vendredi 23 janvier 2015

«La guerre à l'ancienne mode avait quelque chose d'un duel improvisé. Fort souvent l'issue d'une bataille dépendait d'un combat entre les chefs, autour desquels la masse des combattants se rangeait comme au spectacle. La légende épique et même l'histoire offrent plus d'un récit de ce genre. Et de ces récits, au reste simplifiés ou composés, sont sorties les règles de l'honneur militaire, toujours vénérées, et non sans raison, mais qui sont absolument sans application dans nos sauvages tueries. Car une brutale contrainte déshonore le courage ; nul ne songe plus qu'il est déshonorant de vaincre par le nombre ou par la surprise, ou par de meilleures armes ; les chefs n'ont plus l'occasion de s'exposer les premiers aux plus grands périls ; on veut honorer celui qui a offert sa vie ; mais on honore encore bien plus celui qui, à quelques lieues de là, fait voir par ses ordres, par ses reproches et par les terribles sanctions qu'il applique, une énergie d'un tout autre genre, et que Bayard mépriserait. Le pire désordre est que ceux qui menacent ou insultent, ou bien qui décident des guerres d'après leurs propres passions, ne soient nullement tenus d'entrer dans le jeu et de payer de leur personne. C'est à peu près aussi ridicule que  si deux hommes, après s'être défiés, provoqués et injuriés, faisaient combattre leurs témoins. Si la guerre était vue comme elle est, le mépris universel terminerait tout.»

Mars ou la guerre jugéeAlain. Editions Gallimard (1936)

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