samedi 24 mars 2018

Lettre de Camille Claudel au docteur Truelle envoyée le 25 octobre 1913

5 octobre 1913

                                                                                   A l’asile psychiatrique de Ville-Evard

                    Monsieur le Docteur,


Je vous prie de conserver cette lettre pour vous seul car je vous l’écris uniquement pour vous mettre au courant de choses que vous n’avez pas devinées jusqu’à présent. Vous ne savez pas ce que me coûte mon internement ici, aussi vous ne pouvez vous faire une idée de ma colère et de mon désespoir.

Je vais vous raconter ce que contenait mon atelier sur lequel R.* et ses amis ont mis la main. Mon atelier contenait grosso-modo : [...] 1 560 000 francs.

De plus, tous ces modèles procèdent d’un art absolument nouveau que j’avais découvert, un art qui n’a jamais été connu sur la terre et qui est d’une valeur inappréciable.

C’est le résultat du travail de toute ma vie depuis l’âge de 14 ans jusqu’à maintenant.

Pendant que je suis ici, clouée, immobilisée, on a mis la main sur tout. Le sieur Rodin et toute sa bande vont faire une fortune immense à mes dépens et en même temps me couvrir de calomnies et d’insultes.

Ils n’ont qu’une peur maintenant, c’est que je ne réclame et pour m’en empêcher, ils vont me faire tenir éternellement enfermée ou même me faire tuer.

Il n’y a pas que Rodin qui a pris mon atelier ; il y en a d’autres aussi car il s’est arrangé pour se faire des complices pour les mettre dans ses intérêts. Il y en a d’autres aussi ! ! ! ! !

Je vous les nommerai bien si je voulais ! ! Si je ne suis pas sortie d’ici quelques temps, je vous les nommerai !

Ceux qui m’ont pris mon atelier ! Ceux qui me tiennent bouclée ici ! ! ! Je vous les nommerai !

Je vous prie de faire votre possible pour faire venir quelqu’un de ma famille, je m’ennuie trop ici. On a même supprimé les promenades au parc depuis trois mois. Je vous écrirai encore une autre lettre pour achever mes explications, mais n’en parlez à personne du tout je vous en prie.

Agréez mes civilités.

*R pour Rodin.

C. Claudel

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