lundi 3 août 2015

«Dans mes rêves, le monde était ennobli, spiritualisé ; les gens dont j'avais si peur à l'état de veille m'apparaissaient là dans une réfraction frémissante, à les croire imbibés, cernés de ce papillotement de l'air qui, aux temps de forte chaleur, prête de la vie aux contours même des objets. Leur voix, leur allure, l'expression de leurs yeux et même celle de leur vêtements acquéraient une émouvante signification ; en termes plus simples, dans mes rêves le monde prenait de la vie, empruntait une importance, une liberté, une fluidité à ce point séduisante que j'éprouvais ensuite une gêne à respirer la poussière de cette existence qui n'est qu'un calque. Je m'étais de surcroît fait à cette idée que ce que nous appelons les rêves n'est autre chose qu'une semi réalité, une promesse de réalité, son péristyle, son souffle annonciateur, c'est à dire qu'ils conservent sous une forme très trouble et diluée plus de réalité véritable que notre fameux état de veille qui à son tour n'est que demi-rêve, sommeil mal assuré où s'infiltrent du dehors, bizarrement et sauvagement déformés, les sons et les images d'un monde effectif, se déroulant au-delà des limites de la conscience - ainsi en est-il quand on s'imagine en dormant entendre un conte diabolique , lourd de menaces, parce qu'une branche racle la vitre, ou bien quand on voit son propre enlisement dans la neige , parce qu'une couverture glisse à terre.»

Invitation au suppliceVladimir Nabokov. Éditions Gallimard (1960)

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