«Elle avait parfois une façon joueuse de se laisser toucher, les yeux mi-ouverts, mi-clos ; de revenir ; une tendresse insatiable. A[nders] l'observait à la dérobée, voyait pour la première fois, ou pour la première fois avec émotion, ce jeu de l'amour et du corps qui fait les délices de l'amant et accable comme une force de la nature. Il y avait aussi des heures où elle ne le regardait pas, froide, presque méchante à son égard, parce qu'elle était trop émue ; c'était dans son corps comme un homme dans une barque qui n'ose pas faire un mouvement. Ou bien des contrecoups : d'abord comme un barrage, puis sans prétexte apparent, un débordement. Se laisser bercer par ces inspirations était passionnant, merveilleux, elles abrégeaient les heures, mais elles obligeaient à adapter la vue aux objets les plus proches, à faire de petites observations.»
L'homme sans qualités. Robert Musil. Editions du Seuil (1956)
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