samedi 24 janvier 2015

«Par hasard, en levant les yeux, j'aperçus une fillette jolie et mièvre un peu... A voir ses yeux émus et admiratifs, j'ai compris que sans doute nous étions beaux... et grands. Nous allions par là-bas, où l'on meurt, où l'on est défiguré, haché, déchiré... et nous y allons... au pas, au son des cuivres aigus... Nous portons dans nos cartouchières la mort. Nos fusils tuent. Nous sommes forts et doux peut être... Nous sommes un bête formidable qui pourrait broyer cette enfant, sans la voir, sans entendre ses cris et sa plainte. Son admiration est une vague d'effroi et de piété. Nous sommes un énorme troupeau de formidables douleurs... Nous sommes un rempart des joies de l'amour, du bonheur... sans accepter cette tâche, nous mourrons pour elle... Peut être cette enfant ignorante, naïve, coquette, ne l'a-t-elle pas compris. Mais elle l'a senti... son regard me réchauffe, son admiration m'a fait tendre le jarret, son sourire m'a donné du coeur... Elle était peut être tout simplement jolie ! A mes côtés, sous son regard, mes camarades eux aussi se sont redressés... mille rêves ont peut être caressé leur pensée... Un charme sensible paraît les avoir touchés et parce qu'une fillette les voyait, ils eurent un regard plus serein et plus clair, une démarche plus ferme, un front plus guerrier.»

Paroles de poilus : lettres et carnets du front 1914-1918. Henri-Aimé Gauthé. Radio France (1998)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire