mercredi 31 octobre 2018

«J'ai dit au début du présent chapitre que la nuit que j'accordai à Mme Pathmos fut une nuit d'amour qui devait la libérer psychiquement d'une hantise bien mieux qu'une séance d'analyse, ce que j'espère, et que, de sa part, cette nuit d'amour fut l'exposition d'une passion brûlante mise à nu. Sans jamais m'y attarder, car je ne suis pas sujet à la délectation morose, ce vice secret de tant d'hommes et clef de leur impuissance, j'y ai souvent pensé depuis et chaque fois avec une joie sans mélange et un sentiment très vif de reconnaissance. C'est une des rares heures de ma vie qui vaille la peine d'avoir été vécue et qui, je le sais bien au moment de ma mort me fera regretter l'existence et bénir cette nuit passionnée où je vis une femme se livrer à l'amour avec frénésie, sans grimaces et sans fard, souvent soulevée et plus souvent encore culbutée par la plénitude du mouvement qui la portait à se donner, à prendre, à s'anéantir, à se fondre dans l'étreinte de son conjoint jusqu'à s'oublier à crier, se plaindre, gémir, roucouler, rire, pleurer et murmurer un nom, qui n'était plus le mien ni celui de personne, mais un saint nom comme dans une prière ou une action de grâce où l'on invoque l’Être, au spectacle d'un trois-mâts retour du cap Horn rencontré un jour au milieu de l'Atlantique, par très grosse mer, ciel d'airain, soleil implacable et un vent soufflant en ouragan, qui fuyait dans la tempête, les voiles pleines, dangereusement incliné, soulevé par, plongeant dans les vagues monstrueuses de l'océan et qui fila à contre-bord tout ruisselant d'écume, vision ailée de puissance, de fatalité  et de grâce, et qui est un des plus beaux souvenirs du monde que j'emporterai de chez les hommes.»

L'Homme foudroyé. Blaise Cendrars. Éditions Denoël (1945)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire