dimanche 30 octobre 2016

«Jan sortit de chez lui. À peine a-t-il appuyé sur la poignée que s'ouvre la porte en verre. Par deux fois, la loi de la réfraction et la déviation des rayons vient à la rencontre de Jan Hvezdar. La première fois à l'ouverture, la seconde à la fermeture de la surface vitrée. Ah, la belle matinée ! Bonjour le matin ! Un baisemain à toi, cher soleil ! Un baiser sur ton derrière tout nu ! Jan marche sur le trottoir, sa main repousse son chapeau sur la nuque, égrenant au passage le tic-tac de la montre dans son oreille droite. il veille à ne pas marcher sur les rainures entre les pierres qui bordent la chaussée et se dit encore : Quelle belle matinée !»

Rencontres set visites. Bohumil Hrabal. Éditions Robert Laffont (2014)

samedi 29 octobre 2016

Convergence macrobiotique

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

vendredi 28 octobre 2016

«Et justement la courtisane n'aime pas, elle fait sans amour, les gestes de l'amour, c'est pour cela qu'elle est mensongère ; elle est stérile, inféconde ; elle détruit, épuise la vie, c'est pour cela qu'elle est vile.»

Art et pornographieGeorge Fonsegrive. Librairie Bloud & compagnie (1911)

dimanche 23 octobre 2016

«Ainsi voit-on se constituer à toute allure une nouvelle élite censureuse, sourcilleuse, susceptible, capable d'entrer dans des colères folles au moindre soupçon de contradiction,une kosmoklatura qui a réglé leur compte à toutes les souverainetés particulières, mais qui entend faire respecter à jamais sa souveraineté à elle. Tandis que la tentative de ralentir l'inéluctable, ou d'en retarder l'avènement le plus longtemps possible, c'est à dire le contraire du nihilisme, est désigné comme le nouveau nihilisme menaçant l'avenir, le consentement nihiliste à l'inéluctable est à l'inverse proposé comme la seule attitude positive maintenant admissible.»

Après l'histoire. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2000)
«Ô bienheureux silence autour de moi ! Ô pures senteurs autour de moi ! Oh ! comme à pleins poumons il aspire, ce silence, un souffle pur ! Oh comme il écoute, ce bienheureux silence !
Mais en bas -tout est discours, rien ne s'écoute. Vous pouvez bien carillonner votre sagesse ; plus fort sur le marché les boutiquiers feront sonner leurs sous !
Chez eux tout est discours ; comprendre personne ne le sait plus. C'est à l'eau que tout tombe, mais en des puits profonds plus ne descend aucune chose.»

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

vendredi 21 octobre 2016

«La grandeur d'un métier est, peut être, avant tout, d'unir des hommes : il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines.
En travaillant pour les seuls biens matériels, nous bâtissons nous-même notre prison. Nous nous enfermons solitaires, avec notre monnaie de cendre qui ne procure rien qui vaille de vivre.
Si je cherche dans mes souvenirs ceux qui m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune ne m'eût procurées. On n'achète pas l'amitié d'un Mermoz, d'un compagnon que les épreuves vécues ensemble ont lié à nous pour toujours.»

Terre des Hommes. Saint-Éxupéry. Éditions Gallimard (1959)

jeudi 20 octobre 2016

« Étant ainsi socialement inclinées à se traiter elles-mêmes comme des objets esthétiques et, en conséquence, à porter une attention constante à tout ce qui touche la beauté, à l'élégance du corps, du vêtement, du maintien, elles ont tout naturellement en charge, dans la division du travail domestique, tout ce qui ressortit à l'esthétique et, plus largement, à la gestion de l'image publique et des apparences sociales des membres de l'unité domestique, des enfants évidemment, mais aussi de l'époux, qui leur délègue très souvent ses choix vestimentaires ; ce sont elles aussi qui assument le soin et le souci du décor de la vie quotidienne, de la maison et de sa décoration intérieure, de la part de gratuité et de finalité sans fin qui y trouve toujours sa place, même chez les plus démunis (comme les potagers paysans d'autrefois comportaient un coin réservés aux fleurs d'ornement, les appartements les plus pauvres des cités ouvrières ont leurs pots de fleurs, leurs bibelots et leurs chromos).

La Domination masculinePierre Bourdieu. Editions du Seuil (1998)

mercredi 19 octobre 2016

«Luz me raconte un de ses rêves "en deux tableaux", oui, un diptyque, elle s'amuse à filmer l'interprétation que j'en fais. L'idée de stocker des archives m'est venue peu à peu, quand j'ai été sûr que personne n'écoutait plus personne, ne se souvenait de rien, ne faisait plus attention à rien. Que sommes-nous ? Où irons-nous ? Qui serons-nous ? Inapparences, apparences, désapparences... Y aura-t-il encore une transmission ? Par où passera-t-elle ? Les gestes amoureux ? Vieilles marques animales toujours fraîches ?»

La Fête à Venise. Philippe Sollers. Éditions Gallimard (1991)

mardi 18 octobre 2016

«Il avait été fidèle à la devise ancestrale : "Belle santé est domaine hérité." A cinquante ans, il ne se rappelait avoir vu fuir et s'amenuiser devant le chariot qui le transportait qu'un seul corridor d'hôpital (et deux pieds impeccablement chaussés de blanc, qui s'éloignaient avec légèreté). Cependant, il remarquait à présent que des fissures fourchues furtivement mais fréquemment lézardaient le mur de son bien-être physique, comme si l'inévitable décomposition lui dépêchait, à travers le temps terne et statique, ses premiers émissaires.»

Ada. Vladimir Nabokov. Librairie Arthème Fayard (1975)
«Il est sur la terre deux races d'homme. La première -d'un nombre étouffant- se contente d'assouvir les besoins élémentaires de l'existence. Les préoccupations matérielles, les soucis familiaux bornent son champ. L'amour parfois y projette son ombre, mais strictement égoïste et ramené à l'échelle du reste.
L'autre race, quoique soumise au joug de la faim, du plaisir charnel et de la tendresse porte plus loin et plus haut son ambition. Pour s'épanouir et simplement pour respirer, elle a besoin d'un climat plus beau, plus pur et spirituel. Il lui faut dénouer les limites ordinaires, exalter l'être au-delà de lui-même, le soumettre à quelque grande force invisible et le hausser jusqu'à elle. La pauvreté de l'homme la blesse, la désespère. L'inaccessible seul attire comme le rachat et la victoire sur l'humaine condition.»

Mermoz. Joseph Kessel. Éditions Gallimard (1938)

dimanche 16 octobre 2016

«Comme nous lisions nombre de journaux cochons à notre hôtel, on en connaissait des trucs et des adresses pour baiser à Paris ! Faut bien avouer que c'est amusant les adresses. On se laisse entraîner, même moi qui avais fait le passage des Bérésinas et des voyages et connu bien des complications dans le genre cochon, la partie des confidences ne me semblait jamais tout à fait épuisée. Il subsiste en vous toujours un peu de curiosité de réserve pour le côté du derrière. On se dit qu'il ne vous apprendra plus rien le derrière, qu'on a plus une minute à perdre à son sujet, et puis on recommence encore une fois cependant rien que pour en avoir le coeur net qu'il est bien vide et on apprend tout de même quelque chose de neuf à son égard et ça suffit pour vous remettre en train d'optimisme.
On se reprend, on pense plus clairement qu'avant, on se remet à espérer alors qu'on espérait plus du tout et fatalement on y retourne au derrière pour le même prix. En somme, toujours des découvertes dans un vagin pour tous les âges.»

Voyage au bout de la nuitLouis-Ferdinand Céline. Éditions Gallimard (1952)
«[...] il accompagna partout Anaxarque, au point de le suivre chez les gymnosophistes de l'Inde et les mages, d'où il a tiré sa philosophie si remarquable, introduisant l'idée qu'on ne peut connaître aucune vérité, et qu'il faut suspendre son jugement, comme nous l'apprend Ascanios d'Abdère. Il soutenait qu'il n'y avait ni beau, ni laid, ni juste, ni injuste, que rien n'existe réellement et d'une façon vraie, mais qu'en toute chose les hommes se gouvernent selon la coutume et la loi. Car une chose n'est pas plutôt ceci que cela. Sa vie justifiait ses théories. Il n'évitait rien, ne se gardait de rien, supportait tout, au besoin d'être heurté par un char, de tomber  dans un trou, d'être mordu par des chiens, d'une façon générale ne se fiant à rien à ses sens. Toutefois, il était protégé par ses gens qui l'accompagnaient.

Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres : PyrrhonDiogène Laërce. Garnier-Frères (1965)

Eblouissement des prémisses (incipit 27)

«Mais j'aimerais également faire observer qu'en tant que poète, je connais la bêtise de plus longue date encore, et je dois dire qu'il m'est plus d'une fois arrivé d'entretenir avec elle des rapports confraternels ! Car à peine la poésie a-t-elle ouverts les yeux d'un homme, celui-ci se voit confronté à une multitude de formes de résistance qu'on aurait grand peine à caractériser : qu'elles se manifestent chez des individus, ainsi qu'on le voit par exemple dans la noble attitude d'un professeur d'histoire littéraire qui, à l'aise avec des cibles fort lointaines, manque son tir d'une façon désastreuse quand il s'agit du présent ; ou qu'elles soient aussi diffuses que l'air qui nous entoure, comme dans les cas de l'altération du jugement critique par l'esprit mercantile depuis que Dieu, dans sa bonté si impénétrable, a également accordé la parole humaine aux personnages de cinéma.»

De la bêtise. Robert Musil. Editions Allia (2015)

jeudi 13 octobre 2016

«D'ordinaire, les souvenirs vieillissent avec les êtres, expliqua-t-il, et les épisodes les plus passionnés, avec la perspective du temps, prennent un côté comique, comme si on les apercevait à travers quatre-vingt-dix-neuf portes ouvertes les unes derrière les autres. Mais quelquefois, lorsque les souvenirs étaient liés à des sentiments très intenses, ils ne vieillissent pas et tiennent accrochés à eux-mêmes des couches entières de l'être.»

L'Homme sans qualitésRobert Musil. Éditions du Seuil (1956)
«La poésie, quand il est impossible de la juger, correspond admirablement, en tant qu'ersatz d'art, et comme onirisme collectif, à une nouvelle "pensée" qui se fixe la tâche primordiale de ne jamais conclure, qui pare ses diverses impuissances du nom d'"ouverture" et ses renoncements de celui de "nomadisme".

Après l'histoire. Philippe Muray. Les Belles Lettres (2000)

lundi 10 octobre 2016

Convergence bouffonne

 Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personneFriedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)

vendredi 7 octobre 2016

«La pornographie fait donc courir à la France un double péril : elle risque de corrompre à l'intérieur une partie de notre jeunesse ; à l'extérieur elle porte atteinte à notre renommée.»

Art et pornographie. George Fonsegrive. Librairie Bloud & compagnie (1911)

mardi 4 octobre 2016

«Vieux bureaucrate, mon camarade ici présent, nul jamais ne t'as fait évader et tu n'en es point responsable. Tu as construit ta paix à force d'aveugler de ciment, comme le font les termites, toutes les échappées vers la lumière. Tu t'es roulé en boule dans ta sécurité bourgeoise, tes routines, les rites étouffants de ta vie provinciale, tu as élevé cet humble rempart contre les vents et les marées et les étoiles. Tu ne veux point t'inquiéter des grands problèmes, tu as eu bien assez de mal à oublier ta condition d'homme. Tu n'es point l'habitant d'une planète errante, tu ne te poses point de questions sans réponse : tu es un petit bourgeois de Toulouse. Nul ne t'a saisi par les épaules quand il était encore temps. Maintenant la glaise dont tu es formé a séché, et s'est durcie, et nul en toi ne saurait désormais réveiller le musicien endormi, ou le poète, ou l'astronome qui peut être t'habitaient d'abord.»

Terre des hommes. Antoine de Saint-Exupéry. Editions Gallimard (1959)
«Tandis que je dormais, lors un mouton brouta le lierre qui couronnait ma tête, - il le brouta et dit : "Zarathoustra, n'est plus un érudit !"
Dit et s'en fut, hargneux et hautain. Me l'a conté un enfant.
Ici me plaît d'être étendu, où s'amusent les enfants, près du mur lézardé, parmi des chardons et de rouges pavots.
Un érudit, encore le suis pour les enfants, et aussi pour les chardons et les rouges pavots. Même dans leur malice, ce sont des innocents.
Mais pour les moutons, plus ne le suis, ainsi le veut mon sort, - béni soit-il !»

Ainsi parlait Zarathoustra  : un livre qui est pour tous et qui n'est pour personne. Friedrich Nietzsche. Éditions Gallimard (1971)
«Comme l'hôte, le client a l'entrée de la maison du patron : exilé souvent, et sans patrie, il en use même bien plus largement. Il est à vrai dire de la maison ; il est compté parmi les serviteurs (cliens veut dire qui écoute, qui obéit). Le maître va-t-il au dehors, il a ses amis et clients à sa suite : comme ses esclaves, il les arme pour les besoins de ses affaires ou de ses querelles privées. [...] Tous, les uns comme les autres, esclaves, clients et simples affranchis, ils portent le nom de la famille.»

Histoire romaine Livre I à IV : Des commencements de Rome jusqu'aux guerres civilesTheodor Mommsen. Bouquins Robert Laffont (1985)

Quelques Éléments supplémentaires de la Société du Spectacle (4)

«Le caractère rachitique de langage de la Jeune-Fille, s'il implique un incontestable rétrécissement du champ de l'expérience, ne constitue nullement un handicap pratique, puisqu'il n'est pas fait pour parler mais pour plaire et répéter.»

Premiers matériaux pour une théorie de la jeune filleTiqqun. Mille et une nuits (2001)