. D'ailleurs la beauté flamboyante de leurs têtes demeure incomprises. Un visage d'artiste est toujours exorbitant, il se trouve toujours en dessus ou en dessous des lignes convenues pour ce que les imbéciles nomment le beau idéal. Quelle puissance les détruit ? La passion. Toute passion à Paris se résout par deux termes : or et plaisir.»

La fille aux yeux d'orHonoré de Balzac. Librairie Générale Française (1972)

mercredi 5 novembre 2014

Talens réunis (21)


«Quand d'une effrayante manière
Un jour la tête la première
Votre honnête homme de papa
Tout au milieu des fossés se baigna,
On dit que quelqu'un demandât,
Ce qui pourrait moins vous déplaire
Que sa chute il recommença
Ou qu'un âne encore vous fit faire
Ce saut qui tant nous amusa.
Votre réponse alors fut et modeste et fière :
Qu'il n'arrive rien à mon père ;
Je consens à montrer, monsieur, ce qu'on voudra.
S'il plait à Dieu, la chose arrivera ;
Et votre choix nous montrera 
Et son coeur et joli derrière.»




A la même, le jour de son mariage.

Oui sans doute un joli visage,
Même entre amis est bien venu.
On s'en aime un peu davantage
Un baiser en est mieux reçu.
Un jour, un âne trop sauvage
vous dévoila, comme on a su.
Lors l'amitié prudente et sage
regretta tant de bien perdu.
De ce jour, votre mariage
Dans notre esprit fut résolu.
Aujourd'hui l'amour fait usage
De tout ce bien que l'on a vu.


Oeuvres badines du Comte de Caylus avec figures. [Anne-Claude-Philippe de Tubières-Grimoard de Pestels de Levis]. Visse (1787)

«Personne n'atteint d'emblée à la frivolité. C'est un privilège et un art, c'est la recherche du superficiel chez ceux qui s'étaient avisés de l'impossibilité de toute certitude en ont conçu le dégoût : c'est la fuite loin des abîmes qui étant naturellement sans fond ne peuvent mener nulle part.»

Précis de décomposition. Emile-Michel Cioran. Gallimard Tel (1977)

mardi 4 novembre 2014

«Comme nous voyons des terres oisives, si elles sont grasses et fertiles, foisonner en cent mille sortes d'herbes sauvages et inutiles, et que pour les tenir en office, il les faut s'assujettir et employer à certaines semences, pour notre service. Et comme nous voyons, que les femmes produisent bien toutes seules, des amas et pièces de chair informes, mais que pour faire une génération bonne et naturelle, il les faut embesogner d'une autre semence : ainsi est-il des esprits, si on ne les occupe à certain sujet, qui les bride et les contraigne, il se jettent déréglés, par-ci, par-là, dans le vague champ des imaginations.

Les Essais : De l'Oisiveté. Montaigne. Librairie Générale Française (2002)

lundi 3 novembre 2014


«Lake était né dans l'Ohio, avait étudié à Paris et Rome, enseigné en Equateur et au Japon. C'était un expert en art reconnu, et l'on se demandait, intrigué, pour quelles raisons, depuis dix hivers, Lake avait choisi d'aller s'enterrer à Saint-Bart'. Bien qu'il possédât le caractère morose du génie, il manquait d'originalité et il le savait ; ses peintures donnaient toujours l'impression d'être des copies merveilleusement intelligentes, bien qu'on ne pût jamais dire exactement la manière qu'il avait essayé de contrefaire. Sa connaissance approfondie de techniques innombrables, son indifférence aux "écoles" et aux "tendances", sa haine des charlatans, la conviction qu'entre une aquarelle prétentieuse d'hier, et, mettons, le néo-platonisme conventionnel ou le non-objectivisme banal d'aujourd'hui, il n'y avait aucune espèce de différence, et que rien à part le talent individuel n'avait d'importance, ces conceptions faisaient de lui un professeur peu ordinaire. Saint-Bart' n'était pas particulièrement satisfait ni des méthodes de Lake ni des résultats de celles-ci, mais on le gardait parce qu'il était élégant de compter au moins un phénomène dans les professeurs.»

PnineVladimir Nabokov. Editions Gallimard (1962)

dimanche 2 novembre 2014

Quelques Éléments de la Société du Spectacle (1)



13

«Le caractère fondamentalement tautologique du spectacle découle du simple fait que ses moyens sont en même temps son but. Il est le soleil qui ne se couche jamais sur l'empire de la passivité moderne. Il recouvre toute la surface du monde et baigne indéfiniment dans sa propre gloire.»

La Société du Spectacle. Guy Debord. Éditions Gallimard (1992)
«L'homme connait aujourd'hui une condition difficile et navrante. Il est balancé au gré des vents, emporté comme un fétu de paille. La perversité de la notion de hasard majore sans [son] anxiété, devant les mystères toujours plus profonds et lointains de la nature. La religion offrait autrefois à ces maux une solution bénéfique. Aujourd'hui, plus rien.
Le mirage a disparu. L'homme se voudrait Dieu alors qu'il n'est qu'un homme.
La science ne résout rien.
La psychologie, dans sa diversité, n'explique pas tout. Elle est incapable de tenir ses promesses et ne peut contraindre le problème posé aux générations nouvelles. La cosmologie et la biologie scientifique en sont à leurs balbutiements. Ils entrebâillent seulement leurs portes, par lesquelles on voudrait en hâte tout engouffrer. L'humanisme scientifique, ayant l'homme pour objet, se voudrait dégagé des abstractions, et n'offre encore que des perspectives limitées.
Devant cette incertitude, l'amour est soumis à des variations. Rien que le doute, le mensonge, l'affabulation, le dégoût. L'amour s'est égaré, il a fait fausse route. Il est soi-disant sorti de l'ornière, alors qu'il a seulement quitté la tradition. Il n'est plus divin, il est devenu diabolique.»

La Sexualité dans le mariage. Docteur N.-H. Bernières. Agence Parisienne de Distribution. [1964]

samedi 1 novembre 2014

«Inamovible basse-taille des choeurs, il se trouve à l'Opéra, prêt à y devenir soldat, Arabe, prisonnier, sauvage, paysan, ombre, pat[t]e de chameau, lion, diable, génie, esclave, eunuque noir ou blanc, toujours expert à produire de la joie, de la douleur, de la pitié, de l'étonnement, à pousser d'invariables cris, à se taire, à chasser, à se battre, à représenter Rome ou l'Egypte ; mais souvent, in petto, mercier. A minuit, il redevient bon mari, homme, tendre père, il se glisse dans le lit conjugal, l'imagination encore tendue par les formes décevantes des nymphes de l'Opéra, et fait ainsi tourner, au profit de l'amour conjugal, les dépravations du monde et les voluptueux ronds de jambe de la Taglioni*.»

La fille aux yeux d'or. Honoré de Balzac. Librairie Générale Française (1972)

*Marie Taglioni (1804-1884) grande ballerine romantique