lundi 25 mai 2015

«2 novembre 1914

Je ne sais pas l'heure, je ne sais plus l'heure, je n'ai plus la notion du temps autrement que par le soleil et l'obscurité. Il fait grand jour  et beau jour, le ciel d'automne est lumineux, s'il n'est plus bleu. Je l'aperçois par-dessus le remblai de terre et de cailloux de la tranchée, et mon sac me sert de fauteuil, mes genoux touchent à la paroi pierreuse : il y a juste la place de s'asseoir et la tête arrive au niveau du sol. Près de moi j'ai mon fusil, dont le quillon se transforme en porte-manteau pour accrocher la musette et le bidon. Dans le bidon il reste un peu de bière, dans la musette il y a du pain, une tablette de chocolat, mon couteau, mon quart et ma serviette. A ma gauche, le dos énorme d'un camarade qui fume en silence me cache l'extrémité de la tranchée ; à droite un autre, couché à moitié, roupille dans son couvre-pieds. Le bruit affaibli des conversations, le cri d'un corbeau, le son d'un obus qui file par instants vers les lignes françaises troublent seuls le silence. Nous sommes sales comme des cochons, c'est à dire blancs, comme des meuniers, car cette terre est comme de la farine : tout est blanc, la peau, le visage, les ongles, la capote, les cartouchières, les souliers.»

Paroles de poilus : lettres et carnets du front 1914-1918. Etienne Tanty. Radio France (1998)

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