mercredi 25 avril 2018

2018.14 : DirectLive du 25 avril 2018

Mercredi 25 avril 2018 à 19H sur Radio-Radio (Toulouse 106.8 Mhz) et sur http://62.210.215.26:8000/xstream , nouveau DirectLive de la Petite Boutique Fantasque [2018.14] mais sans Jeanne Tympa. Vais-je savoir faire seul ?

Liste des morceaux diffusés :
1) Excès de zèle (Jacques Higelin)
2) Night flight (Led Zeppelin)
3) 87' and cry (David Bowie)
4) Lover's plea (Keith Richard)
5) Theme 1 (Seeker lover keeper)
6) Séquence jazz cabaret extrait de Playtime (Jacques Tati)
7) Nothing but time (Cat power)
8) Under (Brian Eno)
9) Molène (Disier Squiban)
10) Rien qu'un grain de poussière (Jacques Higelin)
11) Le Bilboquet des planètes (Chanson +)
12) Caravane (la Foire aux chapeaux)

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y aura possibilité de rattrapage, un jour, avec les podcasts :http://www.radioradiotoulouse.net/#!baca

lundi 23 avril 2018

Le Bonheur d'Agnès Varda (1965)





Tourné juste après Cléo de 5 à 7, Le Bonheur était peut-être, à l’époque de sa sortie, trop en avance sur son temps. La révolution sexuelle n’était pas encore passée par là et Agnès Varda bousculait alors les mœurs en mettant en lumière un polyamour qui n’est jamais condamné. L’Ours d’argent obtenu à Berlin n’a pas suffi à calmer les critiques et surtout la censure qui jugea que le film devait être interdit aux moins de 18 ans ! Aujourd’hui, tout ce bruit peut prêter à sourire, le sujet n’ayant plus rien de subversif. Le Bonheur peut alors s’apprécier pour ce qu’il est : un film beau et intense comme une après-midi d’été qu’on ne voudrait jamais voir s’échapper.
Un menuisier vit heureux avec sa femme couturière et leurs deux enfants dans le cadre champêtre de Fontenay-aux-Roses. Un jour, il fait la connaissance d’une postière de Vincennes et en tombe éperdument amoureux… D’une banale situation d’adultère qui aurait pu donner lieu à un drame social naturaliste, Agnès Varda choisit d’en proposer une vision hédoniste à la morale ambiguë et à l’esthétique parfois abstraite. Toute l’ironie du film est qu’il est placé sous l’égide du « bonheur », mais un bonheur défait des carcans sociaux et des interdits. Comme chez Ophüls, le bonheur tel que le conçoit Varda n’est pas forcément « gai ». En tout cas, il demande à être réinventé à l’image de l’amour rimbaldien. Ultime affront fait à la bienséance, la réalisatrice demande à Jean-Claude Drouot (Thierry la Fronde) et à sa propre femme Claire, de jouer François et Thérèse, le couple principal et de se confronter ainsi à leur propre déconstruction fictive.

Agnès Varda n’est pas là pour juger ses personnages. Elle nous tient d’ailleurs à la juste distance entre l’empathie et la prise de conscience qu’ils sont aussi là pour servir une démonstration. En témoignent ces dialogues délibérément très écrits qui oscillent entre jeux de mots, calembours, citations et maximes. Cette volonté de se couper de toute psychologisation donne au film cette fluidité si particulière où tout semble couler de source, à l’image de la fugue de Mozart utilisée comme un leitmotiv. Dans la mécanique bien huilée du système Varda, les conflits se désamorcent et le bonheur « s’additionne ». François est heureux avec Thérèse. Il est aussi heureux avec Émilie. Thérèse conçoit qu’elle peut faire miel de cette situation pour y trouver aussi sa part de bonheur. D’ailleurs, sa mort n’est jamais utilisée à des fins dénonciatrices. Sans minimiser l’impact qu’elle procure sur les autres personnages, Varda laisse planer le doute. S’agit-il d’un suicide ou d’un malencontreux accident ? Libre au spectateur d’y projeter ses propres croyances et valeurs.
De fait, si critique il y a, elle est plus à chercher dans la remise en cause de certains stéréotypes. Dans la première partie du film, le couple formé par François et Thérèse est encore marqué par les schémas patriarcaux. Thérèse a beau avoir un travail, elle garde encore les attributs de la femme au foyer. François, de son côté, tente d’ailleurs de la bousculer un peu lorsqu’elle se veut trop présente auprès des enfants ou qu’elle se trouve incapable de dire non à des clientes. A l’inverse, Émilie fait figure de femme émancipée. Elle a un travail plus intégré dans la société et surtout gère ses amours de manière moins conventionnelle. Elle porte en elle une passion aventureuse qui manque sûrement aux mariés installés dans une relation beaucoup plus codée. Pour ce qui est du féminisme, par contre, Le Bonheur reste assez timide dans la mesure où le personnage masculin reste le marionnettiste des cœurs féminins. Question d’époque, sûrement, mais l’inverse aurait été encore plus audacieux !

Le Bonheur nous montre qu’une philosophie de vie basée sur l’instinct et non sur la raison peut se rêver. Malgré sa forme très pensée et rigoureuse, le film se montre lui-aussi naturellement dans un rapport très direct avec nos sens en multipliant, notamment, les effets de synesthésie. Comme dans Cléo de 5 à 7, Agnès Varda n’hésite à morceler le paysage urbain et à capter, sur les devantures des magasins, des mots qui apparaissent avec la brutalité du montage cut et qui font ironiquement écho à l’action. Le champ sonore, on l’a vu, est bercé de musique classique mais il se remplit aussi des bruits de la ville et de la campagne, des ritournelles du bal musette ou des chansons yé-yé qui passent à la radio. Parfois, la musique s’affiche sur les murs, comme ces portraits de Brassens ou de Sylvie Vartan. Le cinéma, lui, se rêve à travers des posters de Marilyn ou de Brigitte Bardot. Ces éléments marqueurs de temps et d’espace (la géographie des lieux est également très précise) sont là pour contextualiser l’intrigue et rappeler que le drame se pense toujours dans un va-et-vient constant entre l’intime et la sphère sociale qui porte les valeurs d’une époque. Les personnages ont beau vouloir composer leur bonheur, ils ne peuvent se soustraire au regard des autres (les gros plans sur les visages des inconnus qui ont pu être témoins de la disparition de Thérèse en sont un beau symbole).
On le voit, Le Bonheur fonctionne beaucoup sur l’accumulation « d’impressions » et il n’est pas étonnant que le film soit picturalement placé sous l’égide de Renoir, Monet ou Manet (sans oublier Van Gogh dont les tournesols sont « cités » au générique). Le « déjeuner sur l’herbe » auquel se livre la petite famille au début du film est montré comme un Éden presque trop beau pour être vrai. La caméra multiplie les travellings, le découpage favorise les plans longs comme s’il ne fallait pas altérer cette bulle idyllique (l’arrivée d’Émilie, au contraire, va totalement déstructurer la narration et déclencher un montage beaucoup plus haché). Avec ce film et pour la première fois, Agnès Varda s’essaie aussi à la couleur et utilise sa nouvelle palette avec l’habilité d’un peintre impressionniste. Les teintes sont vives, les fondus se parent de rouge et de jaune… Surtout, la couleur n’est pas appréhendée uniquement comme une ornement mais aussi comme un vecteur de sens, dans la lignée du travail de Demy sur Les Parapluies de Cherbourg, tourné à la même époque. Chaque amante de François a son code chromatique (le rouge pour Thérèse / le bleu pour Émilie ; les couleurs de la campagne face au blanc du petit appartement de l’ancienne citadine) qui s’opposent d’abord avant de se substituer, une fois le drame passé, comme pour signifier le passage d’armes.

Deux femmes, deux amours, deux bonheurs… Agnès Varda ne cesse de broder autour du motif de la dualité. La scène la plus parlante est certainement celle du bal musette où, guidées par un travelling gauche – droite incessant, Thérèse et Émilie passent successivement dans les bras de François comme si elles devenaient soudainement interchangeables. Les deux femmes se font alors miroir dans un jeu vertigineux digne d’Alfred Hitchcock. La mort de Thérèse précipitera le processus d’identification. Sans rien altérer au cycle naturel du film, Émilie prend la place de la défunte et, ironie de la situation, accède à une reconnaissance sociale qui lui était alors interdite : celle de mère de substitution. Le film a commencé dans la lumière chatoyante d’une après-midi d’été. Il se termine avec les premières feuilles de l’automne. Même cadre et même instantané. Sauf que le bonheur se pense désormais par le biais d’une famille recomposée.
Nicolas Maille (critikat.com) 
«Nous vivons avec quelques arpents du passé, les gais mensonges du présent et la cascade furieuse de l'avenir. Autant continuer à sauter à la corde, l'enfant chimère à nos côtés.»

Fenêtres dormantes et porte sur le toit. René Char. Gallimard (1979)
«Les souffrances volontaires et les efforts conscients spécialement réalisés pour eux par cet Individuum sacré, Saint Bouddha, qui avait revêtu une présence planétaire semblable à la leur, se sont depuis lors révélés inutiles. Du fait de l'étrangeté de leur psychisme, ces efforts n'engendrèrent aucun des résultats qui auraient dû nécessairement se produire ; ils ne donnèrent naissance qu'à de "pseudo-enseignements" de toutes sortes, comme ceux qui existent là-bas de nos jours sous le nom "d'occultisme", "théosophie", "spiritualisme", "psychanalyse" etc. et qui aujourd'hui comme autrefois, ne sont que des moyens de "mystifier" leur psychisme déjà bien mystifié sans cela.»

Récits de Belzébuth à son petit-fils : critique objectivement impartiale de la vie des hommes. Georges Ivanovitch Gurdjieff. Stock + plus (1976)


«Ayant l'impression de renaître et cette fois-ci de façon décisive, j'ai l'impression aussi que je dois tout relire, car il est évident que je suis passé à côté de tout ce que j'ai lu. Joindre les unes aux autres les époques de lectures de ma première vie, de ma non-vie en gestation qui aura duré trente ans. Il est évident que je n'ai rien lu jusqu'ici, et non pensé, puisque j'ai été celui qui lit sas prendre de notes, dont parle Voltaire, c'est à dire qui dort.»

Ultima necat I : journal intime 1978-1985. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2015)

Et pendant ce temps-là (6)


samedi 21 avril 2018

Le lion est mort ce soir (Nobuhiro Suwa)





«Pourtant, ce n'était pas un revirement totalement illogique. C'était la conséquence de mon intérêt pour la physiologie, la biologie, la neurologie, qui m'avait amené à la conviction que, dans notre ère scientifique, l'art abusait de la nature en tâchant de la saisir par les moyens de la « photographie en couleurs » et que l'artiste moderne n'était pas obligé de participer à cet abus. Je suis donc arrivé à une peinture sans sujet, sans formes empruntées à la nature, créant moi-même les formes et les couleurs.»

Cité dans le catalogue d'exposition Kupka : pionnier de l'abstraction. Éditions des  Musées Nationaux (2018)
«Parce qu'ils n'ont pas la force (et la grâce) d'être de la nature, ils croient qu'ils sont de la grâce. Parce qu'ils n'ont pas le courage temporel, ils croient qu'ils sont entrés dans la pénétration de l'éternel. Parce qu'ils n'ont pas le courage d'être du monde ils croient qu'ils sont de Dieu. Parce qu'ils n'ont pas le courage d'être d'un des partis de l'homme, ils croient qu'ils sont du parti de Dieu. Parce qu'ils n'aiment personne, ils croient qu'ils aiment Dieu.»

Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne. Charles Péguy. (1914)
« Normalement nos admirations nous portent au contraire vers des êtres supérieurs, exceptionnels. Cet engouement pour la banalité de soi est, au moins en apparence, paradoxal.»

Festivus festivus. Philippe Muray. Flammarion (2008)
«Il n'y a pas de forme, puisque la forme est de l'immobile et que la réalité est mouvement. Ce qui est réel, c'est le changement continuel de la forme : la forme n'est qu'un instantané pris sur une transition.»

L’Évolution créatrice. Henri Bergson. Alcan (1932)

«Les littératures grecque et romaine constituaient, pour les peintres de la Renaissance et du baroque, un répertoire inépuisable de sujets visuellement attrayants, et Rubens ne faisait pas exception à la règle. Ses préférences allaient aux thèmes qui combinaient violence et concupiscence, car la description de ces passions humaines passait par des compositions dynamiques et excitantes, qui flattaient les goûts des mécènes et des collectionneurs : de récits mythologiques fournissaient un prétexte idéal pour peindre des nus féminins voluptueux en train de se débattre.»

Sensation et sensualité : Rubens et son héritage. Nico Van Hout. Musée Royal des beaux-arts d'Anvers (2014)

Projet de ballet de Nijinsky

«Ce scénario proscrivait les conventions du genre et mettait en scène […] des garçons et des filles vêtus de flanelle et des mouvements rythmiques […], une partie de tennis devait être interrompue par l'écrasement d'un aéroplane.»

Cité dans Cadences n°313, avril 2018
«Mais le système ne changera pas le cours de son évolution, pour la bonne raison qu'il n'évolue déjà plus ; il s'organise seulement en vue de durer encore un moment, de survivre. Loin de prétendre résoudre ses propres contradictions, d'ailleurs probablement insolubles, il paraît de plus en plus disposé à les imposer par la force, grâce à une réglementation chaque jour plus minutieuse et plus stricte des activités particulières, faites au nom d'une espèce de socialisme d'État, forme démocratique de la dictature.»

La France contre les robots. Georges Bernanos. Le Castor astral (2017)

Exposition Raoul Hausman (Galerie du Jeu de Paume 2018)


«Le dadaïsme n'était pas un mouvement idéologique mais un produit organique né pour lutter contre toutes les tendances nuageuses de l'Art qui réfléchissait sur des cubes ou le gothique tandis que les maréchaux peignaient avec du sang. Le dadaïsme a forcé les artistes à prendre position.»

Entretien avec George Grosz. G. material zur elementaren gestalhung (1923)

Le vent nous emportera (Abbas Kiarostami)


«Dors ma nuit, si brève, hélas
Le vent a rendez-vous avec les feuilles.
Ma nuit si brève est remplie de l'angoisse dévastatrice
Écoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
De ce bonheur, je me sens étranger.
Au désespoir je suis accoutumée.
Écoute ! Entends-tu le souffle des ténèbres ?
Là, dans la nuit, quelque chose se passe
La lune est rouge et angoissée.
Et accrochés à ce toit
Qui risque de s'effondrer à tout moment,
Les nuages, comme une foule de pleureuses,
Attendent l'accouchement de la pluie,
Un instant et puis rien.
Derrière cette fenêtre, C'est al nuit qui tremble
Et c'est la terre qui s'arrête de tourner.
Derrière cette fenêtre, un inconnu s'inquiète pour moi et toi.
Toi, toute verdoyante,
Pose tes mains -ces souvenirs ardents-
Sur ses mains amoureuses
Et confie tes lèvres repues de la chaleur et de la vie,
Aux caresses de mes lèvres amoureuses
Le vent nous emportera !
Le vent nous emportera !»

Forough Farrokhzad. Cité dans Le vent nous emportera d'Abbas Kiarostami

Nymphéas de Claude Monet : cartel du musée de l'Orangerie (Paris)


«Déambulation sans trajectoire précise, empathie rêveuse, errance de la « pensée » prise avec le "mouvant" (dont le philosophe Bergson poursuit simultanément l'exploration) sentiment de l'infini se prolongeant en contemplation quasi-religieuse... »

«Contamine était comme Satie un jeune homme sentimental, timide, un peu naïf, amoureux pour un rien, possédant l’orgueil de la marginalité et la modestie du poète, fasciné par l'aspect mystique du symbolisme, et réceptif aux provocations spirituelles et littéraires de la fin du siècle, ainsi qu'aux sciences occultes.»

Erik Satie. Jean-Pierre Armengaud. Fayard (2009)
«Par certains traits, Erik Satie et Charlot se ressemblent.»

Erik Satie. Jean Roy. Nouvelles éditions Debrosse (1962)
«Souvent la peur du silence renvoie à la peur du vide, de l'ennui, de la solitude. Dans sa difficulté à accepter les silences, à les écouter et à les goûter, l'homme occidental contemporain se précipite souvent pour trouver une solution de remplissage.»

Essai de géographie du son, du silence et de la nuisance. Henri Tournier. In Le mur du son : Quand le son fait sens. Revue de la Bibliothèque Nationale de France n°55
«Et maintenant, cher bien-aimé grand-père, puisque ta conversation avec le capitaine m'en a fait prendre conscience de toute ma présence, je sens le besoin de comprendre pourquoi les commodités dont je profite aujourd'hui me sont personnellement données et à quelles obligations cela m'entraîne. Tout cela, cher grand-père, éveille en moi le processus de remords.»

Récits de Belzébuth à son petit-fils : critique objectivement impartiale de la vie des hommes. Georges Ivanovitch Gurdjieff. Stock + plus (1976)
«De même qu'on rejette des vêtements usés
De même, ce qui est vêtu d'un corps rejette
Les corps usés...

La voix des fidèles qui venaient de se purifier n'eût pas été moins pénétrante sans temples, sans palais, sans amulettes, sans ville -à, la courbe peuplée de bûchers, d'un fleuve vaste et lent d'Afrique... […]
Ici une ménagère se penchait à sa fenêtre dans la fumée des cadavres, que la foules regardant passer comme les premiers habitants de Bénarès regardèrent passer ce vol calme des oiseaux, migrateurs. 
Un habit que l'on quitte... »

Antimémoires. André Malraux. Gallimard (1972)
«On ne se marie pas pour soi, quoiqu'on dise : on se marie autant ou plus, pour sa postérité, pour sa famille. L'usage et l'intérêt du mariage touche notre race, bien au-delà nous. Pourtant me plaît cette façon, qu'on le conduise plutôt par main tierce, que par ses propres : et par le sens d'autrui, que par le sien : tout ceci, combien à l'opposite des conventions amoureuses ? »

Les Essais : Sur des vers de Virgile. Michel de Montaigne. Librairie Générale Française (2002)
«Aujourd'hui lorsque je regarde ma vie, derrière moi, je la compare à un de ces bouchons, jetés à la rivière. Il file, puis est pris dans un remous, revient en arrière, plonge, remonte, est accroché à une herbe, fait des efforts désespérés pour se détacher et finit par aller se perdre, je ne sais où...»

Renoir cité par Lawrence Gowing «Le sentiment et l'esprit de Renoir» dans le catalogue d'exposition Renoir (1985)
«Le sport n'est qu'un des pires mauvais moment à passer parmi d'autres. Je n'en sais pas grand chose, sinon que je l'abomine allègrement. Tous les sports en vrac, et depuis toujours, du foot au saut à l'élastique et de la planche à voile aux courses automobiles. C'est une sorte de répugnance instinctive, chez moi, qui remonte à la loin. Il y a peu de choses dont je me détourne depuis plus longtemps et avec une telle assiduité. "Sportif" a été très tôt, à mes yeux, une espèce d'insulte. Une journée de lycée qui commençait par la gymnastique ne pouvait pas se terminer bien.»

Désaccord parfait. Philippe Muray. Gallimard (2000)

mercredi 11 avril 2018

The Photographer



All that white hair
A Gentleman's honor
And a long white beard
Burns up in fever

And this is artificial moonlight
An artificial sky

Horses in the air
Feet on the ground
Never seen
This picture before

And this is artificial moonlight
An artificial sky

Horses in the air
"Whose baby is this"
Never seen
This picture before

Philip Glass


Réminiscence personnelle (27)

«On s'exprime beaucoup mieux par les textes des autres, vis-à-vis de qui on a toute la liberté de choix, que par les siens propres, qui vous fuient comme s'ils le faisaient exprès au profit des parts de Dieu ou du diable»


L'Homme et sa liberté: jeu pour la veillée utilisant des textes recueillis par Chris Marker (1949) Paris: Le Seuil, 93 p. (collection "Veillées", n° 4)
Je ne vais pas vous raconter ma vie (nous ne sommes pas là pour ça), mais il se trouve qu’en 1981, je suis resté des mois sans pratiquement jamais sortir de chez moi. J’occupais un petit studio en haut de la rue Saint-André-des-Arts. Officiellement, je terminais une thèse (ne me demandez pas laquelle). Je n’avais pas de cours, et peu d’argent. Je passais mes journées à lire : les quotidiens, les hebdos, les mensuels, tout. Un vrai papivore. Je ne voyais personne. Je ne prenais même plus la peine de descendre la rue pour aller au cinéma, au Saint-André bien sûr, ma salle fétiche d’alors, celle-là même où quelques années plus tard allait être programmé Reprise. Ma seule sortie quotidienne consistait à me traîner le matin à huit heures et demie jusqu’au carrefour Buci, pour y faire l’ouverture de la supérette. A l’aller, je renouvelais ma provision de cigarettes au café-tabac (la nuit m’avait souvent laissé en panne), au retour, ma provision de lecture au marchand de journaux (je devrais dire chez, mais comme son étal était dans la rue…). Si l’on me demande un jour où j’étais en mai-juin 81, voici la réponse : j’étais chez moi. Je n’en ai pas bougé.

Deux catastrophes majeures (à tout le moins : pour mon mode de vie) survinrent, coup sur coup, durant cette période : l’arrêt successif de mes deux publications favorites, celles auxquelles je consacrais le plus de temps : Libération, arrêté pour cause de “nouvelle formule”, et Charlie hebdo, lancé en représailles dans une éphémère aventure quotidienne.

De rage, j’arrêtai de lire, ce qui réduisit encore mes sorties. Pour le tabac et les courses, je pouvais me contenter d’un raid tous les trois-quatre jours, il suffisait d’acheter les cigarettes en cartouche, et les yaourts en pack de douze. Ma dernière visite -­ ma visite d’adieu -­ au marchand de journaux fut pour lui prendre deux gros numéros spéciaux des Cahiers du cinéma consacrés à la “situation du cinéma français”.


J’ai passé l’été 81 à lire, relire et relire encore ces deux numéros. On y trouvait les réponses de deux cents cinéastes (dont je connaissais à peine le quart) à un questionnaire éclectique, des études définitives sur des auteurs qui m’étaient, pour certains, familiers (Pialat, Mocky…), pour d’autres, pas du tout (Garrel, les Straub…), des papiers savants sur la production et la technique dont je ne comprenais pas un traître mot. Ma cinéphilie n’était pas alors des plus pointues. Je lisais vraiment pour le plaisir du texte. Et puis il y avait les images, les photos, quelques dessins (l’un de Tati). Dans le premier des deux numéros, deux pages intitulées “Le cinéma direct en dix images” étaient consacrées au cinéma documentaire. Serge Daney et Serge Le Péron avaient choisi dix films, avec pour chaque un photogramme et un petit texte, genre haïku. Pêle-mêle : Histoire d’A. ; le film de Depardon sur la campagne de Giscard en 74, 50,81% ; Genèse d’un repas de Luc Moullet ; Comment Yu-Kong déplaça les montagnes de Joris Ivens et… La Reprise du travail aux usines Wonder.


Le photogramme. Une jeune femme brune qui, nous disait-on, ne voulait pas aller travailler (comme je la comprenais !). Le titre. La Sortie des usines Lumière, bien sûr. Et cette usine nommée Wonder… Wonderland. Alice sommée d’aller à l’usine. Je ne sais pas si, sans cette lecture monomaniaque de l’été 81, j’aurais un jour écrit aux Cahiers du cinéma, et, plus tard, essayé de mettre en scène des films. Je sais simplement que Reprise vient de là.

Juste avant qu’on tourne, j’ai exhumé le vieux numéro des Cahiers. J’étais persuadé que le photogramme montrait la jeune femme en train de crier. En fait, non. Elle est muette, au milieu de l’image, dans sa blouse blanche. Bras croisés. Sans doute rien d’autre qu’une attitude familière. Je les vois bien, ces ouvrières de chez Wonder, s’attendant les unes les autres, le midi, en blouse blanche, les bras croisés, à la porte de l’usine. L’hiver, piétinant un peu sur place pour combattre le froid. Sauf que ce jour de reprise, les bras croisés, ça dénote tout de suite autre chose. C’est la grève qui continue. Il y aurait ainsi celles et ceux qui reprendraient le travail, et celles et ceux qui, ostensiblement, resteraient les bras croisés.


Le reste de la photo pousse dans ce sens. La jeune femme est le seul personnage immobile. Tout, dans son visage, indique le refus : son menton relevé (le refus de baisser la tête), sa lippe (le refus de la fermer).


Autour d’elle, on semble s’agiter dans tous les sens. Au premier plan, un homme, la cravate en bataille (nous l’appellerons : l’homme à la cravate), tord le cou pour regarder droite-cadre. La blancheur de sa chemise et la blancheur de la blouse de la jeune ouvrière qui claquent dans une image charbonneuse, comme si la saleté de l’usine avait contaminé la tireuse. Quand ai-je commencé à croire qu’elle criait, sur la photo ? Probablement après avoir vu le film.


C’était en 82 ou en 83. Je le guettais, dans les programmes de la Cinémathèque. Il passait de temps en temps. De tous les films tournés en 68, c’est probablement le plus connu. Le plus diffusé, d’une manière militante, dans les années 70. Le plus cité, sous forme d’extraits, dans les émissions commémoratives dont la télévision a le secret. Peut-être parce qu’à la différence des autres, de tous les autres, c’est un film presque sans montage (un plan d’ensemble, suivi d’un plan-séquence), sans commentaire, bref sans manipulation possible. Brut.


Donc, un jour, je l’ai vue. Et je l’ai entendue crier. Qu’elle ne mettrait plus les pieds dans cette taule. Cette voix, sa coiffure, tellement nouvelle vague. Et puis ce chef du personnel, blouse grise, coupe en brosse, le regard perçant derrière ses lunettes finement cerclées, appelant le personnel de chez Wonder à “rentrer tranquillement”. Un petit geste de la main qu’il a, au passage de chaque ouvrier, chaque ouvrière, comme pour les pousser dans la gueule de l’usine. Et les ouvriers, les ouvrières, qui rentrent, en baissant un peu la tête quand ils passent la petite porte d’entrée.
Voilà ce que j’ai vu.


Après, seulement après, j’ai vu le reste. Cette extraordinaire concentration, sur quelques mètres carrés de trottoir, de tous les personnages du petit théâtre de 68. La jeune ouvrière révoltée qui parle avec ses tripes, les militants de la CGT, qui appellent à la reprise, le jeune gauchiste de service, qui dit qu’“on n’a rien gagné”.


En 86 éclate le mouvement étudiant contre le projet de loi dit Devaquet. C’est la première grève étudiante à laquelle j’assiste de l’extérieur (il n’y a pratiquement eu aucun mouvement entre… 81 et 86). J’observe la chose avec beaucoup de curiosité. Je suis surtout frappé par les propos que tiennent les étudiants devant les caméras de FR3. Il y a comme une faille entre le discours des années 70, celui que j’ai connu et -­ bien modestement – pratiqué, dont le socle était, pour aller vite, d’essence “soixante-huitarde”, et ce discours-là.


Je me souviens encore d’un micro-trottoir réalisé juste après une dispersion policière, aux Invalides. Les étudiants y paraissaient stupéfaits de la violence des forces de l’ordre. Pour des gens de ma génération (chez les étudiants, les générations se succèdent vite), qui ont défilé des années sous le slogan “CRS = SS”, abusif certes, et franchement désobligeant à l’égard des policiers républicains membres de ces services, difficile de ne pas voir dans cette ingénuité comme une rupture. Une transmission qui ne se serait pas produite.


A ce moment-là, j’ai eu envie de montrer à ces étudiants les images de 68, cette Reprise du travail…, une autre forme de violence en somme, une violence des enjeux. L’idée de faire un court métrage là-dessus. Mais une fiction. Un docu eût été trop sentencieux, trop donneur de leçon. Je n’ai aucune légitimité pour donner des leçons à qui que ce soit.


J’ai commencé à penser un scénario avec un personnage à la Gegauff (comme Gegauff en a écrit quelques-uns pour Chabrol et d’autres) : un homme d’une quarantaine d’années essayait de séduire une étudiante de 20 ans, en faisant mine de s’intéresser à son mouvement, et de n’avoir pour souci que de lui prodiguer quelques conseils en agitation sociale. L’homme montrait à l’étudiante le film de 68. A la fin, la jeune fille prenait le dragueur à son propre piège, le transformait en pure icône révolutionnaire, et le confinait dans le Royaume des Idées, loin de l’Empire de la Chair.


Le mouvement s’est arrêté net, dans les circonstances tragiques que l’on sait (la mort de Malik Oussekine), et je n’ai jamais eu le temps de filmer in situ (au cœur des manifs) cette petite fiction. Misère du cinéma, incapable d’être synchrone avec l’événement. Persistance rétinienne aiguë, le film n’a jamais cessé pour autant de me hanter. Un jour -­ nous sommes maintenant en 91 -­, j’en parle à Dominique Païni. Il me pousse à écrire un projet de deux ou trois pages, qu’il me propose de passer aux Films d’Ici.


Plus question de finasser, de chercher je ne sais quelle fiction-alibi. Ce que je veux, au fond, c’est la retrouver. Qu’elle me dise, je ne sais pas, qu’elle n’a plus jamais connu, pour reprendre ses propres termes, “cette dégueulasserie-là”, qu’elle s’est inscrite en socio à Vincennes, ou qu’elle est partie en Ardèche faire du fromage de chèvre. Ou simplement que ça va beaucoup mieux depuis qu’elle est chez Duracell.


Lui redonner la parole. Parce qu’elle n’a eu droit qu’à une prise. Et que je lui en dois bien une deuxième. Sinon, de quel droit nous ­ je dis bien “nous”, “nous-cinéastes”, c’est bien d’une responsabilité collective qu’il s’agit ­ pourrions comme ça entrer dans la vie des gens, avec une caméra et un Nagra, les saisir, les fixer définitivement sur Celluloïd, les revoir, vingt, trente, quarante ans après, sans jamais leur donner un droit de réponse, ou plutôt un droit de suite ?


Reprise. Hervé Le Roux. Calmann-Lévy (1998)
«Ce septembre 1715.
Il me paroit que madame de Dangeau et vous vous trouvez souvent à l'église ; je crains que vous n'y alliez trop, car vous êtes une vieille caterrheuse ou catarrheuse qui devez éviter le froid. Du reste, c'est le plus aimable rendez-vous que vous puissiez prendre, et même le seul bon. Heureuse celle qui est dans une oratoire bien fermée ; mais j'ai trois cent pas à faire depuis ma chambre jusques à la grille pour communier, ce qui se fait sentir dans mes jours de foiblesses qui sont fréquents présentement me portant bien d'ailleurs.»


Souvenirs sur Madame de Maintenon : Madame de Maintenon à Saint-Cyr, dernières lettres à Madame de Caylus. Publiés par le Cte d'Haussonville et G. Hanotaux. Calmann-Levy éditeurs ([1904])

Synesthésie

Synesthésie : [...] phénomène d'association constante, chez le même sujet, d'impressions venant de domaines sensoriel différents. [...] En fait sous mescaline, un son de flûte donne une couleur bleu-vert, le bruit d'un métronome se traduit dans l'obscurité  par des taches grises. (Merleau-Ponty Phénoménologie de la perception 1945)

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (2018)

PBF 2018.13 : Tropismes et décalage

Mercredi 11 avril 2018 à 19H sur Radio-Radio (Toulouse 106.8 Mhz) et sur http://62.210.215.26:8000/xstream , nouvelle émission de la Petite Boutique Fantasque autour de Tropisme de Nathalie Sarraute

Programme musical : 
1. Libertango ( Astor Piazzola) par Adelaïde Ferriere
2. Recuerdos de Alhambra (Francisco Tarriga) par Xavier de Maistre
3. Embryons desséchés 1 (Erik Satie) par Aldo Ciccolini
4. L'Egyptienne (Jean-Philippe Rameau) par Adelaïde Ferriere
5. Embryons desséchés 2 (Erik Satie) par Aldo Ciccolini
6. Danse de travers : Passer (Erik Satie) par Sébastien Llinares
7. Embryons desséchés 3 (Erik Satie) par Aldo Ciccolini
8. A chantar m'er de so qu'eu no voldria (Beatriz de Dia) Montserrat Figueras et Hesperion XX dirigé par Jordi Savall.
9. Slow water (Brian Eno)

Pour ceux qui auraient piscine indienne, ou toute autre obligation, il y aura possibilité de rattrapage, un jour, avec les podcasts : http://www.radioradiotoulouse.net/#!baca