samedi 11 janvier 2020

Visionnage domestique parisien (30) / Croisement de vies nostalgène


A swedish love story. Roy Andersson (1969)


L'amour à quinze ans par Nicolas Giuliani

Nous voyons aujourd’hui Une histoire d’amour suédoise réalisé en 1969 – objet cinématographique intrigant, ensemencé déjà par les problématiques à venir (le burlesque, le cynisme, l’humour noir), mais dans lequel participe aussi l’innocence amoureuse de Pär et Annika, tout en fraîcheur et en gracilité.

Pär est venu voir son grand-père à la maison de repos. Il a quinze ans, une moto, un blouson et des airs de caïds que déjouent un sourire franc et des yeux rieurs – quel est donc l’enfant qui se meut dans ce corps de jeune adulte ? Annika est venu voir sa tante Eva. Elle a un grand chapeau à turban, un chien, une robe dans le vent. L’espace d’un instant, lors d’un buffet campagnard, leur regard se croise. Tout est dit, tout se tient dans ce régime dramatique, ténu et droit : il a suffit de quelques plans pour que Roy Andersson relève la gageure de la scène de première vue et nous raconte le mouvement amoureux, terriblement simple, de deux êtres qui se voient et semblent se reconnaître. Montage précis, alternance de champ contre-champ, chassé croisé des regards : la caméra, serrée en gros plan sur les visages d’Annika et de Pär, capte tout, par petites touches précises et fortes, et dessine les contours émus d’une première rencontre.

On a rarement vu un tel effet de réalisme, une telle coïncidence émotionnelle entre les personnages et la situation dramatique. Le désir, la honte, l’innocence, parfois la souffrance, se concrétisent dans l’évidence des situations. Rien n’est outré, tout se justifie. Le style tranché et net, d’une justesse imparable, fait penser à Pialat ; l’univers visuel, stylisé par une lumière douce, à un autre film suédois qui traitait également de l’amour de deux adolescents : Monika. Comme dans le film de Bergman, les deux adolescents se soustraient à la médiocrité du monde pour pouvoir vivre leur amour. Pendant ce temps les adultes offrent souvent le spectacle pitoyable et grinçant de gens englués dans leur étroitesse d’esprit. Alors que l’on fête l’écrevisse dans la maison de campagne des parents de Pär, le père d’Annika, commercial raté, cherche à refourguer un frigo. Le ton monte. Les masques tombent : chacun est un peu le clown grimé de son voisin ou le miroir déformant de son propre échec.

Les adolescents d’un côté, les parents de l’autre. L’amour, la vie, l’innocence, face à la honte, le désœuvrement et l’échec. Les tableaux sont fortement typifiés – et il est aisé de sentir que la caricature deviendra plus tard un des outils dramatiques de Roy Andersson. Mais dans Une histoire d’amour suédoise, on se prête au jeu de cette alternance, de ce va-et-vient oscillant entre innocence juvénile et désespérance adulte, car il nous donne envie de croire en Pär, Annika, et leur amour fragile qui éclate à l’écran comme une première fois.

https://www.critikat.com/actualite-cine/critique/a-swedish-love-story/

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