mercredi 2 mars 2022

Les Emanglons

«Quand un Emanglon respire mal, ils préfèrent ne plus le voir vivre. Car ils estiment qu'il ne peut plus atteindre la vraie joie, quelque effort qu'il y apporte. Le malade ne peut, par le fait de la sympathie naturelle des hommes, qu'apporter du trouble dans la respiration d'une ville entière.
Donc, mais tout à fait sans se fâcher, on l'étouffe.
A la campagne, on est assez fruste, on s'entend à quelques-uns, et un soir on va chez lui et on l'étouffe.
Ils pénètrent dans la cabane en criant : "Amis !" Ils avancent serrés les uns contre les autres, les mains tendues. C'est vite fait. Le malade n'a pas le temps d'être vraiment étonné que déjà il est étranglé par des mains fortes et décidées, des mains d'homme de devoir. Puis ils s'en vont placidement et disent à qui ils rencontrent : "Vous savez, un tel qui avait le souffle si chaotique, et bien ! soudain, il l'a perdu devant nous.
- Ah ! fait-on, et le village retrouve sa paix et sa tranquillité.
Mais dans les villes, il y a pour l'étouffement une cérémonie, d'ailleurs simple, comme il convient.
Pour étouffer, on choisit une belle jeune fille vierge.
Grand instant pour elle que d'être appelée ainsi au pont entre vie et mort ! La douceur avec laquelle ces souffrants trépassent est comptée en faveur de la jeune fille. Car avoir fait qu'un malade s'éteigne doucement entre des mains agréables, est, disent-ils, excellent présage de dévouement aux enfants, de charité aux pauvres, et pour les biens, de gestion sûre. Elle trouve aussitôt plus de maris qu'il ne lui en faut et il lui est permis de choisir elle-même.
La difficulté est d'être douce et de serrer fort.
Une coquette ne réussira pas, une brutale non plus. Il faut des qualités de fond, une nature vraiment féminine.
Mais quel bonheur quand on a réussi et comme on comprend les larmes de joie de la jeune fille cependant que l'assistance la félicité avec émotion.»

Ailleurs. Henri Michaux. Poésie Gallimard (2007)

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