«Son existence n'était qu'un long combat livré à des objets déments qui se désagrégeaient ou se ruaient sur lui, ou se refusaient de fonctionner, ou malignement encore, disparaissaient dès qu'ils pénétraient dans la sphère de son existence. Inapte des deux mains à un degré rare, il ne s'en croyait pas moins remarquablement doué d'adresse et de talent mécanique parce qu'il savait improviser sur-le-champ une flûte avec une cosse de pois, parce qu'il réussissait dix ricochets au moyen d'un seul caillou plat sur le surface d'une mare, qu'il faisait avec ses doigts un lapin en ombres chinoises (oeil compris) et qu'il connaissait plusieurs autres de ces trucs insipides que tous les Russes ont dans leur sac à malices. Il raffolait des accessoires mécaniques, avec une sorte de délectation éblouie, religieuse. Les appareils électriques l'enchantaient. Les plastiques lui coupaient le souffle. Il avait une admiration profonde pour le fermeture éclair. Mais la pendule électrique branchée sur le secteur saccageait ses matins lorsque la tempête nocturne avait paralysé le centrale électrique voisine. Mais la monture de ses lunettes se brisait entre les yeux, l'abandonnait, deux pièces égales dans les doigts, qu'il tentait, vainement, de réunir, dans l'espoir qu'un miracle organique allait le tirer d'embarras. Mais cette fermeture éclair sur laquelle un gentleman doit pouvoir compter le plus, lui restait entre le pouce et l'index dans un moment atroce de hâte et de désespoir.»
Pnine. Vladimir Nabokov. Editions Gallimard (1962)
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