samedi 4 juillet 2015

Texte des Petites Amoureuses (1)

«Jos était là. Elle tournait le dos à Manuel. Il sut qu'elle l'avait entendu, qu'elle se contractait pour s'écarter de lui, ne pas le laisser arriver jusqu'à elle, et la toucher. Mais son amour, une sorte d'angoisse désespérée, monta, couvrit son coeur, le noyant comme un ressac.  Alors il vint près de la petite fille et prit sa main. Les mots le traversèrent et surgirent à ses lèvres, les mots jamais employés, les mots de chair et de sang comme les hommes.
- Tu m'aimes, Jos ? demanda-t-il. Tu m'aimes ?
L'étonnement fit frissonner la petite fille. Un bref acquiescement, aussi ; Le temps d'un instant, son coeur penché vers le coeur déchiré de son frère et Manuel crut qu'elle allait répondre. Un oiseau isolé, poignant, trembla dans le ciel, et la mer douce d'autrefois battit les plages. Puis les yeux de la petite fille, encore tournés vers lui s'assombrirent ; elle rougit péniblement et se détourna. Manuel eut au fond du coeur son visage déformé, et elle détacha sa main de la sienne et se mit à courir droit devant elle à travers les chaumes.»

Mano l'archangeJacques Serguine. Editions Gallimard (1962)

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