lundi 31 mars 2014

«Si seulement son père avait pu échapper aux griffes du démon de la boisson soit en faisant le serment de ne plus boire soit en prenant ces poudres pour désintoxication recommandées par Votre santé, elle aurait roulé maintenant dans sa voiture personnelle et n'aurait eu à s'effacer devant personne. C'est ce que maintes et maintes fois elle s'était répété à elle-même alors que près des braises mourantes elle s'abîmait en de noires réflexions sans allumer la lampe car elle détestait deux lumières à la fois ou lorsque plus d'une fois aussi elle égarait son regard rêveur par delà la fenêtre durant des heures sur la pluie qui tombait sur la poubelle rouillée, toute pensive. Mais cette abjecte décoction qui a détruit tant de foyers et tant de familles, avait jeté son ombre sur les jours de son enfance. Oui, elle avait même été témoin sous le toit familial des actes de violence dus à l'intempérance et elle avait vu son propre père, proie des vapeurs de l'alcool, perdre toute figure humaine, car s'il y avait une chose entre toutes que Gerty avait apprise, c'est que l'homme qui lève la main sur une femme cette main que les lois de l'humanité lui imposent de rendre secourable mérite d'être stigmatisé comme tombé plus bas que terre.»

Ulysse. James Joyce. Gallimard (2004)

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