dimanche 10 juin 2018

«Nous savons bien qu'il n'y a presque point de cas où la liaison de nos idées avec les groupes de sons qui les appellent une à une ne soit tout arbitraire ou de pur hasard. Mais pour avoir de temps en temps observé, approuvé, obtenu quelques beaux effets singuliers, nous nous flattons que nous puissions quelquefois faire tout un ouvrage bien ordonné, sans faiblesses et sans taches, composé de bonheurs et d'accidents favorables. Mais cent instants divins ne construisent pas un poème, lequel est une durée de croissance et comme une figure dans le temps ; et le fait poétique naturel n'est qu'une rencontre exceptionnelle dans le désordre d'images et de sons qui viennent à l'esprit. Il faut donc beaucoup de patience, d'obstination et d'industrie, dans notre art, si nous voulons produire un ouvrage qui ne paraisse enfin qu'une série de ces coups rien qu'heureux, heureusement enchaînés ; et si nous prétendons encore que notre poème aussi bien séduise les sens par les charmes des rythmes, des timbres, des images, qu'il résiste et réponde aux questions de la réflexion, nous voici attablés au plus déraisonnable des jeux.»

Variété III, IV et V. Paul Valéry. Gallimard (1936-1944)

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