jeudi 31 décembre 2015

L'Éblouissement des prémisses (incipit 11)

«En boule sur un tabouret bas, dans un coin de cette énorme cuisine de grosses maison bourgeoise, le jeune  Adrien se tenait coi et sembler prêter l'oreille  à quelque chose qui se serait passé dans sa poitrine. Il était tout préoccupé, depuis une heure qu'il était là. Sa mère l'avait fait venir afin de le placer comme garçon de course et, malgré l'heure trop matinale, la pauvre femme commençait à s'inquiéter de l'attitude, à son avis peu convenable que son fils adoptait au moment même où il allait être présenté à ses patrons.
"Dieu qu'il est bourru ! pensait-elle en restant debout pour éviter toute surprise désagréable. Ce garçon n'arrivera jamais à rien."»

La Maison Thüringer. Panaït Istrati. Éditions Gallimard (1969).

La Princesse et le Godelureau

Belle histoire d'amour mi-réelle, mi rêvée...

samedi 26 décembre 2015

«[...], mais lorsqu'elle avait entre les mains un roman dont Diotime lui avait dit que c'était un grand chef-d’œuvre ( c'était ce qu'elle préférait lire), elle n'en comprenait naturellement le déroulement que comme on assiste de très loin, ou dans un pays étranger, à des événements animés ; elle était intéressée, empoignée même par un mouvement qui lui restait incompréhensible, où elle ne pouvait songer à intervenir, et c'était cela qu'elle aimait par-dessus tout.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)
«Quelle manière, pour éveiller l'appétit envers leur leçon, à ces tendres âmes, et craintives de les y guider d'une trogne effroyable, les mains armées de fouets ? Inique et pernicieuse forme. Joint ce que Quintilian en a très bien remarqué, que cette impérieuse autorité, tire des suites périlleuses : et nommément à notre façon de châtiment. Combien leurs classes seraient plus décemment jonchées de fleurs et de feuillées que de tronçons d'osiers sanglants ? J'y ferai portraire la joie, l'allégresse, et Flora, et les Grâces : comme fit en son école le philosophe Speusippus. Où est le profit, que là fût aussi leur ébat. On doit ensucrer les viandes salubres à l'enfant : et enfieller celles qui lui sont nuisibles. C'est merveille combien Platon se montre soigneux en ses lois, de la gaieté  et passetemps de la jeunesse en sa cité : et combien il s'arrête à leurs courses, jeux, chansons, sauts et danses : desquelles il dit, que l'antiquité a donné la conduite et le patronage aux Dieux mêmes, Apollon, aux Muses et Minerve. Pour les sciences lettrées, il s'y amuse fort peu : et semble ne recommander particulièrement la poésie, que pour la musique.»

Les Essais : De l'institution des enfants. Montaigne. Librairie Générale Française (2002)

lundi 21 décembre 2015

«Pour se nourrir à l'économie en Amérique, on peut aller s'acheter un petit pain chaud avec une saucisse dedans, c'est commode, ça se vend au coin des petites rues, pas cher  du tout. Manger dans le quartier des pauvres ne me gênait point certes, mais ne plus rencontrer jamais ces belles créatures pour les riches, voilà qui devenait bien pénible. Ça ne vaut alors même plus la peine de bouffer.»

Voyage au bout de la nuitLouis-Ferdinand Céline. Éditions Gallimard (1952)

Souvenirs des Talens réunis (2)


Prune Linon et Jeanne Tympa interprétant à deux voix les aventures de la fugue des sœurs Mancini - Marie, femme du Connétable de Naples et Hortense, duchesse de Mazarin- fuyant Rome pour se réfugier en France.

dimanche 20 décembre 2015

«Cela fit ressouvenir Ulrich d'une idée fort douteuse à laquelle il avait cru longtemps et qu'il n'avait pas encore pu extirper de son cerveau : que seul un sénat d'hommes évolués, doués de vastes connaissances, pouvait gouverner le monde. Il est très naturel de penser que l'homme qui, malade, se confie aux soins de médecins spécialisés, plutôt qu'à des bergers, n'a aucune raison, lorsqu'il est en bonne santé, de se faire traiter par des bavards beaucoup moins qualifiés que des bergers, comme c'est le cas dans ses affaires publiques ; c'est pourquoi les jeunes gens, qui s'attachent à l'essentiel, commencent par juger secondaire tout ce qui, dans le monde, n'est ni beau, ni vrai, ni bon, par exemple le ministère des Finances ou, justement, un débat parlementaire. Du moins étaient-ils tels autrefois : aujourd’hui, grâce à l'éducation politique et économique, ils doivent avoir changé.  Mais, alors déjà, quand on avait pris de l'âge et fréquenté assez longtemps ces fumoirs de l'esprit où le monde fume le jambon des affaires, on apprenait à s’accommoder de la réalité.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)
«A quoi je répondis : "Je ne sais. Car dans cette guerre d'usure, où l'on jugeait avoir vaincu utilement si, au prix de mille soldats vigoureux on tuait deux mille ennemis de même valeur, vous aviez, vous, l'armée des civils, une situation favorable ; pour détruire un ennemi vigoureux et propre à la guerre, vous n'aviez qu'à sacrifier qu'un Français inutile. Et l'expérience a fait voir qu'un civil énergique peut livrer de meilleures batailles. Car Albéric Magnard, par exemple, tirant de sa fenêtre jusqu'à l'épuisement de ses munitions, a certainement gagné la guerre pour son compte, détruisant au prix de sa vie, qui avait une valeur militaire nulle, trois ou quatre jeunes combattants, peut être."»

Mars ou la guerre jugée. Alain. Éditions Gallimard (1936)

samedi 19 décembre 2015

Listes de noël 2015


A swedish love story (Les Petites Amoureuses)




S'il est indispensable de voir un film de cette semaine, voici une proposition pour plus tard :

«"Attends, il me dit, le vieux, je vais te montrer une chose étonnante, parce que ça, tu l'as encore jamais vu. Tu vois une goutte d'eau, pure comme une larme, et bien, regarde tout ce qu'il y a dedans, et tu verras que les mécaniciens, bientôt, ils auront percé tous les mystères de Dieu, et nous, toi et moi, ils nous en laisseront plus un seul", c'est ce qu'il m'a dit, je m'en souviens.»

L'AdolescentFédor Dostoïevski. Actes Sud (1998)
«Bien qu'il cédât à l'assoupissement, il sentit que la petite l'enjambait pour s'étendre à ses côtés - et par la suite, il eut la vague impression qu'Emma, ou quelqu'un d'autre, pliait sans relâche une étoffe brillante, la prenait par les coins, la croisait, la lustrait du plat de la main, y ajoutait encore des plis  et à un certain moment il se réveilla au cri perçant d'Emma que Rodion charriait hors de sa cellule.»

Invitation au suppliceVladimir Nabokov. Éditions Gallimard (1960)

jeudi 17 décembre 2015

«La question du luxe a mis aux prises deux écoles de morale également extrêmes qui, sous des noms divers, semblent s'être disputé de tout temps l'humanité. L'une est la morale rigoriste : elle voit d'un œil sévère et inquiet les développements de l'industrie ; elle flétrit du nom de décadence ce que la masse humaine qualifie du nom de progrès. L'autre traite le vice avec indulgence, quelquefois avec faveur ; elle ne craint pas de faire reposer la prospérité sociale sur l'extension illimitée des désirs et des fantaisies. L'une de ces écoles dit à l'humanité : "Tu péris, si tu marches !" L'autre la menace de languir et de s'éteindre si elle reconnait qu'une limite quelconque puisse être assignée au mouvement qui l'entraîne. Tous deux lui enjoignent de faire son choix entre la morale et la civilisation.»

L'Instinct du luxe. Henri Baudrillart. Hachette (1878)

dimanche 13 décembre 2015

Réminiscence personnelle (13)

«[...] ; il est vrai que je n'ai cessé de pérorer à tort et à travers sans craindre d'entrer à mon sujet dans des détails oiseux qui n'intéressaient que moi-même, il est vrai que j'ai cherché maintes fois par instinct de comédien à me faire passer pour ce que je ne suis pas, à me prêter des sentiments que je n'ai jamais eu l'occasion d'éprouver ou encore à m'attribuer des actions que j'étais bien incapable d'accomplir pour donner de la saveur à une vie qui n'en avait aucune ;

Oeuvres complètes : Le BavardLouis-René des Forêts. Quarto Gallimard (2015)

samedi 12 décembre 2015

Souvenirs des Talens réunis (1)

Chapeau bas l'artiste ! Sans toi, mon ami, il n' y aurait pas eu de Talens réunis
«L'esprit est donc l'opportuniste par excellence, mais on ne peut le saisir nulle part, et l'on serait tenté de croire qu'il ne demeure de son action que décadence. Tout progrès constitue un gain de détail, mais une coupure dans l'ensemble ; c'est un accroissement de puissance qui débouche dans un progressif accroissement d'impuissance, et c'est une chose à quoi l'on ne peut rien.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)
«Il en était de ces enfants comme des pluies, des fruits, des inondations. Ils arrivaient chaque année, par marée régulière, ou si l'on veut, par récolte ou par floraison. Chaque femme de la plaine, tant qu'elle était assez jeune pour être désirée par son mari, avait son enfant chaque année. A la saison sèche, lorsque les travaux des rizières se relâchaient, les hommes pensaient davantage à l'amour et les femmes étaient prises naturellement à cette saison-là. Et dans les mois suivants les ventres grossissaient. Ainsi, outre ceux qui en étaient déjà sortis il y avait ceux qui étaient encore dans le ventre des femmes. Cela continuait régulièrement, à un rythme végétal, comme si d'une longue et profonde respiration, chaque année, le ventre de chaque femme se gonflait d'un enfant, le rejetait, pour ensuite reprendre souffle d'un autre.»

Un Barrage contre le Pacifique. Marguerite Duras. Gallimard (1950)
«Je possède Laïs, mais je n'en suis pas possédé, et j'ajoute que s'il est beau de vaincre ses passions, et de ne pas se laisser dominer par elles, il n'est pas bon de les éteindre tout à fait.»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Aristippe. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

dimanche 6 décembre 2015

«Dans son adolescence à tous égards irrésolue et endolorie, Ada amoureuse  était encore plus agressive et accorte que dans son enfance passionnée déjà jusqu'à l'anomalie. Compulsateur assidu des cas célèbres, le Dr Van Veen ne parvint jamais à ranger Ada, ardente fillette de douze ans, sous la même rubrique qu'aucune des petites anglaises spirituellement heureuses, non délinquantes, non nymphomanes et d'un niveau mental excellent, qui figuraient sur ses fiches (quoiqu'un grand nombre de petites filles de la même veine eussent fleuri - et monté en graine - dans les vieux châteaux de France et d'Estotilande, comme nous l'enseignent tant d'écrits romanesques extravagants et de mémoires séniles)

Ada ou l'ardeurVladimir Nabokov. Librairie Arthème Fayard (1975)

mardi 1 décembre 2015

Quelques Éléments de la Société du Spectacle (10)

152

«Dans son secteur le plus avancé, le capitalisme concentré s'oriente vers la vente de blocs de temps "tout équipés", chacun d'eux constituant une seule marchandise unifiée, qui a intégré un certain nombre de marchandises diverses. C'est ainsi que peut apparaître dans l'économie en expansion des "services" et des loisirs, la formule du paiement calculé "tout compris", pour l'habitat spectaculaire, les pseudo-déplacements collectifs des vacances, l'abonnement à la consommation culturelle, et la vente de la sociabilité elle-même en "conversations passionnantes" et "rencontres de personnalités". Cette sorte de marchandise spectaculaire, qui ne peut évidemment avoir cours qu'en fonction de la pénurie accrue des réalités correspondantes, figure aussi bien évidemment parmi les articles-pilotes de la modernisation des ventes, en étant payable à crédit.»

La Société du spectacle. Guy Debord. Éditions Gallimard (1992)


dimanche 29 novembre 2015

Liste des émissions des Muses galantes (2)

Émissions produites et diffusées probablement en 2003-2004. Rosain de Bouffan a abandonné pour raisons personnelles les Muses galantes à cette époque-là, d'abord pour Putzi, puis définitivement. Avec son absence la proportion de lectures va augmenter, et les entretiens auront moins comme sujet la musique au profit de la peinture, la sculpture... 
Il faut noter les premières émissions thématiques sur un musicien français baroque : Jean-Baptiste Lully en s'aidant de  sa biographie chez Fayard par Jérôme de La Gorce. Puis suivra Marc-Antoine Charpentier à partir de sa biographie par Catherine Cessac. Les Muses galantes prennent de l'assurance avec leur appel à texte pour des contes de Noël au XVIIe siècle alors que Noël n'est pas encore fêté. Ah l'enjeu était grand !  Les émissions autour de Médée seront aussi un grand moment avec la découverte d'un nouveau public qui adhère à cette recherche radiophonique sur des thèmes universaux.
«L'invasion de la Philosophie dans la République des Lettres en France, est une Époque mémorable par la Révolution qu'elle a opéré dans les Esprits. Tout le monde en connoît aujourd'hui les suites & les effets. L'Auteur des Lettres Persannes & celui des Lettres Philosophiques, en avaient jetté le germe ; mais trois sortes d’Écrivains ont surtout contribué à le développer. D'abord les Encyclopédistes, en perfectionnant la Métaphysique, en y portant la clarté, moyen le plus propre à dissiper les ténèbres dont la Théologie l'avoit enveloppée, ont détruit le Fanatisme & la Superstition. A ceux-ci ont succédé les Économistes : s'occupant essentiellement de la Morale & de la Politique Pratique, ils ont cherché à rendre les Peuples plus heureux, en resserrant les liens de la Société par une communication de services & d'échanges mieux entendus, en appliquant l'homme à l'étude de la Nature, mere des vraies jouissances. Enfin des tems de trouble & d'oppression ont enfanté les Patriotes, qui, remontant à la sources des Loix & de la constitution des Gouvernemens, ont démontré les obligations réciproques des Sujets & des Souverains, ont approfondi l'histoire et ses monumens, & ont fixé les grands principes de l'Administration. Cette foule de Philosophes qui se sont placés comme à la tête des diverses parties de la Littérature, a principalement paru après la Destruction des Jésuites ; véritable point où la Révolution a éclaté.»

 Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la République des Lettres en France depuis MDCCLXII jusqu nos jours ou Journal d'un observateur Contenant les analyses des pièces de théâtre qui ont paru durant cet intervalle ; les relations des assemblées littéraires ; les notices des livres nouveaux, clandestins, prohibés ; les pièces fugitives, rares ou manuscrites, en prose ou en vers ; les vaudevilles sur la Cour ; les anecdotes et bons mots ; les éloges des savants, des artistes, des hommes de lettres morts, &c., &c., &c. John Adamson (1780)
«Jadis, l'on avait meilleure conscience à être une personne qu'aujourd'hui. Les hommes étaient semblables à des épis dans un champ ; ils étaient probablement plus violemment secoués qu'aujourd'hui par Dieu, la grêle, l'incendie, la peste et la guerre ; mais c'était dans l'ensemble, municipalement, nationalement, c'était en tant que champ, et ce qui restait à l'épi isolé de mouvements personnels était quelque chose de clairement défini dont on pouvait aisément prendre la responsabilité. De nos jours, au contraire le centre de gravité de la responsabilité n'est plus en l'homme, mais dans les rapports des choses entre elles. N'a-t-on pas remarqué que les expériences vécues se sont détachées de l'homme ? Elles sont passées sur la scène, dans les livres, dans les rapports des laboratoires et des expéditions scientifiques, dans les communautés, religieuses ou autres, qui développent certaines formes d'expérience aux dépens des autres comme dans une expérimentation sociale.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)

samedi 28 novembre 2015

«Je ne prétends pas que l'homme instruit ressente les choses plus vivement, plus douloureusement du fait qu'il est plus développé. L'âme et son développement ne se mesurent pas d'après des données fixes. L'instruction même, en ce cas-là, ne saurait servir de mesure. Je suis le premier à reconnaître que parmi les gens les moins instruits, les plus abjects, les plus misérables, j'ai rencontré les traits du plus parfait développement moral. Ainsi au bagne, j'ai connu les mêmes hommes pendant plusieurs années, je les ai méprisés d'abord, ne voyant en eux que des bêtes fauves. Et tout à coup, au moment le plus inattendu, leur âme s'épanchait involontairement au-dehors. Elle révélait une telle richesse de sentiments, tant de cordialité, une si claire compréhension de sa propre souffrance et celle d'autrui, qu'au premier mouvement je n'en croyais ni mes yeux ni mes oreilles. Le contraire a lieu aussi : l'homme cultivé dévoile quelquefois une barbarie et un cynisme à vous donner la nausée, et quelque indulgent, quelque prévenu que l'on soit, on ne saurait lui trouver ni justification ni excuse.»

Souvenirs de la maison des mortsDostoïevski. Éditions Gallimard (1950)

Crise de la cinquantaine

«Voilà un homme qui, selon la vraisemblance, a éprouvé en lui-même l'élan du courage et le mépris des petits intérêts, cette poésie enfin qui rend la vie belle. Il a changé et il croit que ce sont les hommes qui ont changé. "Il n'y a plus de foi", c'est le mot de la cinquantaine, si elle n'est pas soutenue, par des principes fermes, contre la nature défaillante. De quoi le naïf accuse les mœurs, les lois, les romans, les journaux, tout excepté lui-même. Il ne manque pourtant jamais de héros en aucun temps, contre le feu ou contre l'eau ; ni d'enthousiasmes pour la justice. Mais cet œil fatigué voit les choses en grisaille. D'où vient que les hommes d'expérience arrivent presque toujours à cette doctrine courte, d'après laquelle l'homme n'agit jamais qu'en vue de sa propre conservation. Cette brillante perspective, au bout de laquelle se montre la mort inévitable, conduit à des rêveries peu agréables qui réagissent fâcheusement sur un estomac déjà fatigué. Tous les dangers sont grossis, surtout ceux contre lesquels le courage des jeunes peut seul quelque chose. La race est usée ; la France est vieille ; déjà ils voient l'ennemi dans la capitale. J'ai entendu plus d'une déclamation de ce genre, et j'admirais comme les poltrons sont redoutables ; car la jeunesse doit être retenue, non fouettée, et rafraîchie, non échauffée. Ces vieillards jouent avec le feu.»

Mars ou la guerre jugée. Alain. Éditions Gallimard (1936)

vendredi 27 novembre 2015

«La morale ou la science  des mœurs, est l'art de régler son cœur par la vertu, et de se rendre heureux en bien vivant.
Cette science que les anciens ont appelée du nom de sagesse, et que quelqu'un d'entre eux se vante d'avoir fait descendre du ciel en terre, n'a pas toujours été traitée ni avec la même méthode, ni avec le même succès. Car il semble qu'elle ait pris la teinture des différents préjugés des hommes que chaque temps a fait naître, et des divers états par lesquels leur esprit a passé.»

L'art de se connaître soi-même ou la recherche des sources de la morale. Jacques Abbadie. Société des livres religieux (1865)
«Jeunes beautés, vous à qui la nature
A prodigué mille attraits séduisans,
Pourquoi du fard d'une vaine imposture
Vouloir flétrir ses plus riche présens ?
Or et bijoux ne valent pas quinze ans.

Que l'éclat seul des fleurs fraîches écloses
Prête son charme à vos appas naissans :
Ne voit-on pas que les lis et les roses
Sont la parure et l'honneur du printems ?
Or et bijoux ne valent pas quinze ans.

Quand de vos traits la fraîcheur passagère
S'envolera sur les ailes du tems,
A la toilette empruntez l'art de plaire ;
Mais jusque-là, fuyez ses faux brillans :
Or et bijoux ne valent pas quinze ans.»

Chansons et poésies diverses. Marc-Antoine Désaugiers. Ladvocat (1827)

samedi 21 novembre 2015

Réminiscence personnelle (12)

«Toujours j'avais redouté d'être à peu près vide, de n'avoir en somme aucune sérieuse raison pour exister. A présent j'étais devant les faits bien assuré de mon néant individuel. Dans ce milieu trop différent de celui où j'avais de mesquines habitudes, je m'étais à l'instant comme dissous. Je me sentais bien de ne plus exister, tout simplement. Ainsi, je le découvrais, dès qu'on avait cessé de me parler des choses familières, plus rien ne m'empêchait de sombrer dans une sorte d’irrésistible ennui, dans une manière de doucereuse, d'effroyable catastrophe d'âme. Une dégoûtation.»

Voyage au bout de la nuitLouis-Ferdinand Céline. Éditions Gallimard (1952)
«Denys lui demandait un jour pourquoi les philosophes hantaient les maisons des riches et pourquoi les riches ne hantaient pas celles des philosophes : " C'est lui dit-il, que les premiers savent ce qui leur manque, et que les autres l'ignorent." [...] On lui demandait la différence entre les gens savants et les ignorants : " La même qu'entre un cheval dompté et un cheval qu'il ne l'est pas."»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Aristippe. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

jeudi 19 novembre 2015

Bibliothèque imaginaire (3)



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E317 ##$aAncienne collection Frix Taillade, acquise en 1906.
E702 #1$3068726198$4390

Colin ce matin

Ah maman, que je l'échappe belle !
Colin ce matin,
S'était glissé dans ma ruelle :
Ah maman, que je l'échappe belle !
Qu'on a de raison
De se défier d'un garçon !

Il s'approche de moi sans rien dire ;
Le fripon soudain
Me prend la main ;
Je la retire ;
Il sourit, je le gronde, il soupire.
Mais en soupirant
Dieu ! qu'il avait l'air séduisant !

Ah maman, que je l'échappe belle !
Colin ce matin,
S'était glissé dans ma ruelle :
Ah maman, que je l'échappe belle !
Qu'on a de raison
De se défier d'un garçon !

Il poursuit, je m'étonne, il m'embrasse ;
Un prudent effort,
De son transport
Me débarrasse :
Mais, voyant redoubler son audace,
J'avais du regret de n'avoir pas mis de corset.

Ah maman, que je l'échappe belle !
Colin ce matin,
S'était glissé dans ma ruelle :
Ah maman, que je l'échappe belle !
Qu'on a de raison
De se défier d'un garçon !

Malgré moi, mon sein frappe sa vue
Je le couvre en vain ;
Il va plus loin,
J'en suis émue ;
Les deux mains, quand on est presque nue,
Ne suffisent pas
Pour voiler ce qu'on a d'appas.

Ah maman, que je l'échappe belle !
Colin ce matin,
S'était glissé dans ma ruelle :
Ah maman, que je l'échappe belle !
Qu'on a de raison
De se défier d'un garçon !

En tremblant je recule, il s'avance ;
Le traître à l'instant,
D'un air content,
Sur moi s'élance.
Son ardeur forçait ma résistance ;
Mais le suborneur
S'enfuit, voyant entrer ma sœur.

Ah maman, que je l'échappe belle !
Colin ce matin,
S'était glissé dans ma ruelle :
Ah maman, que je l'échappe belle !
Qu'on a de raison
De se défier d'un garçon !

Attribué à Vadé

Les Chansons d'autrefois : vieux chants populaires de nos pères. Charles Malo. Jules Laisné (1861)

Indulgences

«Ceux qui contractent mariage, étant parens au quatrième degré sont taxés à sept Tournois, un Ducat de chambre, & six Carlins.
Le quatrième degré s'entend selon les Canonistes des enfans des remués de germains. Sur quoi voyez la remarque suivante.
Ceux qui sachant l'empêchement de ce degré de consanguinité vivent dans un commerce impur, sont taxés à 16. Tour. 4. Duc.
Le dernier Concile de Trente au 4 article de la Reformation du mariage n'étend la proximité qui se fait par des femmes débauchées qu'au premier & second degré ; prenant les degrés au sens des Canonistes.
Pour legitimer les enfants naturels qui naîtront des parens au quatrième degré, la taxe en est rêglée à 9.tourn. I. Ducat. 10. Carlins.
On voit ici clairement l'orgueil des Papes, qui ne perdent pas une seule occasion de s'élever au dessus des Princes et des Rois, Moyennant la taxe dont nous venons de parler, les bâtards legitimez par leurs mains sont receus à tous les honneurs, & à tous les degrez de dignité dans l'Eglise, au lieu que les enfans naturels des Rois & des Empereurs, quoi qu'ils ayent été legitimez par leurs peres, ne peuvent pretendre qu'aux honneurs civils, & sont exclus des dignitez ecclesiastiques, s'ils n'ont été légitimez par l'autorité du Pape. C'est là un des Caractères de l'Antechrist, de s'élever au dessus de tout ce qui se nomme Dieu, c'est à dire des Rois qui sont nommez Dieux dans l'Ecriture.»

Taxe de la chancellerie romaine et la banque du pape où l'absolution des crimes les plus énormes se donne pour de l'argent
. Ouvrage qui fait voir l'ambition et l'avarice des Papes. Antoine Du Pinet. [s. n.] (1701)

dimanche 15 novembre 2015

«Souviens-toi donc de ceci : si tu crois soumis à ta volonté ce qui est, par nature, esclave d'autrui, si tu crois que dépende de toi ce qui dépend d'un autre, tu te sentiras entravé, tu gémiras, tu auras l'âme inquiète, tu t'en prendras aux dieux et aux hommes. Mais si tu penses que seul dépend de toi ce qui dépend de toi, que dépend d'autrui ce qui ce qui réellement dépend d'autrui, tu ne te sentiras jamais contraint à agir, jamais entravé dans ton action, tu ne t'en prendras à personne, tu n'accuseras personne, tu ne feras aucun acte qui ne soit volontaire ; nul ne pourra te léser, nul ne sera ton ennemi, car aucun malheur ne peut t'atteindre.»

Manuel. Epictète. Hatier (2011)

Réminiscence personnelle (11)

«Et maintenant autour de ce chœur enfantin venaient graviter des souvenirs échelonnés sur diverses périodes de ma jeunesse, mais de contenus à peu près identiques et ayant pour cadre commun la chapelle de ce collège breton où débordant d'une ardeur violente, ressentant cruellement l'injustice de la contrainte, j'entretenais à longueur de journées mon orgueil et ma haine.»

Oeuvres complètes : Le BavardLouis-René des Forêts. Quarto Gallimard (2015)

mercredi 11 novembre 2015

«Le fatalisme est au fond des passions tragiques ; il y trouve sa force et ses preuves et comme une farouche satisfaction. On a assez dit que le tragique résulte de la fatalité agissant sur l'homme. Le spectacle le plus émouvant est celui d'un homme qui aperçoit un destin terrible et qui s'y jette comme dans un gouffre. Toutes les passions portent ce caractère ; ce ne sont point des accidents ni des surprises ; le passionné voit son destin, le craint, et en même temps le veut ; c'est là sa victoire sur ce qu'il ne peut empêcher. C'est ainsi que l'on tombe dans l'amour coupable, et jusqu'à appeler le châtiment, la faute n'étant qu'un chemin vers l'expiation.»

Mars ou la guerre jugée. Alain. Éditions Gallimard (1936)
«Je voulais dire que les simples ont moins d'hostilité et de méfiance envers les praticiens qu'envers l'administration médicale. En voyant les médecins à l’œuvre, ils perdent la plupart de leurs préjugés. Dans beaucoup de détails, l'administration de nos hôpitaux n'est pas en harmonie avec l'esprit de notre peuple, elle va plutôt à l'encontre de ses habitudes et ne saurait gagner ni sa confiance ni son estime. C'est du moins ce qui semble ressortir de mes observations particulières.»

Souvenirs de la maison des mortsDostoïevski. Éditions Gallimard (1950)

Texte des Petites Amoureuses (4)

«Le coeur de l'enfant sombrait dans un cataclysme de miel. Il se retint à la jeune fille. Dès qu'il eut fermé les bras, il reconnut la taille ronde, souple et flexible, l'émouvante pression des seins, le creusement du ventre, chaleureux comme un appel ; il reconnut l'odeur de sainfoin sombre de ses cheveux. Il n'était pas sûr de les avoir sentis ou vus, mais il les reconnaissait : Bérénice était son amie. Bérénice était femme.»

Mano l'archangeJacques Serguine. Editions Gallimard (1962)

lundi 9 novembre 2015



«La dispute des images estant l'un des plus notables differents, qui divisent aujourd'huy la Chrestienté, je me suis mis à recercher avec soin, quelle peut avoir esté la créance de l'Eglise ancienne sur ce sujet, non pour so[n]der ma foy, qui est graces à Dieu suffisamment edifiée sur les Escritures, où ne trouvant le service des images ni commandé, ni loué, ni pratiqué par les Saincts, j'estime qu'il n'y a point d'autorité au monde qui m'oblige à le croire, mais pour voir s'il est bien vray, que l'Eglise de Jesus Christ ait eu durantze les premiers siècles la mesme opinion sur cet article, qu'en ont maintenant ceux de la communion de l'Evesque de Rome.» 

Defense du sermon de Mr Hesperien, sur S. Jean, ch. 4 v. 22. ou Reponse a un ecrit intitulé, Eclaircissement de la doctrine de l'eglise, touchant le culte des Saints, &c. : Dans laquelle sont réfutez tous les adoucissemens dont l'on se sert aujourd'huy, sur le culte religieux que l'Eglise Romaine rend aux saints, aux reliques, & aux images. André Lortie. Isaac & Henru Desbordes (1675)

vendredi 6 novembre 2015

Liste des émissions des Muses galantes (1)

Émissions produites et diffusées probablement en 2002-2003. Toutes ces émissions ont été pensées et écrites par le tandem initial Rosain de Bouffan et Aimable Lubin. Les émissions sur Lambaréné ont été inspirées par Azélia (ONPC). Les émissions enregistrées par Rosain de Bouffan avec Jean-Christophe Maillard et sa musette ont été rediffusées à sa mort en juillet 2015. La poésie baroque est un projet collaboratif qui a mobilisé toutes les voix disponibles de Radio Radio (Toulouse 89.1 à l'époque), animateurs et salariés. A noter, enfin, les premières EGM (Emission Génétiquement Modifiée) avec Stéphane Jammes de Bloc-Secret.

«Toute la journée, il fut en proie à des bourdonnements d'oreille ; se serrant les mains à les briser, se disant bonjour à lui-même, il marchait en rond autour de la table où la lettre non expédiée faisait une tache blanche ; et entre-temps, il se représentait mentalement le regard de sa visiteuse de la veille, si bref, mais qui vous coupait le souffle, - comme une pause dans cette vie ! ou bien il entendait dans son for intérieur le froufrou de la petite Emma.»

Invitation au suppliceVladimir Nabokov. Éditions Gallimard (1960)
«Lorsque le mot d'Ulrich arriva, Walter et Clarisse jouaient de nouveau avec tant de violence que les meubles " Arts déco" dansaient sur leurs jambes grêles et que les gravures de Dante-Gabriel Rossetti tremblaient aux murs. Le vieux commissionnaire qui avait trouvé la maison et l'appartement ouverts et était entré sans voir personne reçut tonnerre et éclairs en pleine figure quand il pénétra dans la chambre ; le vacarme sacré où il était tombé le colla respectueusement au mur. Ce fut Clarisse qui, finalement, de deux puissants accords, soulagea la tension musicale qui continuait à croître, et le délivra. Tandis qu'elle lisait le message, l'effusion interrompue continuait à s'arracher douloureusement aux mains de Walter ; une mélodie s'enfuit, claudiquant comme une cigogne, puis étendit ses ailes. Clarisse observait cela avec méfiance tout en déchiffrant le mot d'Ulrich.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)

«Que s'était-il passé entre le 17 mars et le 17 septembre 1808 : entre le décret d'institution de l'Université de France et celui qui, pour la première fois, nomme la Faculté de théologie protestante de Montauban ? Un voyage de Napoléon dans la vieille cité du Quercy, comprise alors dans le département du Lot. Le maître des destinées de la France fut frappé de la beauté du site de cette ville que la réforme avait rendue florissante dans son temps et qu'un siège héroïque avait rendue illustre.Il en fit le chef-lieu d'un nouveau département, le Tarn-et-Garonne qu'un coup de compas forma aux dépens de départements contigus.»

Les Origines de la faculté de théologie protestante de Montauban : étude historique. Charles-Louis Frossard. Grassart (1882)

mercredi 4 novembre 2015

«Il aimait à dire qu'un homme qui a bien faim n'examine pas la sauce, que celui qui a bien soif n'attend pas qu'on lui apporte à boire et que celui qui sait se passer du superflu est le plus proche des dieux.»
 
Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Socrate. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

lundi 2 novembre 2015

Résonances contemporaines (17)

«[XL] Les filles dès l'âge de quatorze ans, sont pour les hommes des "dames" ; voyant alors qu'elles n'ont d'autre rôle que de coucher avec les hommes, elles commencent à se parer, à mettre tous les espoirs dans la parure. Il est donc juste de leur faire comprendre que seule leur vaudra le respect une tenue modeste et réservée.»

Manuel. Épictète. Hatier (2011)

dimanche 1 novembre 2015

«Comme tous les hommes dont l'imagination n'est pas hantée par l'érotisme, Tuzzi, célibataire, avait été (encore qu'il se fût montré ici ou là, dans la société de ses amis, avec des petites danseuses destinées à soutenir sa réputation diplomatique) un paisible habitué des bordels, et il reporta dans le mariage le rythme régulier de cette habitude. Ainsi Diotime apprit-elle à connaître l'amour comme un orage violent, brusque et spasmodique qu'une puissance plus grande que la sienne déchaînait une fois la semaine. Cette altération de deux êtres commençant à l'improviste et se transformant quelques minutes plus tard en une brève conversation sur les incidents de la journée restés en compte, puis en un profond sommeil, ce quelque chose dont on ne parlait jamais dans les intervalles, sinon tout au plus par allusions et insinuations ( par exemple en faisant une plaisanterie diplomatique sur la "patrie honteuse" du corps), eut néanmoins pour Diotime des conséquences inattendues et contradictoires.»  

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)



Quelques Éléments de la Société du Spectacle (9)

189
«Le mouvement ouvrier révolutionnaire, entre les deux guerres, fut anéanti par l'action conjuguée de la bureaucratie stalinienne et du totalitarisme fasciste, qui avait emprunté sa forme d'organisation  au parti totalitaire expérimenté en Russie. Le fascisme a été une défense extrémiste de l'économie bourgeoise menacée par la crise et la subversion prolétarienne, l'état de siège dans la société capitaliste, par lequel cette société se sauve, et se  donne une première rationalisation d'urgence en faisant intervenir massivement l’État dans sa gestion.» 

La Société du spectacle. Guy Debord. Éditions Gallimard (1992)

jeudi 29 octobre 2015

«Mais quoi ! les Sciences sont-elles donc inutiles ? Ou, si elles sont utiles, d'où vient que les Hommes, attachez comme ils sont à leur intérêt, les regardent avec tant d'indifférence ? Certainement si les Connoissances, dont les Hommes sont capables, ne servoient de rien, ou si elles étoient de peu d'usage ; je ne trouverois pas étrange, qu'on eût que peu ou point d'empressement à les acquérir.»

Discours sur l'utilité des lettres et des sciences par rapport au bien de l'État, prononcé aux promotions publiques du Collège de Lausanne, le 2 de mai 1714. Jean Barbeyrac. Pierre Humbert (1715)

lundi 26 octobre 2015

«Certaines affections nerveuses ont également été diminuées par l'influence salutaire de la vaccine. Quelques épileptiques, au rapport de M. Isabeau, ont eu l'avantage de voir suspendre ou retarder leur accès d'une manière remarquable après l'effet d'une vaccination régulière. Un enfant de deux ans, atteint de la danse de Saint-Gui, fut vacciné par M. Rack, qui lui fit douze piqures le long de la colonne vertébrale. Pendant la suppuration des boutons, la traction des jambes et les mouvements désordonnés des bras avaient sensiblement diminué ; mais à peine la dessication des boutons eut-elle lieu, que les symptômes de la chorée reparurent avec la même intensité. Il est difficile de ne pas admettre, dans ce cas, une influence bien immédiate de la vaccine sur la maladie principale qui reprend son premier caractère quand l'action qui l'avait momentanément enchaînée, vient à s'éteindre.»

Rapport du Comité central de vaccine sur les vaccinations pratiquées en France pendant l'année 1816. Imprimerie royale (1818)

dimanche 25 octobre 2015

«- C'est ce que me dis toujours Mondoux.
Thérèse demanda : " Qui est Mondoux ? Mais elle savait d'avance qui était Mondoux : le type prodigieux que connaissent toujours les garçons de cet âge, l'ami qui a tout lu, qui peut déchiffrer n'importe quelle partition, qui a une mystique ; la merveille qu'ils sont impatients de vous présenter et que d'avance la femme déteste. "Vous verrez, il ne se livre pas tout de suite, mais s'il est bien disposé..." Presque toujours, il s'agit d'un personnage remarquable par ses boutons et par sa pomme d'Adam, fou de timidité, d'orgueil et de jalousie. L'influence de Mondoux est toujours redoutable...»

La Fin de la nuit. François Mauriac. Éditions Bernard Grasset (1935)
«L'âme fataliste, ou si l'on veut prophétique, comme parle Hegel, est aux écoutes ; elle cherche des signes, elle les appelle ; elle va au-devant des signes, elle les fait surgir par incantation. D'un côté elle méprise, elle écarte, elle fait taire par violence tout ce qui n'est pas signe ; et le simple bonheur lui est par là  plus directement odieux qu'aucune autre chose. De l'autre, elle s'entraîne elle-même vers l'état sibyllin, déclamant à elle-même et aux autres.»

Mars ou la guerre jugée. Alain. Éditions Gallimard (1936)

vendredi 23 octobre 2015

Réminiscence personnelle (10)

«Enfin il y avait encore deux accordéons. Ma parole, je n'avais jusqu'alors aucune idée du parti qu'on pouvait tirer de ce grossier instrument populaire ; l'harmonie des sons, le jeu, surtout l'expression, la compréhension, le rendu parfait des motifs, étaient véritablement extraordinaires. C'est là que je compris pour la première fois quel abandon infini, quel amour du risque recèlent les airs de danse si entraînants de la Russie.»

Souvenirs de la maison des mortsDostoïevski. Editions Gallimard (1950)

jeudi 22 octobre 2015

Les rondes



Je n'ai pas fait de rondes
Pas joué au cerceau
Moi je suis de ce monde
Où l'on se fout à l'eau

A la fin de l'année
On m'oubliait souvent
Et j'avais tout le temps
De recompter les têtes,
Dans la cour des vacances
Je jouais à la marelle
Je régnais en silence
Et j'étais la plus belle

Je n'ai pas fait de rondes
Pas joué au cerceau
Moi je suis de ce monde
Où l'on se fout à l'eau

J'inventais des navires
Qui venaient me chercher
Et l'on courrait me dire
Que j'allais m'en aller,
On coulait au grand large
Le parc et le préau
Au creux de chaque vague
On larguait les barreaux

Je n'ai pas fait de rondes
Pas joué au cerceau
Moi je suis de ce monde
Où l'on se fout à l'eau

Et sonne une heure encore,
Mon bateau s'est noyé
Il n'y a pas de port
Et l'amarre est cassée,
Racontez-moi les rondes
Les marelles, les cerceaux

Moi j'étais de ce monde
Où l'on se fout à l'eau.

Paroles : Gribouille. Musique : Jean-Claude Annoux
«Vivre avec les hommes comme avec des ennemis dont on se défie, être sans cesse occupé à saisir sur eux jusqu'aux plus légers avantages, censurer avec aigreur ou avec emportement leurs foiblesses & leurs imprudences, ne pouvant leur pardonner de valoir quelquefois mieux que nous, & repousser, si j'ose dire, leur supériorité comme une tyrannie, n'est-ce pas acheter leur haine par l'injustice ?»

Considérations sur le génie et les mœurs de ce siècle
. Jean Soubeyran de Scopon. Durand (1750)
«Et faut noter premierement ce que l'Apostre dit, que ceux qui défendent de se marier sont cauterisez en leur propre conscience ; d'autant qu'ores que par ceste defence ils veuillent faire semblant d'aimer la continence, néanmoins ils sentent en leur conscience le cautere de leurs incontinences qui les brusle ; & sont convaincus en eux-mesmes d'estre mille fois plus incontinens que ceux qui se marient.»

Zacharie, ou de la Saincteté du mariage, et particulièrement du mariage des ecclésiastiques. Contre l'usage des sous-introduites, & autres impuretés des consciences cauterizées. Jean Faucher.  Veuve de Jean Vaguenar (1627)

mardi 20 octobre 2015

«Jusqu'à un an environ, les enfants vivaient accrochés à leur mère, dans un sac de coton ceint au ventre et aux épaules. On leur rasait la tête jusqu'à l'âge de douze ans, jusqu'à ce qu'il soient assez grands pour s'épouiller tout seuls et ils étaient nus à peu près jusqu'à cet âge aussi. Ensuite ils se couvraient d'un pagne de cotonnade. A un an la mère les lâchait  loin d'elle et les confiait à des enfants plus grands, ne les reprenant que pour les nourrir, leur donner, de bouche à bouche, le riz préalablement mâché  par elle.»

Un Barrage contre le Pacifique. Marguerite Duras. Gallimard (1950)
«Dans ma chambre, à peine avais-je fermé les yeux que la blonde du cinéma venait me rechanter encore et tout de suite pour moi seul alors toute sa mélodie de sa détresse. je l'aidais pour ainsi dire à m'endormir et j'y parvins assez bien... Je n'étais plus tout à fait seul... Il est impossible de dormir seul...» 

Voyage au bout de la nuitLouis-Ferdinand Céline. Éditions Gallimard (1952)

dimanche 18 octobre 2015

Analogies possible avec les Muses galantes

«Mais que diable avons-nous besoin d'une langue et d'une plume ? Et, en tous cas, d'où nous vient ce besoin pervers de faire tourner la première inconsidérément  devant les auditeurs bouche bée ou paupières closes, de faire grincer la seconde en vue le plus souvent de remédier à l'insuffisance de notre vie ? Lesquels d'entre nous ont encore la pudeur de se livrer à ce fâcheux exercice  seuls devant eux-mêmes ? Les maniaques, les vieux garçons, les fous. Et notez que moi-même, je ne nie pas avoir sollicité une audience, restreinte, très restreinte, il est vrai. Mais enfin une audience. 

Oeuvres complètes : Le BavardLouis-René des Forêts. Quarto Gallimard (2015)

«Tenez un souvenir : dans mon enfance étaient à la mode - pas uniquement chez les gosses,  non, mais aussi, parmi les grandes personnes - de petits machins que l'on appelait des  "négatis" pour lesquels on avait, n'est-ce pas, un miroir spécial qui non content d'altérer les objets, vous les déformait au point qu'on n'y comprenait plus goutte ; trous, embrouillamini, lignes fuyantes sous vos yeux. Mais loin d'être un effet du hasard, cette déformation était justement calculée exprès... ou bien plutôt à cette fausseté du miroir se trouvaient assortis de telle manière... Non, attendez, je vous explique mal... En un mot, on disposait de l'un de ces miroirs et de toute une collection de "négatis", c'est à dire des objet qui semblaient dépourvus de sens, divers fourbis sans formes, bariolés, percés, comme certains fossiles... Mais le miroir qui dénaturait les objets ordinaire recevait dès lors, faut croire l'aliment qui lui convenait, je veux dire que si l'on plaçait l'une de ces choses incompréhensibles et difformes de façon qu'elle reflétât dans la glace incompréhensible et déformante, on obtenait un résultat remarquable : non plus non égalait oui, tout se rétablissait comme il le fallait, tout devenait parfait et voilà que la chose tordue, maculée, informe, produisait dans le miroir en question une belle image harmonieuse : des fleurs, un navire, un personnage, un paysage quelconque.

Invitation au suppliceVladimir Nabokov. Éditions Gallimard (1960)

«Il était modeste et fier : un jour Alcibiade lui donna un grand terrain pour bâtir une maison. Socrate lui dit : "Et si j'avais besoin de chaussures, et que tu viennes me donner du cuir, pour que je me les fasse moi-même, crois-tu qu'en l'acceptant je ne serais pas ridicule ?" Souvent, regardant la foule des choses que l'on vend, il se disait en lui-même : "Combien il y en a dont je n'ai nul besoin !" Il citait constamment ces vers :
Ornements d'argent et de pourpre
Servent au théâtre, non à la vie.»

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : Socrate. Diogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

samedi 17 octobre 2015

«Si la bêtise, en effet, vue du dedans, ne ressemblait pas à s'y méprendre au talent, si vue du dehors, elle n'avait pas toutes les apparences du progrès, du génie, de l'espoir et de l'amélioration, personne ne voudrait être bête et il n'y aurait pas de bêtise. Tout au moins serait-il aisé de la combattre. Le malheur est qu'elle ait quelque chose d'extraordinairement naturel et convaincant.»

L'Homme sans qualités. Robert Musil. Éditions du Seuil (1956)
«Une fois, je lui dis :"Comment ça se fait, monsieur, avec la grande intelligence que vous avez, et les dix ans ça fait que vous vivez dans la règle monastique, et dans le retranchement complet de votre vouloir propre, que vous entrez toujours pas dans les ordres, pour être, là, complètement parfait ?" Et il me répond : "Qu'est-ce que tu dis, vieillard, de mon intelligence ; si ça se trouve, c'est mon intelligence, qui me rend aveugle au lieu que, moi, je la dompte. Et puis, tu réfléchis sur l'entrée dans les règles ; moi si ça se trouve, depuis longtemps, j'ai perdu ma mesure. Et qu'est-ce que tu me dis, le retranchement de mon vouloir ? Mon argent, tiens, j'y renoncerai tout de suite, mes titres, je peux les rendre, toutes mes médailles, pareil, je les poserais sur la table, mais une pipe de tabac, dix ans ça fait que je me bats, pas moyen que j'y renonce. Alors, quel ermite je ferais, après ça, et de quel retranchement de mon vouloir tu me fais des éloges ?"»

L'AdolescentFédor Dostoïevski. Actes Sud (1998)
«Chez un pharmacien, Jacques Legras demandera un médicament pour se rendre malade. Pas trop... Pour avoir l'air malade. Afin d'obtenir quelques jours de congé de la part de son patron. Pourquoi ? Une petite amie arrive de province...  Il faut bien lui consacrer ses journées...  Ses nuits sont déjà prises...
- Vous comprenez, madame la pharmacienne... Vous connaissez la vie... je n'ai pas besoin de vous expliquer davantage.
- Mais monsieur, les médicaments sont faits pour guérir, pas pour rendre malade !
- Oh vous avez bien quelque chose qui va me détraquer un peu le foie !... Juste pour me donner mauvaise mine !»
 
Les Employés du gag : Gardez le sourire, la Caméra invisibleJacques Rouland. Calmann-Lévy (1966)