jeudi 30 juin 2016

Convergence facile


Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)

dimanche 26 juin 2016

«Le désir est un souhait irraisonné, à quoi sont subordonnées les affections suivantes : indigence, haine, rivalité, colère, amour, ressentiment et emportement. L'indigence est un désir qui vient de ce que nous n'avons pas ce que nous voulons, et que nous cherchons sans cesse à l'avoir ; la haine est le désir qu'il arrive du mal à autrui et que ce mal dure et croisse ; la rivalité est un désir provenant d'un choix à faire ; la colère est un désir de punir celui qui paraît nous avoir injustement fait du tort ; l'amour est un désir qui ne vient jamais aux philosophes, car c'est une tentative pour s'unir à quelqu'un à cause de sa beauté ; le ressentiment est une colère vieillie cherchant avec soin une vengeance, comme le montre les vers suivants :
Si vraiment tout un jour il a contenu sa bile,
Il n'en aura pas moins ensuite du ressentiment, jusqu'à ce qu'elle éclate enfin
l'emportement, enfin, est une colère naissante.»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Zénon. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

samedi 25 juin 2016

«Puis le théâtre, en de nombreuses et faciles glissements, préservé en son propre espace, traverserait une improbable succession de nuits, de jours ; tandis que de nouveaux spectateurs assisteraient, selon des rites prévisibles, à une représentation de la pièce excédant les trois actes, ou plus, s'y ajouteraient à leur insu devant de tels décors que plusieurs théâtres, les uns construits pour pallier les nécessaires imperfections des autres, ne sauraient plus fixer l'illusion d'un lieu unique, non extensible. Ils s'égareraient en d'inutiles variantes. Comme s'ils n'étaient que des touristes amenés devant telles ruines d'un monument ancien, il y imagineraient des mystères à jamais dérobés à leur curiosité.»

Les aventures d'une jeune fille. Jean-Edern Hallier. Éditions du Seuil (1963)
«Vous remarquerez qu'il y a toujours deux prostituées en attente au coin de la rue des Dames. Elles tiennent ces quelques heures épuisées qui séparent le fond du jour au petit matin. Grâce à elles la vie continue à travers les ombres. Elles font la liaison avec leur sac à main bouffi d'ordonnances, de mouchoir pour tout faire et les photos d'enfants à la campagne. Quand on se rapproche d'elles dans l'ombre, il faut faire attention parce qu'elles n'existent qu'à peine ces femmes, tant elles sont spécialisées, juste restées vivantes ce qu'il faut pour répondre à deux ou trois phrases qui résument tout ce qu'on peut faire avec elles. Ce sont des esprits d'insectes dans des bottines à boutons.»

Voyage au bout de la nuit. Louis-Ferdinand Céline. Éditions Gallimard (1952)

vendredi 24 juin 2016

L'Éblouissement des prémisses (incipit 20)

«Mais je sens toujours ton baiser sur mes lèvres - voilà sans doute la pire des banalités, mais c'est comme ça et je suis assez vieille pour ne pas être obligée de craindre les banalités. Assez vieille et assez amoureuse - outre tout ce que nous nous sommes dit en rapport avec nous, je suis également amoureuse - et je m'en aperçois sur mes vieux jours avec un étonnement un peu amusé mais comme tout le monde n'a rien de crédible, je prends au moins ça pour argent comptant. Tu n'as qu'à faire de même. Si j'avais tendance à dramatiser, je deviendrais fataliste et je croirais que notre relation a quelque chose d'inéluctable, mais je ne suis pas fataliste et je me dis donc simplement que Dieu est puissant et que sa volonté soit faite - surtout lorsqu'elle correspond si parfaitement à ce qui m'est agréable.»

Pas dans le cul aujourd'hui. Jana Černá. Éditions La contre allée (2014)

jeudi 23 juin 2016

«Mais, même en dehors de cela, il ne cessait de se passer des choses qu'on mettait toujours quelques temps à définir, de sorte que tous ces événements, comme un roulement de tambour, semblaient précéder au fond des âmes quelque chose d'encore invisible.  Pour la première fois, les télégraphistes des postes royales-impériales firent la grève, sous une forme extraordinairement inquiétante qui fut intitulée "résistance passive" et consistait simplement en ceci qu'ils observèrent tous avec la plus grande exactitude les consignes de service : il apparut que l'exacte observance des règlements paralysait le travail plus rapidement que l'anarchie la plus effrénée ne l'eut jamais pu.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)

mercredi 22 juin 2016

«Au début de mon premier semestre à l’école Skinner, ma maîtresse s’appelait Mrs Deway. C’était une lointaine parente de l’amiral Deway, héros de Manille. J’étais bon élève, studieux, mais sans vouloir nuire à personne, ni penser à mal, j’étais quand même un peu trop bizarre, et faisait dans la salle de classe des bruits bizarres, avec ma bouche, mon nez, et ma gorge, ce qui irritait fort tous les autres élèves, filles et garçons. Je pensais, moi, qu’ils trouveraient ces bruits amusants ! Qu’ils riraient ou poufferaient, au lieu de quoi ils me lançaient des regards insolents, et haineux. Certains ont dit alors que si je n’arrêtais pas ces bruits, ils s’occuperaient de moi après les cours et à plusieurs. Cela accompagné des regards les plus haineux et les plus noirs. Je les ai mis au défi. Au bout de plusieurs mois ce comportement a fini par causer mon renvoi de l’école. Les autres élèves étaient content car ces bruits stupides les avaient vraiment irrités et poussés à bout. En vérité, ils n’aimaient pas du tout ce concert idiot. Quelques-uns d’entre-eux ont essayé de me rosser mais je savais me défendre avec le grand bâton que j’avais toujours avec moi. Et cela donnait de bons résultats. Ma maîtresse avait dit qu’ils n’avaient rien fait de tel, et que c’était la classe la mieux élevée à laquelle elle ait jamais enseignée. Si j’avais été renvoyé, c’est que je les avait vraiment ennuyés. Je ne sais, ni ne me rappelle combien de temps je suis resté sans aller à l’école, après avoir été renvoyé, mais lorsque l’un de mes prêtres m’y a ramené en leur demandant de me redonner une chance, l’administrateur ou le directeur m’a autorisé à revenir. Mais elle m’a averti très sèchement, et non sans colère que si je me livrais encore à ces bruits, je serai renvoyé pour de bon. Comme j’avais complétement oublié, et que je ne me souvenais pas des bêtises que j’avais faites, je n’ai pas compris pourquoi elle me parlait sur un ton si mauvais. J’aurai volontiers protesté mais le père Minet, m’a lancé un regard qui me signifiait clairement d’être prudent. Cependant, j’ai réintégré l’école, je ne me souvenais toujours pas de ce que j’avais fais d’incorrect la première fois. Mais croyez moi, le ciel le sait bien, j’étais à présent l’un des élève le plus sage. »

L’Histoire de ma vie. Henry Darger. Aux forges de Vulcain (2014)

mardi 21 juin 2016

Convergence badine

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)

dimanche 19 juin 2016

«5 août 1952

Cher Carl, M. Wyn, Mlle James,
Hemingway dit qu'avant 1927 toutes ses nouvelles lui avaient été renvoyées par ses éditeurs "avec des notes de refus qui ne les appelaient jamais des nouvelles mais des anecdotes, des esquisses, des contes". Ainsi il y a seulement quelques années même Hemingway avec toute la clarté dont il était capable était considéré comme impossible à publier. Que s'est-il passé au cours des quelques années qui ont suivi ? Ulysse qui était considéré comme une lecture difficile est désormais loué comme un classique et tout le monde le comprend. On commence même à comprendre Finnegans Wake. De la même façon, et à son époque, je crois que Sur la route, parce que sa nouvelle vision prend à rebrousse-poils les idées établies sera jugé impossible à publier pendant un bon moment. Quand quelque chose est incompréhensible pour moi, (Finnegans Wake, Au-dessus du volcan de Lowry, Delila de Marcus Goodrich), j'essaie de le comprendre, l'intellect de l'auteur, sa passion et son mystère. Le déclarer incohérent est non seulement une erreur sémantique, amis aussi un acte de lâcheté et de décès intellectuels. Entre incompréhensible et incohérent se trouve la maison de fous. Je ne suis pas dans une maison de fous.»

Sur la route et autre romans. Jack Kérouac. Quarto Gallimard (2004)

vendredi 17 juin 2016

«Et, parlant d'évolution peut-on imaginer l'origine du Temps, les pierres de gué  sur lesquelles il passa et les mutations qu'il rejeta ? Y-a-t-il jamais eu une forme de Temps "primitive", au cours de laquelle, par exemple, le Passé ne s'étant pas encore clairement  différencié du Présent, ses formes et ses fantômes apparaissaient à travers un "à présent" encore flasque, long et larvaire ? Ou cette évolution n'a-t-elle concerné que la seule mesure du temps, du sablier à l'horloge atomique, et de l'horloge atomique au pulsar portatif ?  Et combien de temps a-t-il fallu à l'Ancien Temps pour devenir le Temps de Newton ? Ponder the egg, comme disait un coq français à ses poules.»

Ada ou l'ardeur
Vladimir Nabokov. Librairie Arthème Fayard (1975)

jeudi 16 juin 2016

«Il prétendait que la beauté était un appui préférable à toutes les lettres de recommandation. Plusieurs auteurs disent toutefois que le mot est de Diogène, qu'Aristote faisait de la beauté un don des dieux, que Socrate en faisait un tyran de courte durée, Platon un privilège de la nature, Théophraste une muette tromperie, Théocrite un mal d'ivoire, et Carnéade une royauté sans gardes armés.»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Aristote. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

mercredi 15 juin 2016

«Il comprit qu'un bond miraculeux l'avait transporté dans l'avenir lointain ; il était quelque part dans la campagne et une femme venait vers lui sur son tracteur (sur toutes les affiches, la femme de l'avenir était représentée sous l'apparence d'une femme montée sur son tracteur) et reconnaissait en lui, avec stupeur, un homme comme elle n'en avait jamais vu, un homme d'autrefois usé par le travail, un homme qui s'était sacrifié pour qu'elle pût labourer les champs dans la joie (et en chantant). Elle descendit de sa machine pour lui souhaiter la bienvenue et lui dit : "Tu es ici chez toi, ceci est ton monde..." et elle voulut le récompenser (mon Dieu, comment cette jeune femme pouvait-elle récompenser un vieux militant usé à la tâche ?) ; à ce moment les trams se mirent à carillonner très fort dans la rue et l'homme qui reposait sur l'étroit divan dans un coin du secrétariat se réveilla...»

La Vie est ailleursMilan Kundera. Éditions Gallimard (1987)

Convergence politique

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)
«L'homme est une corde entre bête et surhomme tendue, une corde sur une abîme.
Dangereux de passer, dangereux d'être en chemin, dangereux de se retourner, dangereux de trembler et de rester sur place !
Ce qui chez l'homme est grand, c'est d'être un pont, et de n'être pas un but : ce que chez l'homme on peut aimer, c'est qu'il est un passage et un déclin.
J'aime ceux qui ne savent vivre qu'en déclinant, car il vont au-dessus et au-delà.»

Ainsi parlait Zarathoustra : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

mardi 14 juin 2016

Charmes de la relecture (5)

«Une voiture assez élégante s'arrêta ce jour-là devant un hôtel de la ville de N... C'était une calèche à ressorts que seuls possèdent les célibataires genre lieutenants-colonels en retraite, capitaines, propriétaires terriens maîtres d'une centaine de serfs, en un mot tous ceux qui sont connus sous le nom de "seigneurs de moyen étage".
Le voyageur n'était ni beau ni laid, ni gros ni maigre, il ne paraissait pas vieux sans être jeune cependant. Son arrivée dans la ville passa inaperçue ; seuls deux moujiks le remarquèrent et firent des réflexions qui se rapportaient plus à l'équipage qu'au voyageur.
- Quelle belle roue ! Que parierais-tu ? Irait-elle jusqu'à Moscou, s'il le fallait ?...
- Certes oui. Mais n'irait-elle pas jusqu'à Kazan.
- Ah ça non !
Et ils se turent.»

Les Âmes  mortes. Gogol. Flammarion (1990)
«Puis sous prétexte de commenter les noms qu'il avait cités, il poursuivit en racontant qu'une de ces sectes prenait position contre le mariage, parce qu'elle prônait la chasteté, tandis que l'autre prônait la chasteté, mais souhaitait atteindre ce but, assez comiquement, par des débauches rituelles. Les membres de l'une se châtraient, parce qu'ils tenaient la chair de la femme pour une intervention du diable, et chez d'autres l'homme et la femme se retrouvaient entièrement nus dans des assemblées religieuses. Des théologiens spéculateurs qui aboutissaient à la conclusion que le serpent séducteur d’Eve était une personne divine, pratiquaient la sodomie ; d'autres ne toléraient pas les vierges, parce qu'il leur paraissait scientifiquement établi que la mère de Dieu avait eu d'autres enfants que Jésus, de sorte que la virginité n'était qu'une erreur dangereuse.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)

dimanche 12 juin 2016

«Voyez cette anecdote amusante : pour Amacord, Fellini avait tourné une descente d’égoutiers au fond d'une fosse septique. Les distributeurs américains lui firent observer que le public ne comprendrait pas puisqu'il n'existait aucune fosse de ce genre aux États-Unis. Fellini, donc, coupa la séquence. 

L'Empire du Bien. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2014)
«Les femmes et même les hommes commençaient à dédaigner l'ancien vêtement de laine : on voulait des gazes légères, accusant les formes plus qu'elles ne les cachent, et des étoffes de soie. En vain les lois somptuaires défendaient les dépenses folles en parfumeries venues de l'étranger !»

Histoire romaine Livre I à IV : Des commencements de Rome jusqu'aux guerres civilesTheodor Mommsen. Bouquins Robert Laffont (1985)

samedi 11 juin 2016

«Qu'est-ce la didactique ? Quels sont les rapports qui existent entre didactique et pédagogie ? Pour répondre à ces deux questions, on dispose aujourd'hui d'un grand nombre de définitions données par les spécialistes de l'éducation ou de l'enseignement des disciplines. Il ne paraît pas nécessaire d'en rajouter tant le risque est grand de rendre le débat encore plus confus et d'entraver la réalisation de notre projet qui consiste à mettre à la disposition de l'enseignant de français des moyens supplémentaires pour la réflexion et pour l'action.»

La Séquence didactique en français. Anne Armand, Michel Descottes, Jean Jordy et al. CRDP de Toulouse (1992)

dimanche 5 juin 2016

«L'imagerie incessante (télévision, vidéo, cinéma) constitue notre environnement, mais dès lors que la question du souvenir se pose, la photographie est plus incisive. La mémoire procède par l'arrêt sur image ; son unité de base est l'image isolée. En cette ère d’information saturée, la photographie représente un moyen rapide d'appréhender un objet ainsi qu'une forme compacte de mémorisation. La photographie est comparable à une citation, à une maxime ou à un proverbe. Chacun d'entre nous dispose, dans son stock mental, de photographies dont le souvenir peut être instantanément rappelé. Qu'on mentionne seulement la photographie la plus célèbre de la guerre civile espagnole -celle du soldat républicain touché simultanément par l'appareil  de Robert Capa et par une balle ennemie- et quiconque ou presque a entendu parler de cette guerre pourra se figurer l'image granuleuse, en noir et blanc, d'un homme vêtu d'une chemise blanche aux manches retroussées tombant à la renverse sur un monticule, le bras droit projeté en arrière tandis que son fusil lui échappe ; un homme saisi au moment où il va s'écrouler, mort, sur sa propre ombre.»

Devant la douleur des autres. Susann Sontag. Éditions Bourgeois (2003)
«C'est ainsi qu’Édouard devint instituteur dans une ville de Bohême. Il n'en était ni malheureux ni heureux. Il s'efforçait toujours de faire la distinction  entre le sérieux et le non-sérieux, et rangeait sa carrière d'instituteur dans la catégorie du non-sérieux. Non que la profession d'enseignant, en elle-même, fût dépourvue d'importance (d'ailleurs il y tenait beaucoup, car il n'aurait pas pu gagner sa vie par d'autres moyens), mais il la jugeait futile par rapport à l'essence de soi-même. Il ne l'avait pas choisie. Elle lui avait été imposée par la demande sociale, les appréciations de la section des cadres, les attestations du lycée, les résultats du concours d'entrée. Il avait été, par l'action conjuguée de ces forces, lâché (comme une grue lâche un sac dans un camion) du lycée à la faculté. [...] Il comprenait maintenant que son métier ferait partie des hasards de sa vie. Qu'il lui collerait à la peau comme une moustache postiche qui prête à rire.»

Risibles amoursMilan Kundera. Gallimard (1986)
«Tout paraît indiquer que l'immense désir du Nouveau qu'éprouvait Jaromil (cette religion du Nouveau) n'était que le désir qu'inspire au puceau l'incroyable du coït encore inconnu, le désir du coït projeté dans l'abstrait ; la première fois qu'il aborda sur la rive du corps de la rousse, il lui vint l'étrange idée qu'il savait enfin ce que cela voulait dire, être absolument moderne ; être absolument moderne, c'était d'être étendu sur la rive du corps de la rousse.»

La Vie est ailleurs. Milan Kundera. Éditions Gallimard (1987)
«Il dit à un riche avare : "Tu ne possèdes pas ta fortune, c'est elle qui te possède."»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Bion. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)
«On dit de l'enfance que c'est le temps le plus heureux d'une existence. En est-il toujours ainsi ? Non. Peu nombreux ceux dont l'enfance est heureuse. L'idéalisation de l'enfance a ses lettres d'origine dans la vieille littérature des privilégiés. Une enfance assurée de tout et, avec surcroît, une enfance sans nuage dans les familles héréditairement riches et instruites, toute de caresses et de jeux, restait dans la mémoire comme une clairière inondée de soleil à l'orée du chemin de la vie. Les grands seigneurs en littérature ou les plébéiens qui chantèrent les grands seigneurs ont magnifié cette idée de l'enfance toute pénétrée d'esprit aristocratique. L'immense majorité des gens, si seulement ils jettent un coup d’œil en arrière, aperçoivent au contraire une enfance sombre, mal nourrie, asservie. La vie porte ses coups sur les faibles, et qui est donc plus faible que les enfants...»

Ma vie. Léon Trotsky. Gallimard (1953)

Quelques Éléments de la Société du Spectacle (16)

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L'art à son époque de dissolution, en tant que mouvement négatif qui poursuit le dépassement de l'art dans une société historique où l'histoire n'est pas encore vécue, est à la fois un art du changement et l'expression pure du changement impossible. Plus son exigence est grandiose, plus sa véritable réalisation est au-delà de lui. Cet art est forcément d'avant-garde, et il n'est pas. Son avant-garde est sa disparition.

La Société du spectacle. Guy Debord. Éditions Gallimard (1992)