jeudi 14 juillet 2022

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«Une société ainsi dépourvue de toute discipline dans ses fondements culturels ne pouvait bien entendu, qu'en pâtir également en politique ; et c'est ainsi que nous sommes nés dans un monde féru de nouveautés sociales, partant joyeusement à la conquête d'une liberté dont il ignorait ce qu'elle était, et d'un progrès qu'il n'avait jamais su seulement définir.
Ce criticisme frustre de nos pères, cependant, nous a certes légué l'impossibilité d'être chrétiens, mais sans la satisfaction que nous aurions pu en tirer ; il nous a certes légué l'incrédulité à l'égard des formules morales bien établies, mais sans l'indifférence envers la morale et les règles établies pour vivre humainement ; il a certes laissé le problème politique sans solution, mais sans nous laisser pour autant indifférents aux solutions qu'on pouvait lui apporter. Nos pères ont pu détruire allègrement, parce qu'ils vivaient à une époque qui conservait quelques vestiges de la solidité passée. C'était justement ce qui donnait assez de force à la société pour qu'ils puissent détruire sans voir tout l'édifice se fendre de haut en bas. Nous avons hérité, quant à nous, de cette destruction et de ses résultats.»


Le livre de l'intranquillité (tome 2). Fernando Pessoa. Christian Bourgeois éditeur (1992)

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