vendredi 30 novembre 2018

«Jamais il n'a senti, après l'union des corps, cette tristesse dont parle la maxime, mais toujours cette fine allégresse, cette clarté intérieure pétillante comme du champagne, cette paix où l'âme et le corps forment un seul cristal translucide. Est-ce seulement parce que l'accomplissement charnel dissipe les nuages que fait monter le désir, brise les verres opaques que celui-ci construit autour de son objet ? S'il en était ainsi, la satisfaction purement physique du désir entraînerait sans doute une sorte d'indifférence, de désintérêt, à l'égard de l'être qui a procuré cette satisfaction, une impression de satiété ou de réplétion semblable à celle du marcheur altéré qui vient de vider à longs traits une gourde d'eau glacée. Peut-être est-ce un pareil sentiment de possession et de perte, d'assouvissement et de dépit, cette conscience de ne pouvoir aller plus loin dans la jouissance et de voir s'évanouir en même temps la soif qui rendait possible cette jouissance que le moraliste a appelé la tristesse de l'animal après l'union charnelle. Le marcheur couvert de sueur et de poussière contemple tristement, en effet la cascade où il vient de s'abreuver et dont les eaux transparentes bondissant dans l'ombre par-dessus les cailloux ne lui sont plus d'aucun secours ; ayant dépassé sa soif, il se retrouve seul avec soi : ayant détruit ce qui le projetait vers le bonheur, il découvre que le monde ne nous apporte rien de plus que l'anéantissement de ce qui nous détournait de nous-mêmes.
Certitude paisible, communication sans un mot, plénitude, sentiment de présence double et indivisible au cœur même de la vie, déploiement autour de soi des immenses horizons du monde, éveil, disponibilité, tels sont au contraire les caractères de cet instant. En l'homme l'animal est sauvé de l'homme.»
 
Les Reins et les coeurs. Paul-André Lesort. Éditions du Seuil (1964)

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