samedi 3 octobre 2020

«Voir jouer du jazz fut une illumination. Il avait déjà entendu cette musique mais la découverte improvisée quotidienne, vivante, fut pour Patrick une expérience si extraordinaire qu’elle lui parut incommunicable. Du moins ne parvint-il pas à l’exprimer à Marie-José. C’était l’exact contraire de la contention et de la prétention des concerts de musique classique qu’il avait pu entendre à Orléans. Patrick n’avait jamais imaginé que la musique pût être cela : une tristesse devenue corps ; un lien immédiat associant sur-le-champ ceux qui jouaient à ceux qui écoutaient comme s’ils formaient un seul corps ; une façon de respirer et de mouvoir tous les membres ; une possibilité de prendre au mot le hasard d’un instant et de le ressentir de la tête aux pieds ; une façon de vivre plus intense. 
Tous ceux qui écoutaient s’accordaient au même rythme immédiatement. Tous se perdaient dans l’autre. C’était une solidarité aussi subite que bouleversante. C’était un véritable lien social, sans discours, sans intérêt, comme une tribu des premiers âges. Chacun croyait retrouver un haut qui remontait à l’aube.» 

L’occupation américaine. Pascal Quignard. Éditions du Seuil (1994)

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