mardi 30 mai 2017

«La conception du corps très-pur de Marie se fit en un jour de dimanche, correspondant à celui de la création des anges dont elle devait être la reine et la souveraine. Et bien que selon l'ordre commun, les autres corps aient besoin de plusieurs jours pour être entièrement organisés, afin que l'âme raisonnable y soit infuse, néanmoins dans cette occasion le temps nécessaire fut considérablement abrégé, et ce qui se devait opérer naturellement en quatre-vingts jours, se fit avec plus de perfection en sept. Le samedi suivant, le plus proche de cette conception, le Très-Haut créa l'âme auguste qu'il Unit à son corps. C'est ainsi qu'entra dans le monde la créature la plus pure, la plus parfaite, la plus sainte et la plus belle que Dieu ait jamais créée et qu'il doit créer jusqu'à la fin des temps. C'est à cause de ce mystère que le saint esprit a ordonné que l'église consacrerait le samedi à la très-sainte Vierge, comme le jour auquel elle avait reçu le plus grand bienfait, lorsque son âme très-sainte fut créée et unie à son corps, sans que le péché originel ni le moindre de ses effets s'y trouvassent. Le jour de sa conception que l'église célèbre aujourd'hui, n'est pas celui de la conception du corps, mais celui de l'infusion de l'âme sans aucune trace du péché originel. A l'instant de l'infusion de l'âme la très sainte trinité répéta ces paroles proférées à la création de l'homme, faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram: par la vertu de ces divines paroles, l'âme très-heureuse de Marie fut remplie de grâces, de dons, de privilèges et de faveurs pardessus les premiers des Séraphins, avec l'usage le plus parfait de la raison qui devait être proportionnée aux dons de la grâce qu'elle recevait. Alors le Seigneur répéta les paroles prononcées par lui lors de la création, et erant valdè bona, témoignant ainsi la rare complaisance qu'il prenait dans cet ouvrage si glorieux. Au temps de l'infusion de l'âme dans le corps, le Très-Haut voulut que sainte Anne ressentit et reconnut d'une façon très relevée la présence de la Divinité. Elle fut remplie du saint Esprit et ravie en une extase très sublime, où elle reçut de très hautes connaissances des mystères les plus cachés. Cette allégresse et cette joie toute spirituelle ne furent pas passagères, mais durèrent tout le reste de sa vie quoiqu'elles fussent plus fréquentes pendant qu'elle gardait dans son sein le trésor du ciel.»

Vie divine de la Très-Sainte Vierge Marie. Marie d'Agréda. Paris, 1853

vendredi 26 mai 2017

«On couche volontiers les dits d'autrui à la faveur des opinions qu'on a préjugées en soi : à un athéiste tous écrits tirent à l'athéisme. Il infecte de son propre venin, la matière innocente.»

Les Essais : apologie de Raimond de Sebonde. Montaigne. Librairie Générale Française (2002)

jeudi 25 mai 2017

Convergence mortuaire

CitadelleAntoine de Saint-Exupery. Gallimard (1959)

PBF Jalna (rediffusion 25 mai 2017)

ProgrammeUn homme a crié (Béatrice Tekielski) / Le luneux (Malicorne) / La vieille djellaba (Jean-Marc le Bihan) / On vit pourtant (La Foire aux chapeaux) / Virgin mary had a son (The Retreat singers) / Il y a beau temps (Monique Pianéa) / Grenoble (Gribouille) / Que je t'aime (Camille)

+ extraits de Baisers volés (François Truffaut) + bande annonce A bas bruit (Judith Abitbol)

+ lecture de Jalna de Mazo de la Roche par Salomé

dimanche 21 mai 2017

Correspondance avec J.-C.

«De retour aux premières lignes vers la fin du mois de mai 1937 après un courte permission et un hiver passé dans les tranchées du front d'Aragon, O... est atteint au cours d'une inspection aux avant-postes d'une balle qui lui traverse le cou de part en part. D'abord sommairement pansé et soigné ensuite dans divers hôpitaux, il est réformé et, son bulletin de démobilisation en poche, regagne Barcelone où il arrive les derniers jours de juin pour être aussitôt pris en chasse par la police.»

Les Géorgiques. Claude Simon. Les Éditions de Minuit (2006)

samedi 20 mai 2017


Quelque chose rapproche ce film de Godard... Peut être la virtuosité de l'image... Peut être la présence de Laslo Szabo, sa vieillesse... comme celle de Godard...

«On dirait alors que dans la pile brisée, il y avait surtout trois grandes assiettes, qui sont aussi les cercles traditionnels de l’expérience (et les catégories usuelles de la critique de cinéma). Ivan Dédalus, le frère peut-être ennemi, des Affaires étrangères au Tadjikistan, c’est le monde. Ismaël Vuillard (nom du personnage d’Amalric dans Rois et Reine, sur la série des alter ego), amoureux de Sylvia et roi-bouffon d’une farce autobiographique, ce serait plutôt la vie. Et enfin Bloom et Carlotta, portant les noms, pour lui de l’Ulysse de James Joyce, quasi-mentor de cet autre Dedalus qui est l’alter ego de l’écrivain irlandais, pour elle de la quasi--revenante de Vertigo, ce serait le cinéma.»
Luc Chessel 16 mai 2017

mercredi 17 mai 2017

PBF 2017/12 (18 mai 2017)

Programme : Suzie sixteen (Acide mothers temple and the melting Paraiso UFO) / Fade into you (Mazzy Star) / The next that sailed the sky (Peter Gabriel) / Where are we now ? (David Bowie) / Les gauloises bleues (Yves Simon) / Wine and rose (John Fahey) / Les noces (Ange)

+ Cinquième chronique de l'univers, place Pinel : Mourir place Pinel 
«Distinction XXVIII. Ceux qui sont dans les ordres doivent garder la chasteté.
a. Les plus anciens Canons de l'Eglise Latine, qui parlent de la continence des clercs, n'y obligent que les Evêques, les Prêtres & les Diacres. b Le II. Concile de Tolede, tenu au commencement du sixième siècle, nous apprend quel'usage de l'Eglise d'Espagne étoit d'obliger les Soûdiacres à faire le voeu de chasteté avant que de les ordonner. La même regle étoit observée en Italie du tems de Saint Gregoire.
Gartien ayant remarqué que les Eglises d'Orient ne suivent pas la même discipline, & que les Canons y permettent aux Prêtres de vivre avec leurs femmes comme avant l'Ordination, prend de-là occasion de faire voir qu'il y a des points de discipline qui varient suivant les circonstances des tems, des lieux & des personnes : c'est ce qui fait le sujet des trois distinctions suivantes.»

Les lois ecclésiastiques de France dans leur ordre naturel et une analyse des livres du droit canonique conférés avec les usages de l'Eglise gallicane. Louis d'Héricourt. Jean-Pierre Mariette (1748)

mardi 16 mai 2017

«À Rome, le 10 décembre 1621

Monseigneur ;

Ni dans les déserts de l'Afrique, ni dans les abîmes de la mer, il n'y eut jamais un si furieux monstre que la sciatique ; et si les tyrans, dont la mémoire nous est odieuse, avaient eu de tels instruments de leur cruauté, c'eût été la sciatique que les martyrs eussent endurée pour la religion et non pas le feu et les morsures des bêtes. À chaque pointe qu'elle donne, elle porte un pauvre malade jusque sur les bornes de l'autre monde, et lui fait toucher sensiblement les extrémités de sa vie. Et certes, pour la supporter longtemps, il faudrait une plus grande vertu que la patience et d'autres forces que celles des hommes. À la fin, Dieu m'a envoyé quelque relâche, après avoir essayé une infinité de remèdes, dont les uns aigrissaient mon mal et les autres ne le soulageaient pas. Maintenant que la violence de la douleur cesse, je commence à jouir de ce repos que la lassitude et la faiblesse apportent aux corps qui ont été travaillés ; et quoi que je sois en un état de santé beaucoup moins parfait que ne sont ceux qui se portent bien, toutefois le mesurant par la proximité du mal que j'ai eu et la comparaison des peines que j'ai souffertes, je me loue bien fort de ma fortune présente, et je ne suis pas si hardi que j'ose encore me plaindre de la grande débilité qui m'est demeurée. Il est vrai pourtant que je n'ai plus de jambes que par bienséance et que, si je voulais entreprendre de cheminer, j'aurais autant de peine d'aller d'un bout de ma chambre à l'autre que s'il fallait passer des montagnes et traverser des rivières par les chemins. Mais avec cela je vous dirai une chose de laquelle vous vous étonneriez, si je vous avais rien dit, c'est qu'en cet état-là, qui vous fera pitié de quatre cents lieues, je suis d'un côté devenu si vaillant que je ne fuirais pas si j'étais poursuivi d'une armée et de l'autre si glorieux que, quand le pape me viendrait voir, je ne l'irais pas conduire jusqu'à la porte. Voilà l'avantage que je tire de mes mauvaises jambes et les remèdes qui naissent en mon lit dont je tâche de me soulager sans le secours de la médecine.»

Lettre VII au cardinal de la Vallette dans les Oeuvres de Balzac divisées en deux tomes. Jean-Louis Guez de Balzac. Louis Billaine (1665)
«Balzac se nomme Jean Louis Guez ; il est fils d'un homme d'Angoulême qui avoit du bien mais M. de Montausier dit que cet homme a été valet chez M. d'Espernon. Balzac est une terre. Ce M. Guez a vécu plus de cent ans. Quelques années devant que de mourir, il écrivit à M. Chapelain pour faire, disoit-il, amitié avec lui, au moins par lettres, et qu'après avoir ouï dire tant de bien de lui à son fils, il vouloit avoir cette satisfaction-là en mourant.

On connut Balzac par son premier volume de lettres il étoit alors à feu M. d'Espernon, à qui il ne put s'empêcher d'envier deux lettres qu'il avoit écrites pour lui au Roi ('). Il est certain que nous n'avions rien vu d'approchant en France, et que tous ceux qui ont bien écrit en prose depuis, et qui écriront bien à l'avenir en notre langue, lui en auront l'obligation. Celles qu'il a faites depuis ne sont pour l'ordinaire ni si gaies ni si naturelles, et il a eu tort d'avoir eu pour ses ennemis la complaisance de n'écrire plus de la même sorte.»

Historiettes
Tallemant des Réaux. Editions Gallimard (1960)
«QUESTION 98 — LA GÉNÉRATION

[...]

 Article 2 — La génération se serait-elle faite, dans l’état d’innocence, par union charnelle ?
Objections :
1. Selon S. Jean Damascène, le premier homme au Paradis terrestre était " comme un ange ". Mais dans l’état que nous aurons à la résurrection, quand les hommes seront semblables aux anges, " on ne prendra ni femme ni mari " (Mt 22, 30). Par conséquent dans le Paradis non plus il n’y aurait pas eu génération par union charnelle.
2. Les premiers êtres humains furent créés à l’âge adulte. Par conséquent si pour eux la génération avait eu lieu par union chamelle avant le péché, il y aurait eu entre eux union des sexes même au Paradis. Or l’Écriture montre bien que cela est faux.
3. C’est dans l’union charnelle que l’homme devient le plus semblable aux bêtes à cause de la véhémence du plaisir, et c’est pourquoi on fait l’éloge de la continence par laquelle les hommes s’abstiennent de plaisirs de ce genre. Mais si l’homme est comparé aux bêtes, c’est à cause du péché, selon la parole du Psaume (49,21) : " L’homme ne comprit pas quel était son honneur, il ressembla au bétail qu’on abat et lui devint pareil. " Par conséquent il n’y aurait pas eu d’union charnelle de l’homme et de la femme avant le péché.
4. Dans l’état d’innocence il n’y aurait pas eu de corruption. Mais par l’union charnelle il y a corruption de l’intégrité virginale. Par conséquent il n’y aurait pas eu d’union des sexes dans l’état d’innocence.
En sens contraire. 1. C’est avant le péché que Dieu créa l’homme et la femme, comme il est dit dans la Genèse (1, 27 et 2, 22). Or rien n’existe sans raison dans les œuvres de Dieu. Donc, même si l’homme n’avait pas péché, il y aurait eu union charnelle, ce qui est le but de la distinction des sexes.
2. En Genèse (2, 18), il est dit que la femme fut faite pour aider l’homme. Mais cette aide n’est destinée à rien d’autre qu’à la génération, laquelle se fait par union charnelle, car, pour toute autre activité, l’homme pouvait trouver une aide plus adaptée chez un autre homme que chez la femme. Donc, dans l’état d’innocence, la génération se serait faite par union charnelle.
Réponse :
Certains, parmi les anciens Pères, considérant la laideur de la convoitise qui accompagne l’union charnelle dans notre état présent, ont soutenu que dans l’état d’innocence la génération ne se serait pas faite par union des sexes. Ainsi S. Grégoire de Nysse dit que dans le Paradis le genre humain se serait multiplié d’une autre façon, comme se sont multipliés les anges, sans commerce charnel, par l’opération de la puissance divine. Et il dit que Dieu avait créé l’homme et la femme avant le péché, en pensant au mode de génération qui allait exister après le péché, péché que Dieu connaissait à l’avance.
Mais cette opinion n’est pas raisonnable. En effet, les choses qui sont naturelles à l’homme ne lui sont ni retirées ni accordées par le péché. Or il est clair que si nous considérons dans l’homme la vie animale qu’il avait même avant le péché, comme nous venons de le dire, il lui est naturel d’engendrer par union charnelle, tout comme aux autres animaux parfaits. C’est ce que manifestent les membres naturels destinés à cet usage. Et c’est pourquoi il ne faut pas dire qu’avant le péché ces membres naturels n’auraient pas eu leur usage comme les autres membres.
Il y a donc deux choses à considérer dans l’union charnelle par rapport à l’état actuel. Premièrement, ce qui relève de la nature : la conjonction du mâle et de la femelle pour engendrer. Car en toute génération, il faut une vertu active et une vertu passive. Par suite, étant donné qu’en tous les êtres chez lesquels il y a distinction des sexes la vertu active se trouve dans le mâle et la vertu passive dans la femelle, l’ordre de la nature exige que pour engendrer il y ait union charnelle du mâle et de la femelle. On peut considérer un autre point, qui est une certaine difformité de la convoitise immodérée. Celle-ci n’aurait pas existé dans l’état d’innocence, quand les facultés inférieures étaient totalement soumises à la raison. Aussi S. Augustin dit : " Gardons-nous de penser que la génération n’aurait pu avoir lieu sans la maladie de la sensualité. Ces membres-là auraient obéi comme les autres, au gré de la volonté, sans l’aiguillon d’une passion séductrice, dans la tranquillité de l’âme et du corps. "
Solutions :
1. Dans le Paradis l’homme aurait été comme un ange pour ce qui est de l’âme spirituelle, tout en ayant une vie animale selon son corps. Tandis que, après la résurrection, l’homme sera semblable à l’ange, étant devenu spirituel à la fois dans son âme et dans son corps. Aussi ne peut-on appliquer le même raisonnement à ces deux états.
2. Si nos premiers parents n’eurent pas de commerce charnel au Paradis, c’est, dit S. Augustin, parce qu’ils furent chassés du Paradis pour leur péché peu après la formation de la femme ; ou bien parce qu’ils attendirent que l’autorité divine leur fixât un temps pour cela, n’ayant reçu jusqu’alors à ce sujet qu’une prescription générale. 3. Les bêtes n’ont pas la raison. Aussi l’homme devient-il bestial dans l’union charnelle en tant qu’il n’est pas capable de régler par la raison le plaisir de l’union charnelle et le bouillonnement de la convoitise. Mais, dans l’état d’innocence, il n’y aurait rien eu dans ce domaine qui n’eût été réglé par la raison ; non pas, comme le disent certains, que le plaisir sensible eût été moindre. Car le plaisir sensible eût été d’autant plus grand que la nature était plus pure et le corps plus délicat. Mais l’appétit concupiscible ne se serait pas élevé avec un tel désordre au-dessus du plaisir réglé par la raison. Car celle-ci n’est pas chargée de diminuer le plaisir sensible, mais d’empêcher l’appétit concupiscible de s’attacher immodérément au plaisir. Et je dis " immodérément " par rapport à la mesure de la raison. C’est ainsi que l’homme sobre ne trouve pas moins de plaisir que le glouton dans la nourriture qu’il prend avec mesure, mais son appétit concupiscible se repose moins dans ce genre de plaisir. C’est bien ce que suggèrent les paroles de S. Augustin : elles n’excluent pas de l’état d’innocence l’intensité du plaisir, mais l’ardeur de la convoitise et l’agitation de l’âme. C’est pourquoi la continence n’eût pas mérité d’éloges dans l’état d’innocence, et si elle en mérite dans le temps actuel, ce n’est pas parce qu’elle restreint la fécondité, mais parce qu’elle écarte la convoitise désordonnée. Mais alors il y aurait eu fécondité sans convoitise.
4. Selon S. Augustin : en cet état, " le commerce charnel n’eût corrompu d’aucune façon l’intégrité de la femme... ; en effet l’introduction de la semence virile dans le sein de la femme n’aurait pas davantage porté atteinte à l’intégrité de l’épouse que maintenant le flux menstruel à l’intégrité de la vierge... De même que pour l’enfantement, ce ne sont pas les gémissements de la douleur, mais la poussée de la maturité qui aurait dilaté les entrailles de la femme, de même, pour la conception, ce ne sont pas les convoitises de la volupté mais le libre emploi de la volonté qui aurait uni l’une et l’autre nature ".»

Somme contre les Gentils. Tome II : La Création Thomas d’Aquin Flammarion (1999)

dimanche 14 mai 2017

Brymboletta 1

Le statut des photographes décrit par Christine Ollier est applicable aux créateurs d'autres disciplines artistiques…

lundi 8 mai 2017

«Mais il semble que ce bien être psychique et bourgeois ait reposé sur des bases précises et nullement éternelles. On nous explique aujourd'hui qu'alors il existait d'immenses surfaces cultivables et d'autres richesses naturelles dans le monde, dont il fallait d'abord prendre possession ; qu'il y avait des peuples de couleur, sans défense, qui n'avaient pas été pillés (la violence étant compensée, se disait-on, par le don de la civilisation) ; qu'il y avait aussi des millions d'hommes blancs qui devaient payer,sans pouvoir se défendre, les fruits du progrès industriel et commercial (mais on rassurait sa conscience avec la certitude pas tout à fait injustifiée qu'après cinquante ou cent ans de progrès continuel, les déshérités auraient une situation meilleure qu'avant le déshéritement). En tous cas, la corne d'abondance d'où débordait la réussite physique et intellectuelle était si profonde, si inépuisable, qu'elle demeurait invisible, ne laissait que l'impression de croissance dans tous les domaines. Aujourd'hui, il est absolument impossible de faire comprendre à quelqu'un combien il était alors naturel de croire à la durée de ce progrès, de voir dans la réussite et dans l'esprit quelque chose qui, comme l'herbe, se propage partout où on ne l'a pas arraché volontairement.»

L'Homme sans qualitésRobert Musil. Editions du Seuil (1956)

dimanche 7 mai 2017

Convergence canine

CitadelleAntoine de Saint-Exupery. Gallimard (1959)

Eblouissement des prémisses (incipit 28)

«Il a cinquante ans. Il est général en chef de l'artillerie de l'armée d'Italie. Il réside à Milan. Il porte une tunique au col et au plastron brodés de dorures. Il a soixante ans. Il surveille des travaux d'achèvement de la terrasse de son château. Il est frileusement enveloppé d'une vieille houppelande militaire. Il voit des points noirs. Le soir il sera mort.»

Les Géorgiques. Claude Simon. Les éditions de Minuit (2006)

samedi 6 mai 2017

«Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
Hommes de pays loin
Cobayes des colonies
Doux petits musiciens
Soleils adolescents de la porte d’Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d’Aubervilliers
Brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
Ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
Au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
Embauchés débauchés
Manœuvres désœuvrés
Polacks du Marais du Temple des Rosiers
Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
Pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
Rescapés de Franco
Et déportés de France et de Navarre
Pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
La liberté des autres.

Esclaves noirs de Fréjus
Tiraillés et parqués
Au bord d’une petite mer
Où peu vous vous baignez
Esclaves noirs de Fréjus
Qui évoquez chaque soir
Dans les locaux disciplinaires
Avec une vieille boîte à cigares
Et quelques bouts de fil de fer
Tous les échos de vos villages
Tous les oiseaux de vos forêts
Et ne venez dans la capitale
Que pour fêter au pas cadencé
La prise de la Bastille le quatorze juillet.

Enfants du Sénégal
Dépatriés expatriés et naturalisés.
Enfants indochinois
Jongleurs aux innocents couteaux
Qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
De jolis dragons d’or faits de papier plié
Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
Qui dormez aujourd’hui de retour au pays
Le visage dans la terre
Et des hommes incendiaires labourant vos rizières.
On vous a renvoyé
La monnaie de vos papiers dorés
On vous a retourné
Vos petits couteaux dans le dos.

Étranges étrangers
Vous êtes de la ville
Vous êtes de sa vie
Même si mal en vivez
Même si vous en mourez.»

Grand bal du printemps. Jacques Prévert. Gallimard (1992)

vendredi 5 mai 2017

Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (11)


«Le capitalisme a véritablement créé des richesses, car il en a trouvé là où l'on n'en voyait pas. C'est ainsi qu'il a, par exemple, créé la beauté, la santé ou la jeunesse en tant que richesses, c'est-à-dire en tant que qualités qui vous possèdent.»

Premiers matériaux pour une théorie de la jeune filleTiqqun. Mille et une nuits (2001)