lundi 13 juillet 2015

«- C'est exactement ce que vous avez dit ! ai-je dit, me tournant soudain vers lui, cassant la glace, et me mettant soudain à parler. Précisément, au lieu d'un sentiment, il faut en mettre un autre pour le remplacer. A Moscou, il y a quatre ans de ça, un général... Voyez-vous, messieurs, je ne le connaissais pas, mais... Peut être que, lui-même, au fond, il ne pouvait pas inspirer le respect... Et, en plus, le fait pouvait paraître irraisonnable mais... Du reste, voyez-vous, il a eu un enfant qui est mort, c'est à dire, à vrai dire, deux filles l'une après l'autre, la scarlatine... Et bien, il a été tellement anéanti, d'un coup, il est devenu si triste, il restait là, ça crevait le coeur rien que de le voir - et bien, il a fini par en mourir, après presque six mois. Qu'il est mort de ça c'est un fait ! Et comment donc, on aurait pu le ressusciter ? Réponse : par un sentiment de même force ! Il fallait déterrer ses deux filles, et les lui rendre et voilà tout, c'est à dire quelque chose dans ce genre. Donc il est mort. Et n'empêche, on aurait pu lui présenter des conclusions magnifiques : que la vie est brève, que tout le monde est mortel , lui montrer l'almanach avec les statistiques, combien il y a d'enfants qui meurent de la scarlatine... Il était à la retraite...
Je me suis arrêté hors d'haleine regardant autour de moi.
- Ce n'est pas ça du tout, a dit une voix.»

L'AdolescentFédor Dostoïevski. Actes Sud (1998)

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