jeudi 15 décembre 2016

«Sur le tas des dalles d’ardoise descellées, grisâtres, qui étaient exposées au soleil couchant, un geai se tenait sur le dos, ailes grandes ouvertes, bec ouvert.

Le cheval s’ébroua. Mais l’homme caressa la longue et lourde chevelure qui recouvrait son échine.

Hagus, qui était le passeur de la rivière, attacha sa barque au tronc du grand aulne. Il vint se poster auprès du cavalier intrigué et du cheval immobile. Tenant sa gaffe posée sur son épaule, il mêla son regard à leurs regards.

Car quelque chose était étrange dans ce geai mort.

Alors Hagus prit son courage à deux mains et s’approcha de l’oiseau aux ailes bleues.

Mais il s’immobilisa presque aussitôt car le geai soulevait régulièrement ses plumes noires et bleu azur. Il se tournait un peu en respirant. Il s’y prenait de la façon suivante : un coup vers la rive et la barque et le feuillage de l’aulne et la rivière ; un coup vers les chardons et le cavalier tétanisé par sa vision et le cheval immobile et anxieux.

En vérité le geai offrait ses plumes colorées à la chaleur du dernier soleil.

Il les séchait.

Puis, en moins d’une seconde, il pirouetta, il se remit sur ses pattes et d’un bond il s’envola et se retrouva perché au bout de la gaffe du passeur de rive.

Alors Hagus sentit, sur son épaule, qu’il lui fallait quitter ce monde.

Il tourna la tête vers l’oiseau qui le regardait et qui poussait son cri affreux puis il se tourna vers le cavalier mais il n’y avait plus rien à côté de lui. Le chevalier et le cheval s’en étaient allés sans qu’il les ait vus disparaître.»

Les Larmes. Pascal Quignard. Bernard Grasset (2016)

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