dimanche 29 mai 2016

«Qu’est-ce que je demande à la société, aux bourgeois, pas l’aumône, mais du travail. Si l’on ne m’en donne pas, je proteste contre cette organisation sociale qui est impuissante à m’occuper pour me faire vivre. Comme je ne suis rien dans la société, si ma protestation n’entraîne pas un scandale qui attire forcément l’attention sur mes griefs, c’est comme si je ne me plaignais pas.»

Léon Léhautier anarchiste pur. André Salmon. Lenka lente (2015)
«Don Juan était un maître, tandis que le Collectionneur est un esclave. Don Juan transgressait effrontément les conventions et les lois. Le Grand Collectionneur ne fait qu'appliquer docilement, à la sueur de son front, la convention et la loi, car collectionner fait désormais partie des  bonnes manières et du bon ton, collectionner est presque considéré comme un devoir. Si je me sens coupable, c'est uniquement de ne pas prendre Élisabeth. 
Le Grand Collectionneur n'a rien de commun ni avec la tragédie ni avec le drame. L'érotisme, qui était le germe des catastrophes, est devenu, grâce à lui, une chose pareille à un petit déjeuner ou à un dîner, à la philatélie, au ping-pong, ou à une course dans les magasins. Le Collectionneur a fait entrer l'érotisme dans la ronde de la banalité. Il en a fait les coulisses et les planches d'une scène d'un vrai drame n'aura jamais lieu. Hélas mes amis, s'écria Havel d'un ton pathétique, mes amours (si je peux me permettre de les appeler ainsi) sont les planches d'une scène où il ne passe rien.»

Risibles amours
Milan Kundera. Gallimard (1986)
«Si l'on voulait caricaturer, on dirait de la femme qu'elle est aujourd'hui juridiquement dépendante de son mari ivrogne, moralement dans les mains boudinées de son confesseur et quotidiennement soumise à ses enfants ingrats. Sans droit de vote, elle demeure pour la société une femme enfant que les hommes voient comme une première communiante attardée.»

Landru, précurseur du féminisme : correspondance inédite 1919-1922Henri-Désiré Landru  et Jean-Baptiste Botul. Mille et une nuits (2001)

samedi 28 mai 2016

Liste des émissions des Muses galantes (6)

Lors de cette série d'émissions de 2010 et 2011, nous avons pu découvrir la pastorale de Longus, Daphnis et Chloé, la Rétrospective de Gilbert Marquès, les entretiens avec Jean-Marc Andrieu...

dimanche 22 mai 2016

«A un envieux qui faisait grise mine, il dit un jour : "Je suis bien embarrassé car je ne saurais dire s'il t'est arrivé un grand malheur ou s'il est arrivé un grand bonheur à ton voisin."»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Bion. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

lundi 16 mai 2016

«Le premier poète se leva et récita un poème où il était question d'une jeune fille qui quittait son ami parce que l'ami en question, qui travaillait à la fraiseuse voisine, était un fainéant et n'atteignait pas les objectifs du plan ; mais l'ami ne voulait pas perdre son amie et se mettait à son tour à travailler assidûment, jusqu'à ce que le drapeau rouge des travailleurs de choc fit son apparition sur sa fraiseuse. Après lui, d'autres poètes se levèrent et récitèrent des poèmes sur la paix, sur Lénine et Staline, sur les combattants antifascistes martyrisés et les ouvriers qui dépassaient les normes.»

La Vie est ailleurs. Milan Kundera. Éditions Gallimard (1987) 
«Aux États-Unis (l'une des provinces les plus riches et vastes de Cordicopolis), il n'est déjà plus seulement impossible de faire voir au public des films sous-titrés, mais même d'obtenir que les gens se déplacent pour des spectacles étrangers doublés. Si on veut que les salles se remplissent, il faut tout re-filmer, tout re-traduire dans des paysages américains avec des interprètes américains, des mouvements de caméra américain.
A peu près comme si vous exigiez, vous, ici, une version de Crime et châtiment se déroulant à Dijon parce que vous n'êtes jamais allé à Saint-Pétersbourg. Ou encore, comme si Faulkner devait rester inimaginable tant que l'on ne l'aura pas réécrit en transplantant ses histoires par exemple dans le marais poitevin.»

L'Empire du Bien. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2014)

dimanche 15 mai 2016

Farewell to childhood

Adieu à l'enfance de Jeanne Tympa, avec un dernier carrousel de ses voitures, camions, personnages, animaux et peluches sur la murette du jardin de Saint-Girons. Jadis, elle appelait cette longue file hétéroclite, une expédition. Sa chambre d'enfant a été le théâtre de centaines de ces expéditions qui incorporaient toujours l'accident, peut être source de l'expédition. Ces expéditions ont été aussi délocalisées en vacances en particulier à Lamazières en Cévennes. Il n'y a rien de triste dans ce Carouselambra, juste une évolution !
«Mais pour ce crime sans mesure, qui fait marcher des hommes contre des hommes, d'après une colère de cérémonie, contre l'intérêt de tout et contre le désir de presque tous, pour ce crime sans mesure, il faut l'esprit. Oui il faut des doctrines, des systèmes, un idéal, des preuves, une morale, une religion enfin. La colère, subordonnée au sommeil, à la faim, à la fatigue, appelle l'esprit au secours. C'est l'esprit qui veille, c'est l'esprit qui tient.»

Mars ou la guerre jugée. Alain. Éditions Gallimard (1936)

samedi 14 mai 2016

La panne !

«Les caresses et les baisers ne procuraient plus ni plaisir ni satisfaction ; ce n'était plus qu'un paravent derrière lequel le garçon se tourmentait et appelait désespérément son corps à l'obéissance. C'étaient des caresses et des étreintes interminables et un supplice dans un mutisme absolu, car Jaromil ne savait pas ce qu'il devait dire et il avait l'impression que toute parole ne ferait que trahir sa honte, sans savoir exactement si c'était celle de Jaromil ou la sienne ; en tous cas, il se passait une chose à laquelle elle n'était pas préparée et qu'elle craignait de nommer.»

La Vie est ailleurs. Milan Kundera. Éditions Gallimard (1987)

Convergence marxiste

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personne. Friedrich Nietzsche. Editions Gallimard (1971)

Tentative d'autoportrait (16)

«Ce monde du mercantilisme n'est pas pour moi. Je n'ai rien à y faire et n'y veux rien faire. Dussé-je passer pour un fossile, je serai jusqu'au bout conforme à moi-même, dans ma dureté, mon isolement, ma pureté.»

Circonstances. Carnets 11. Louis Calaferte. Éditions Gallimard L'arpenteur (2005)

vendredi 13 mai 2016

«L’homme au chapeau  melon marchait à petits pas. Vêtu d’une redingote et portant un tableau sous le bras, il contourna un pâté de maisons. Eut-il un pressentiment ? Il leva brusquement la tête et regarda par-dessus son épaule.

C’est alors que les enfants commencèrent de lui jeter des pierres.

Quand on sait aujourd’hui qui était cet homme, on est pris de vertige. Dans la multitude des noms qui désignent les humains, il en est bien peu qui subsistent. Parmi ces noms privilégiés, miraculés, il ya ceux des auteurs des plus grandes actions et des œuvres les plus magnifiques. L’homme au chapeau melon était de ceux-là. Il le pressentait, du reste, car, disait-il « un peintre comme moi il n’y en qu’un tous les deux siècles ». A la vérité il était modeste, car un peintre comme lui, il a fallu attendre plus de deux siècles pour qu’il en apparaisse un.

Il était né à Aix-en-Provence en 1839. Il devait mourir dans la même ville en 1906. Il se nommait Paul Cézanne.»

P. Cezanne
. Yvon Taillandier. Flammarion : Les maîtres de la peinture moderne. (1967)
«Celle qui m’aime est-elle grande dame, toute de soie, de dentelles et de bijoux, rêvant à nos amours sur le sofa d’un boudoir ? marquise ou duchesse, mignonne et légère comme un rêve, traînant languissamment sur les tapis les flots de ses jupes blanches et faisant une petite moue plus douce qu’un sourire ?

Celle qui m’aime est-elle grisette pimpante, trottant menu, se troussant pour sauter les ruisseaux, quêtant d’un regard l’éloge de sa jambe fine ? Est-ce la bonne fille qui boit dans tous les verres, vêtue de satin aujourd’hui, d’indienne grossière demain, trouvant dans les trésors de son cœur un brin d’amour pour chacun ?»

Celle que j’aime et autres nouvelles. Émile Zola. Hachette (2012)


«Le Circuit cycliste de Bionnas se dispute chaque année, le premier dimanche de mai, entre les meilleurs amateurs de six départements : l’Ain, le Rhône, l’Isère, le Jura et les deux Savoie. C’est une épreuve dure. Les coureurs doivent franchir trois fois le col de la Croix-Rousse, à 1250 mètres d’altitude. Les dirigeants des grandes fédérations y envoient des observateurs. Il est arrivé plusieurs fois que le vainqueur du Circuit de Bionnas, devenu professionnel, s’illustrât dans Paris-Lille, Paris-Bordeaux, le Giro d’Italia, le Tour de France.»

325.000 Francs. Roger Vailland. Éditions Correa  Buchet-Chastel (1955)

dimanche 8 mai 2016

Réminiscence personnelle (20)

«J'ai perdu ce qui faisait de moi un poète, et je suis devenue un être avec toutes les paresses, toutes les lâchetés, tous les désirs des êtres que la vie a domestiqués, asservis dans son poing de fer, courbés sous le joug de l'argent, de l'amour, de l'ennui.»

Journal 1919-1924. Mireille Havet. Éditions Claire Paulhan (2005)
«Il ne me fallut pas plus d'une semaine passée  au sein du groupe surréaliste pour découvrir que Gala avait raison. On toléra dans une certaine mesure, mes éléments scatologiques. En revanche une quantité d'autres choses furent déclarées "tabous". Je reconnaissais là les mêmes interdictions qu'au sein de ma famille. Le sang m'était permis. Je pouvais y ajouter un peu de caca. Mais je n'avais pas droit au caca seul. On m'autorisait à représenter des sexes, mais pas de fantasmes anaux. Tout anus était regardé d'un très mauvais œil ! Les lesbiennes leur plaisaient assez, mais pas les pédérastes. Dans les rêves on pouvait utiliser à volonté le sadisme, les parapluies et les machines à coudre, mais, sauf pour les profanes, tout élément religieux en était banni, même à caractère mystique. Si l'on rêvait simplement d'une madone de Raphaël sans blasphèmes apparents, il était défendu d'en parler...»

Journal d'un génie. Salvador Dali. Idées Gallimard (1974)

samedi 7 mai 2016

«Le mot de liberté s'oppose, je crois, au mot de vérité, c'est à dire que la vérité est l'ennemie de votre liberté. Vous ne pouvez être libre que si vous êtes vous-même porteur d'une vérité possible, dont vous serez l'inventeur et bientôt le destructeur.»

Préface à une vie d'écrivain. Alain Robbe-Grillet. Seuil (2006)

Réminiscence personnelle (19)

«Ulrich, très sensible au mauvais goût de toute exhibition sentimentale, se souvint à ce moment-là que la plupart des hommes ou, pour parler franchement, les hommes moyens dont l'esprit est surexcité mais incapable de se libérer dans la création, éprouvent le désir de se donner en spectacle.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)
«Le Bien a toujours eu besoin du Mal, mais aujourd'hui plus que jamais. Le faux Bien a besoin d'épouvantails ; moins pour les liquider, d'ailleurs, que pour anéantir , à travers eux ou au-delà d'eux, ce qu'il pourrait rester encore, de par le monde, d'irrégularités inquiétantes, d'exceptions, de bizarreries insupportables, enfin les vrais dangers qui le menacent, quoique l'on en parle jamais.»

L'Empire du Bien. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2014)

vendredi 6 mai 2016

«C'était une situation qui ne s'est plus jamais reproduite dans sa vie : il s'était trouvé confronté à l'inimaginable. Il venait de vivre cette période trop brève de sa vie (la période paradisiaque) où l'imagination n'est pas encore saturée par l'expérience, n'est pas devenu routine, où l'on connaît et où l'on sait peu de choses, de sorte que l'inimaginable existe encore ; et si l'inimaginable est sur le point de se transformer en réalité (sans l'intermédiaire de l'imaginable, sans la passerelle des images), on est pris de panique et de vertige. Et réellement, il fut saisi de vertige, lorsque après plusieurs autres rencontres au cours desquelles il ne put se résoudre à rien, elle se mit à l'interroger en détail et avec une éloquente curiosité sur la chambre d'étudiant qu'il occupait dans une cité universitaire, l'obligeant presque à l'inviter.»

Risibles amours. Milan Kundera. Gallimard (1986)

jeudi 5 mai 2016

«[Californie ? 1890]

Je n'aime que toi, je ne suis heureuse qu'en rêvant de toi, cela est aussi certain, aussi réel que ma conscience d'exister, pourtant... oh, je ne t'accuse pas !... pourtant Van tu es responsable (ou ce qui revient au même, le Destin à travers toi est responsable) d'avoir ouvert en moi, lorsque j'étais encore enfant, une source de frénésie, une fureur de la chair, une irritation insatiable... Le feu que tu as allumé a laissé son empreinte sur le point le plus vulnérable, le plus pervers, le plus sensible de mon corps. Aujourd'hui il faut que j'expie l'excès de vigueur prématurée avec lequel tu as raclé la rouge écorchure, comme le bois calciné doit expier d'être passé par la flamme. Privée de tes caresses, je perds tout empire sur mes nerfs, plus rien n'existe que l'extase du frottement, l'effet persistant de ton dard, de ton poison délicieux. Je ne t'accuse pas, je te dis la raison qui fait que le désir me consume et que je ne puis résister à l'impact d'une autre chair - et que notre passé commun engendre des ondes de trahisons illimitées.»

Ada ou l'ardeurVladimir Nabokov. Librairie Arthème Fayard (1975)

mercredi 4 mai 2016

«- J'étais allé au cinéma, dit Joseph à Suzanne. Je m'étais dit, je vais aller au cinéma pour chercher une femme. J'en avais marre de Carmen, c'était un peu comme si je couchais avec une sœur quand je couchais avec elle, surtout cette fois-ci»

Un Barrage contre le Pacifique. Marguerite Duras. Gallimard (1950)

Épiphanie artefactuelle (18)


Et moi que scie aux genoux la rêche toison des falaises
L'éclat de leurs ombre a scellé mon entrée en ténèbres !
Sourd aux garçons qui s'ensauvent par les hautes jachères
Abîmé dans le charme barbare de l'idiome hermétique
Sourd pareillement au ressac qui m'éclabousse de son tonnerre
Mais sous l'arroi des nuages que le vent pousse à coups de fouet
(Oh comme le printemps sifflait en ce pays celtique !)
Je suis en perdition !

Les Mégères de la mer. Louis-René des Forêts. Quarto Gallimard (2015)
 «Une tête de jeune fille signifiait pour lui plus qu'un corps de jeune fille. Pour ce qui est du corps, il n'y connaissait à peu près rien (qu'est-ce que c'est au juste que de jolies jambes ? à quoi doit ressembler une jolie croupe ?) mais il s'y connaissait en visages et le visage seul décidait à ses yeux de la beauté d'une femme.
Nous ne voulons pas dire par là que le corps lui fût indifférent. L'idée de la nudité féminine lui donnait le vertige. Mais notons soigneusement cette différence subtile : il ne désirait pas la nudité d'un corps de jeune fille ; il désirait un visage de jeune fille éclairé par la nudité du corps.
Il ne désirait pas posséder un corps de jeune fille ; il désirait posséder un visage de jeune fille et que ce visage lui fit don du corps comme preuve de son amour.»

La Vie est ailleurs. Milan Kundera. Éditions Gallimard (1987)
 

Convergence fellinienne

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personne. Friedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)
«La liturgie -comme la poésie- est splendeur gratuite, gaspillage délicat, plus nécessaire que l'utile. Elle est réglée par des formes harmonieuses et des rythmes qui s'inspirent de la création, la dépassent dans l'extase.»

La Noix d'or. Cristina Crampo. Éditions l'Arpenteur (2006)

dimanche 1 mai 2016

Quelques Éléments de la Société du Spectacle (15)

189

«Le temps historique qui envahit l'art s'est exprimé d'abord dans la sphère même de l'art, à partir du baroque. Le baroque est l'art d'un monde qui a perdu son centre ; le dernier ordre mythique reconnu par le moyen âge, dans le cosmos et le gouvernement terrestre - l'unité de la Chrétienté et le fantôme d'un Empire - est tombé. L'art du changement doit porter en lui le principe éphémère qu'il découvre dans le monde. Il a choisi, dit Eugenio d'Ors, "la vie contre l'éternité". Le théâtre et la fête, la fête théâtrale, sont les moments dominants de la réalisation baroque, dans laquelle toute expression artistique particulière ne prend son sens que par sa référence au décor d'un lieu construit, à une construction qui doit être pour elle-même le centre d'unification ; et ce centre est le passage, qui est inscrit comme un équilibre menacé dans  le désordre dynamique de tout»

La Société du spectacle. Guy Debord. Éditions Gallimard (1992)