samedi 11 janvier 2020

«Je rendis encore une fois visite à Tatline, ce grand excentrique. Il habitait un vieil appartement exigu, où régnait un véritable capharnaüm, des poules dormaient dans son lit et pondaient des oeufs dans un coin de la pièce. Pendant que nous prenions le thé, Tatline me parla dessus souvenirs de Berlin, du grand magasin Wertheim et de la représentation qu’il avait donnée à la Cour. Derrière lui, était appuyée contre le mur un sommier métallique complètement rouillé, sur lequel étaient perchées quelques poules endormies, la tête rentrée sous les plumes. Il me joua des airs sur la balalaïka de sa propre fabrication, et bientôt, à travers la fenêtre sans rideau et dont certaines vitres étaient remplacées par des lattes de bois, je vis que la nuit était déjà tombée ; dans cette ambiance, Tatline cessa de m’apparaître comme un de ces constructivistes à la pointe de la modernité, pour devenir une sorte d’ultime témoin de la Russie éternelle. Comme dans les livres de Gogol, il régnait dans dans la pièce un humour mélancolique. Par la suite, je ne devais plus entendre parler de Tatline, ni même du Tatline, qui pourtant avait fait couler beaucoup d’encre en son temps. Sans doute est-il mort dans s a solitude, oublié de tous »

Un petit oui et un petit non : sa vie racontée par lui-même. George Grosz. Éditions Jacqueline Chambon (1990)

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