dimanche 18 octobre 2015

«Tenez un souvenir : dans mon enfance étaient à la mode - pas uniquement chez les gosses,  non, mais aussi, parmi les grandes personnes - de petits machins que l'on appelait des  "négatis" pour lesquels on avait, n'est-ce pas, un miroir spécial qui non content d'altérer les objets, vous les déformait au point qu'on n'y comprenait plus goutte ; trous, embrouillamini, lignes fuyantes sous vos yeux. Mais loin d'être un effet du hasard, cette déformation était justement calculée exprès... ou bien plutôt à cette fausseté du miroir se trouvaient assortis de telle manière... Non, attendez, je vous explique mal... En un mot, on disposait de l'un de ces miroirs et de toute une collection de "négatis", c'est à dire des objet qui semblaient dépourvus de sens, divers fourbis sans formes, bariolés, percés, comme certains fossiles... Mais le miroir qui dénaturait les objets ordinaire recevait dès lors, faut croire l'aliment qui lui convenait, je veux dire que si l'on plaçait l'une de ces choses incompréhensibles et difformes de façon qu'elle reflétât dans la glace incompréhensible et déformante, on obtenait un résultat remarquable : non plus non égalait oui, tout se rétablissait comme il le fallait, tout devenait parfait et voilà que la chose tordue, maculée, informe, produisait dans le miroir en question une belle image harmonieuse : des fleurs, un navire, un personnage, un paysage quelconque.

Invitation au suppliceVladimir Nabokov. Éditions Gallimard (1960)

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