Le Roman comique. Paul Scarron. Flammarion (1981)
Le blog-note d'Aimable Lubin : extension du domaine radiophonique des Muses galantes et de la Petite Boutique Fantasque
lundi 18 août 2014
Talens réunis : textes (7.1)
«A peine se mettait-il à table pour dîner qu'on avertit que les carrosses approchaient. Il vola à son cheval sur les ailes de son amour, une grande épée à son côté et une carabine en bandoulière. Il n'a jamais voulu déclarer pourquoi il allait à une noce avec une si grande munition d'armes offensives, et la Rancune même, son cher confident, ne l'a pu savoir. Quand il eut détaché la bride de son cheval, les carrosses se trouvèrent si près de lui qu'il n'eut pas le temps de chercher de l'avantage pour s'ériger en petit Saint-Georges. Comme il n'était pas fort bon écuyer et qu'il ne s'était pas préparé à montrer sa disposition devant tant de monde, il s'en acquitta de fort mauvaise grâce, le cheval étant aussi haut de jambes qu'il en était court. Il se guinda pourtant vaillamment sur l'étrier et porta la jambe droite de l'autre côté de la selle, mais les sangles, qui étaient un peu lâches, nuisirent beaucoup au petit homme, car la selle tourna sur le cheval quand il pensa monter dessus. Tout allait pourtant bien jusque-là, mais la maudite carabine qu'il portait en bandoulière et qui lui pendait au col comme un collier, s'était mise malheureusement entre ses jambes, sans qu'il s'en aperçut, tellement qu'il s'en fallait que son cul ne touchât au siège de la selle, qui n'était pas fort rase, et que la carabine traversait depuis le pommeau jusqu'à la croupière. Ainsi il ne se trouva pas à son aise et ne put pas seulement toucher les étriers du bout des pieds. Là-dessus les éperons qui armaient ses jambes courtes se firent sentir au cheval en un endroit où jamais éperon n'avait touché. Cela le fit partir plus gaiement qu'il n'était nécessaire à un petit homme qui ne posait que sur une carabine. Il serra les jambes, le cheval leva le derrière et Ragotin, suivant la pente naturelle des corps pesants, se trouva sur le col du cheval et s'y froissa le nez, le cheval ayant levé la tête pour une furieuse saccade que l'imprudent lui donna, mais pensant réparer sa faute, il lui rendit la bride. Le cheval en sauta, ce qui fit franchir au cul du patient toute l'étendue de la selle et le mit sur la croupe, toujours la carabine entre les jambes. Le cheval, qui n'était pas accoutumé d'y porter quelque chose, fit une croupade qui remit Ragotin en selle. Le méchant écuyer resserra les jambes et le cheval releva le cul encore plus fort, et alors le malheureux se trouva le pommeau entre les fesses, où nous le laisserons comme sur un pivot pour nous reposer un peu ; car, sur mon honneur, cette description m'a plus coûté que tout le reste du livre et encore n'en suis-je pas trop bien satisfait.»
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