mardi 31 octobre 2023

Visionnage domestique toulousain (154 bis)


Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait : nos histoires d’amour et de désir
On n’attendait pas un film aussi parfait, aussi fort de la part d’Emmanuel Mouret, que ce Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait… qui nous fait regretter du coup que Cannes, qui l’aurait forcément célébré, n’ait pas eu lieu en 2020 !

Adorant le travail délicieux d’un Eric Rohmer, cela faisait longtemps qu’on suivait les films d’Emmanuel Mouret, chez qui on reconnaissait une sorte de disciple de notre metteur en scène favori, en moins… ambitieux, intello ou philosophique, si l’on veut. Mais, il faut reconnaître en toute humilité qu’on n’aurait pas imaginé un instant que Mouret puisse un jour réaliser une œuvre d’une qualité et d’une force aussi saisissantes que ce les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait…

Un film qui démarre donc de manière effectivement rohmerienne, d’abord par son sujet (disons pour simplifier / caricaturer légèrement le propos du film : les rapports entre le désir et l’amour, donc le sexe et les sentiments, et le combat toujours vivace et jamais résolu entre le cœur et la raison), mais surtout par la manière dont se déploie l’histoire ou plutôt les histoires que va nous conter Mouret. Car, comme chez Rohmer donc, c’est la parole qui est reine, et le récit qui prime sur l’action : Maxime raconte à Daphné, la femme de son cousin, l’histoire de son grand chagrin d’amour, tandis que Daphné lui rend la pareille en lui narrant son histoire à elle, qui est celle d’un amour heureux. Comme chez Rohmer, la parole est à la fois claire et précise – comme littéraire, mais avec sans doute moins d’excès -, et ce qui est dit trahit avant tout une éternelle confusion des sentiments, mise en scène depuis la nuit des temps par les écrivains et les poètes, mais toutefois absolument contemporaine. Et très… française aussi, au point qu’un étranger voyant le film sera sans aucun doute surpris par ce mélange tellement typique de notre culture d’élévation des aspirations, de trivialité des conduites, mais aussi cette reconnaissance sans partage de l’importance du désir !

Mais là où – et on n’aurait jamais pensé écrire ça un jour ! – Mouret distance Rohmer, c’est dans l’intelligence de la construction du film, qui emboîte les récits des personnages, les enchâsse les uns dans les autres, jusqu’à créer quasiment un sentiment de vertige qui ne gâche pourtant jamais la jouissance très « premier degré » (et l’amusement, car le film est souvent très drôle…) qu’on tire du spectacle de ces couples qui se font et se défont, s’aiment, se mentent et se trompent, se réconcilient sans fin.

Si l’on est autant captivé par les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, c’est aussi grâce à la perfection formelle du film : une interprétation générale parfaite – on tire notre chapeau à Camélia Jordana, la sensibilité à fleur de peau, à Vincent Macagne, bouleversant et hilarant à la fois, mais tout le monde est impeccable -, une image qui irradie la lumière – pour les scènes provençales, c’est facile, mais même Paris est ici éblouissant -, une musique, principalement classique, qui accompagne avec subtilité tous les états d’âme des personnages, et surtout un rythme de narration d’une précision sans faille.

Tout cela serait déjà bien beau, mais Mouret a une carte dans sa manche, et le dernier mouvement du film (« les choses qu’on fait… », donc…) va révéler une autre vérité derrière les mots. Et cette vérité – on ne parlera pas de coup de théâtre, ce serait trop grossier – va tout simplement mettre le feu au film. Transformer les marivaudages en tragédie. Prouver que, quoi qu’en disent nos très chers protagonistes, on ne saurait sortir indemne de nos « histoires d’amour » (qui finissent mal, en général, etc…. ou pas !). La musique s’enfle, les situations se tendent, le désespoir rôde. Emilie Dequenne nous rappelle en une petite poignée de scènes quelle grande actrice elle est. La vie, la vraie, a fait irruption au milieu de ces histoires qu’on aime tant raconter et écouter. Et c’est tout simplement terrassant.

Un dernier fondu au noir, le générique de fin démarre. Personne ne bouge de son siège dans la salle. On est tous partagés entre notre émerveillement devant la beauté de ce spectacle qui nous a été offert, et l’accablement d’y avoir reconnu nos propres déroutes, et aussi – heureusement – nos quelques petites victoires.

Merci, Emmanuel !


Eric Debarnot Benzine

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