jeudi 28 juillet 2016

Projet Poubelle-bis (24)

«La grand place d'Aubenton, commune de l'Aisne, ressemble à tant d'autres places de tant d'autres villages de France. Il y a autour d'elle, la mairie, la boulangerie, le bureau de tabac et l'école. Un peu en retrait l'église. À un coin se balance l'enseigne de l'hôtel du Lion-d'Or. Le 31 juillet 1937, au soir, près de son perron s'arrêta une petite automobile. Sur la banquette se tenait sans mouvements et presque sans expression, une femme âgée, vêtue de noir. Elle considérait le Lion-d'Or, la place, puis de nouveau Lion-d'Or.»

Mermoz. Joseph Kessel. Éditions Gallimard (1938)
«Tout le monde dominant réside dans la tentative perpétuelle d'imposer l'idée qu'aujourd'hui prolonge hier (un hier sélectionné comme de juste), et que les conditions d'existence présente ne font que poursuivre, sans interruption notable (et même avec d'énormes améliorations), les événements des temps anciens. L'époque qui commence se veut la descendante légitime et privilégiée des âges disparus. Elle tient à ce qu'on la reconnaisse comme leur héritière accomplie. Elle tient surtout à ce qu'on ne voie pas les caractères les plus saillants de son extravagante nouveauté, à commencer par sa misère ahurissante. Le bénéfice d'une telle opération falsificatrice est évident : le réel, dont notre temps manque surabondamment, il espère que le passé lui en prêtera un peu. Et que nul ne s'apercevra de la supercherie. Partout et toujours, il importe de faire croire en même temps, avec la même intensité, que tout a changé et que rien n'a changé ; ou plutôt que tout continue, mais en se bonifiant très sérieusement ; et aussi que délirent ceux qui jugent à l'inverse.»

Après l'Histoire. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2000)

mercredi 27 juillet 2016

Liste des émissions des Muses galantes (7)

Cette série d'émissions est caractérisée par la lecture de Francion  de Sorel et celle de l’Éloge du sein des femmes de Mercier de Compiègne.  On constate une ouverture des thèmes traités par les Muses galantes avec l'arrivée des Cabinets de curiosités, fruit de recherches bibliographiques.

«Honorez le sommeil et devant lui soyez pudiques ! Voilà qui est premier. Et tous les insomniaques et ceux qui la nuit veillent, de leur chemin écartez-vous ! Devant le sommeil, pudiques est même le larron ; la nuit, toujours à pas légers, il se glisse. Mais impudique est le veilleur de nuit, impudiquement il porte son cor.
Ce n'est un art mineur que de dormir ; à cela il faut déjà que tout le jour on veille.»

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)

Convergence libertaire

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)

Convergence venteuse

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)

«C'est la version renouvelée des frasques enfantines commises en d'autres grottes plus souterraines et sauvages dont l'exploration à marée basse avait l'attrait des choses défendues. Toute surveillance déjouée, on glissait dans les ténèbres en se tenant la main, l'autre étendue devant soi ou appuyée contre la paroi suintante. Même les chuchotements faisaient grand bruit. Les chaussures quittées, on tenait conseil à genoux dans une passe étroite comme une tombe. Il ne fallait pas s'attarder au-delà du temps prévu. armés de prudence et de ruse, ces aventuriers du dimanche s'égaillaient le long de la grève pour regagner furtivement la seule zone permise où, contraints de prendre part au jeu et d'en respecter les règles, ils se jetaient à corps perdus dans la mêlée. Aucun ne manquait au signal du rassemblement, nul indice d'une escapade interdite, sinon la ligne sinueuse des semelles sur le sable que le souffle montant de la mer et la mer elle-même auraient tôt fait d'effacer. Résolus à conduire plus au fond leur opération clandestine, rien ne les empêcherait de récidiver à la prochaine sortie.»

Ostinato. Louis-René des Forêts. Gallimard  Quarto (2015)

lundi 25 juillet 2016

Convergence esthétique

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)

samedi 23 juillet 2016

Eblouissement des prémisses (incipit 24)

«J'arrive, le petit palais est en ordre, le soleil brille sur les téléphones gris. Je suis passé par la porte dérobée de l'aéroport, à droite ; j'ai pris le canot vite ; elle m'attendait sur le ponton, bonjour de la main à cent mètres ; on est allé dans la bibliothèque, je lui ai montré la mallette, clichés et billets. Puis on est monté dans sa chambre, on a fait rapidement l'amour, dîner, sommeil, levé tôt, course autour de la douane, sept heures. Allongé sur la terrasse, je regarde les premiers longs courriers entre devant moi.»

La Fête à Venise. Philippe Sollers. Gallimard (1991)
«Le secret de tout bon bibliothécaire est de ne jamais lire, de toute la littérature qui lui est confiée, que les titres et la table des matières. "Celui qui met le nez dans le contenu est perdu pour la bibliothèque ! m'apprit-il. Jamais il ne pourra avoir une vue d'ensemble !"
Le souffle coupé, je lui demande : "Ainsi vous ne lisez jamais un seul de ces livres ?
- Jamais. A l'exception des catalogues.
- Mais vous êtes bien docteur n'est-ce pas ?
- Je pense bien. Et même privat-docens de l'Université pour le bibliothécariat. La science bibliothécaire est une science en soi, m'explique-t-il. Combien croyez-vous qu'il existe de systèmes, mon général, pour ranger et conserver les livres, classer les titres, corriger les fautes d'impression, les indications erronées des pages de titre, etc ?"»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)

jeudi 21 juillet 2016

Convergence aimable

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)

Convergence hématologique

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)
«Ils estiment primordiale l'étude du syllogisme. Car il est démonstratif, et par là sert à former des raisonnements corrects, et permet une saine compréhension, propre à ordonner la pensée, et à soutenir la mémoire. Ce raisonnement est fait de prémisses et d'une conclusion, et le syllogisme est un raisonnement rassemblé qui découle de ces propositions. C'est une démonstration qui fait découvrir les choses difficiles à saisir par le moyen de celles qui sont plus facilement saisissables.»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Zénon. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

jeudi 14 juillet 2016

Un Film sur le déséquilibre : note d'intention générale (1)


Convergence triste

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)

Épiphanie artefactuelle (19)

Le chanteur dit aux rives :
Mon poème est la différence entre deux rives.
L'émigré dit à la patrie :
Ne m'oublie pas.
Le jasmin est un nom pour ma mère. Et le temps,
Herbe sur les murs.
La mer a dit. Le sable a dit. La maison a dit. Le silence a dit.
Mais le chanteur a dit, au voisinage  de la mort :
Mon poème est la différence entre les deux rives.
Et il voulut abolir la patrie
Et trouver la patrie.

La terre nous est étroite et autres poèmes. Mahmoud Darwich. Éditions Gallimard (2000)
«Non, ce qui avait compté ç'avait été ses gestes envers elle, la façon d'être de son corps envers le sien et la nouvelle envie qu'il avait eue d'elle après qu'ils eurent fait l'amour une première fois. Il avait sorti son mouchoir de la poche et il avait essuyé le sang qui avait coulé le long de ses cuisses. Ensuite, avant de partir, il avait remis un coin de ce mouchoir ensanglanté dans sa bouche, sans dégoût et avec sa salive il avait essuyé une nouvelle fois les taches de sang séché. Que dans l'amour les différences puissent s'annuler à ce point, elle ne l'oublierait plus. C'était lui qui l'avait rhabillée parce qu'il avait vu que manifestement, elle n'avait ni envie de se rhabiller ni envie de se relever pour s'en aller.»

Un barrage contre le Pacifique. Marguerite Duras. Éditions Gallimard (1950)
«L'abîme est-il si grand qui la sépare de sa sœur murée, inaccessible dans la maison aristocratique aux escaliers parfumés, aux cuivres étincelants, aux meubles d'acajou magnifiques, aux riches tapis ? Cette dame aristocrate baille sur un livre inachevé, attend une visite mondaine qui offrira pour elle une occasion de briller, d'exprimer des pensées apprises par cœur - pensées de commande qui occupent la ville pendant une semaine, et qui ne concernent nullement la direction des maisons, de ses domaines, où règne le désordre ; mais pensées qui ont trait au bouleversement politique probable en France et au catholicisme à la mode... Passons, passons, cela n'est pas intéressant, oublions les tristesses. Continuons à rire, d'autres êtres viendront au cours de cette histoire, notre visage s'éclairera d'une autre lumière.»

Les Âmes mortes : poème. Gogol. Flammarion (1990)

mercredi 13 juillet 2016

Eblouissement des prémisses (incipit 23)

«Une lampe à pétrole à la main Valérie sortit dans la cour. La lune, qui était en son plein, caressa ses pieds nus. Valérie respira les senteurs venues du jardin. Le vacarme des volailles reprit de plus belle et la jeune fille resserra son vêtement de nuit sur sa poitrine.
- Qui est-là ? cria-t-elle en faisant un pas vers le poulailler.
 Un papillon de nuit vint tournoyer autour de sa lampe, puis un deuxième et un troisième.
- Ce doit être un putois, se dit-elle.
Soudain, elle remarqua que toute la cour était transformée.»

Valérie ou la semaine des merveilles. Vítĕzslav Nezval. Éditions Robert Laffont (1984)

lundi 11 juillet 2016

Nous laissons derrière nous une période de quatre-vingt-dix années, dont quarante ans de profonde paix, et cinquante ans de révolution presque continuelle. C'est aussi l'époque la plus inglorieuse de l'histoire de Rome. A la vérité, à l'ouest et à l'est, les Alpes ont été franchies ; les armées romaines ont pénétré dans la péninsule espagnole, jusqu'aux rivages atlantiques ; dans la péninsule gréco-macédonienne, jusqu'au Danube : lauriers peu coûteux et de même infertiles !»

Histoire romaine Livre I à IV : Des commencements de Rome jusqu'aux guerres civilesTheodor Mommsen. Bouquins Robert Laffont (1985)
«Ce n'est pas  la peine que je me méfie par avance, non que je serais tellement forte, mais parce que ma relation à toi est aujourd'hui trop complète pour qu'on puisse y découper des morceaux comme dans un goulasch tendineux - voilà ce que je prends et voilà ce que je recrache. Trop complète pour qu'il soit possible de ne pas accepter tout ce qu'elle apporte.»

Pas dans le cul aujourd'hui. Jana Černá. Éditions La contre allée (2014)

Convergence inventive


Proposition d'affiche pour un Film sur le déséquilibre


«Leurs désirs c'étaient toujours les mêmes, solides et rances, ni plus ni moins insipides qu'autrefois, aux temps où je les avais quittés. Les êtres avaient changé mais pas les idées. Ils allaient encore, comme toujours, les uns et les autres, brouter plus ou moins de médecine, des bouts de chimie, des comprimés de Droit, et des zoologies entières, à des heures à peu près régulières, à l'autre bout du quartier. La guerre en passant sur leur classe n'avait rien fait bouger du tout chez eux et quand on se mêlait à leurs rêves, par sympathie, ils vous menaient tout droit à leur âge de quarante ans. Ils se donnaient ainsi vingt années devant eux, deux cent quarante mois d'économies tenaces pour se fabriquer un bonheur.»

Voyage au bout de la nuit. Louis-Ferdinand Céline. Éditions Gallimard (1952)

vendredi 8 juillet 2016

Eblouissement des prémisses (incipit 22)

«Une pluie mêlée de flocons de neige tombait sur la terre étrangère. La piste de béton, les bâtiments et les gardes de l'aérodrome étaient trempés. La neige fondue baignait la plaine et les collines à l'entour, faisant luire l'asphalte noir de la chaussée. En toute autre saison cette pluie monotone eût semblé à quiconque une triste coïncidence. Mais le général n'était guère surpris. Il venait en Albanie afin d'assurer le rapatriement des restes de ses compatriotes tombés à tous les coins du pays pendant la dernière guerre mondiale. Les négociations entre les deux gouvernements avaient été entamées  dès le printemps et les contrats définitifs signés seulement à la fin du mois d'août, quand justement, les première journées grises font leur apparition. On était maintenant en automne. C'était la saison des pluies, le général le savait. Avant son départ, il s'était renseigné sur le climat du pays. Cette période de l'année y était humide et pluvieuse. Mais le livre qu'il avait lu sur l'Albanie lui aurait-il appris que l'automne y était sec et ensoleillé, cette pluie ne lui aurait pas, pour autant, paru insolite. Au contraire. Il avait en effet toujours pensé que sa mission ne pouvait être menée à bien que par mauvais temps.»

Le Général de l'armée morte. Ismaïl Kadaré. Éditions Albin Michel (1970)

dimanche 3 juillet 2016

«Tout le mensonge dominant réside dans la tentative perpétuelle d'imposer l'idée qu'aujourd'hui prolonge hier ( un hier sélectionnée comme de juste), et que les conditions d'existence présente ne font que poursuivre, sans interruption notable ( et même avec d'énormes améliorations), les événements des temps anciens. L'époque qui commence se veut la descendante légitime et privilégiée des âges disparus. Elle tient à ce qu'on la reconnaisse comme leur héritière accomplie.Elle tient surtout à ce qu'on ne voie pas les caractères les plus saillants de son extravagante nouveauté, à commencer par sa misère ahurissante. Le bénéfice d'une telle opération falsificatrice est évident : le réel, dont notre temps manque surabondamment, il espère que le passé lui en prêtera un peu. Et que nul ne s'apercevra de la supercherie. Partout et toujours, il importe de faire croire en même temps, avec la même intensité, que tout a changé et que rien n'a changé ; ou plutôt que tout continue, mais en se bonifiant très sérieusement ; et aussi que délirent ceux qui jugent à l'inverse.»

Après l'Histoire. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2000)
«Il serait difficile, en tout cas, de composer à partir d'une telle inexistence l'équivalent actuel d'un roman comme le Sursis, où s'entremêlaient des aventures de personnages imaginaires et d'hommes politiques réels durant les quelque jours précédant la signature des accords de Munich. C'est à ce genre de comparaison que peuvent se mesurer les difficultés du romancier d'aujourd'hui, contraint, à l'inverse de ses prédécesseurs, de tailler ses intrigues dans une matière première qui a la consistance des nuages, en même temps qu'il est obligé de tâtonner dans le labyrinthe sans lumière des bonnes intentions les plus comminatoires, et de faire semblant de rendre sans cesse hommage à ces dieux tout-puissants.»

Après l'Histoire. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2000)

Eblouissement des prémisses (incipit 21)

«Jan sort de chez lui. À peine a-t-il appuyé sur la poignée que s'ouvre la porte en verre. Par deux fois, la loi de la réfraction et de la déviation des rayons vient à la rencontre de Jan Hvezdar. La première fois à l'ouverture, la seconde à la fermeture de la surface vitrée. Ah, la belle matinée ! Bonjour le matin ! Un baisemain à toi, cher soleil ! Un baiser sur ton derrière tout nu ! Jan marche sur le trottoir, sa main repousse son chapeau sur la nuque, égrenant le tic-tac de la montre dans son oreille droite. Il veille à ne pas marcher sur les rainures entre les pierres qui bordent la chaussée et se dit encore : Quelle belle matinée !»

Rencontres et visites. Bohumil Hrabal. Éditions Robert Laffont (1997)

samedi 2 juillet 2016

Autour du Film sur le Déséquilibre

«Je dirais maintenant qu’il n’y a pas de réel et de surréel, l’un que structure et que surestime la science, et l’autre qui la déborde de ses caractères irrationnels, seulement perceptibles par l’œil sauvage - cela reviendrait à mépriser la table sur laquelle j’écris, la pierre informe dans les ravins, au profit du ménure-lyre - mais de la présence, parfois, face aux signifiés transitoires de la pensée conceptuelle.» 

L'inachevable : entretiens sur la poésie. Yves Bonnefoi. Albin Michel (1990)

vendredi 1 juillet 2016

«Le diable seul sait pourquoi la plupart de ceux qui s'occupent à produire de la poésie s'imaginent qu'elle doit être utile à quelqu'un, qu'ils en arrivent à cette absurdité d'écrire pour des gens qui n'ont rien à faire et à qui ils ne payeraient même pas un petit rhum avec leurs honoraires, mais qu'ils veulent coûte que coûte gratifier de leur production. Ce qui corrompt tout à la fois la poésie et ceux à qui on l'inflige comme une affaire de la plus haute importance, à qui on assène à grands coups dans la tête que cette poésie, produite par quelqu'un avec qui ils ne supporteraient pas de s'asseoir ne serait-ce qu'une demi-heure à la la même table, que cette poésie leur apportera des émotions imprévues et une expérience culturelle pleine d'un bonheur épuré et raréfié.»

Pas dans le cul aujourd'hui. Jana Černá. Éditions La contre allée (2014)


Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (1)

«La Jeune-Fille est la figure du consommateur total et souverain ; et c'est comme telle qu'elle se comporte dans tous les domaines de l'existence.
La Jeune-Fille sait si bien la valeur des choses.»

Premiers matériaux pour une théorie de la jeune fille. Tiqqun. Mille et une nuits (2001)