lundi 28 septembre 2020

Violente extraction de l’enfance

«Il la vit. Ce fut soudain. Soudain, il fut surpris d’avoir quitté l’enfance. Ce fut une découverte qui le prit de court : l’enfance était partie ; tous les liens s’étaient dénoués ; la fusion s’en était décomposée. Le temps s’était mis en marche sans qu’il s’en fût rendu compte. Toutes choses s’appauvrirent en un instant. Tout devint conscient. Tout devint distant. Tout devint langage. Tout devint mémoire. Tout devint passible du jugement. Tout se fit de plus en plus éloigné, surgissant à dix mille lieues de lui-même. 

D’un coup il avait quitté la maison du père. Le monde devint espace. Le temps se posa près de lui. Brusquement, les adorations, les jeux absorbants s’effacèrent sous la gomme des mots précis, des terreurs, dans la peur des ridicules, dans la contraction de l’angoisse. Père, mère -mais aussi condisciple, aussi amour d’enfance-, une espèce de niaiserie s’attacha soudain à eux et lui fit honte.» 

L’occupation américaine. Pascal Quignard. Éditions du Seuil (1994)

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