vendredi 29 août 2014

«A travers d'autres reproches, d'autres prétextes, ce que ne peuvent plus supporter les contemporains, Louis-Sébastien Mercier, Voltaire et avec eux la foule anonyme, c'est l'attitude d'irrespect catholique envers la mort. Qui a permis ce tableau insensé, ce bric-à-brac, cette allégorie, ces accumulations flottantes : les putains au milieu des cadavres eux-mêmes à fleur de terre, les boutiques, les trafics, les chiens, les enfants, les écrivains publics, la vie quotidienne, les transactions prostitutionnelles, les coïts la nuit tout près des caveaux. La vie en somme, la vie. Qui ne doit pas être mise en équivalence, en ressemblance, ni en contiguïté avec la mort. Sinon elles croulent l'une dans l'autre, sans cesse, se contaminent, se dédoublent, aboutissent à une sorte de calembour général, un jeu d'humour noir, un tripot hanté, un quiproquo de vaudeville. La vie... Ils diront tous la vie au 19e siècle, presque tous, avec un tremblement sacré, la ferveur de ceux qui ne peuvent plus aller plus loin. Dans l'effondrement des valeurs, c'est là qu'ils croiront en reconnaître une pour reconstruire un monde.
Le 19e est l'entrée de la mort dans sa pompe. De la mort cessant d'être un des masques entre autres de la vie, elle-même jusque là laissée vaguement en friche parce qu'elle n'était considérée que comme du semblant. De la Mort donc prenant sa majestueuse majuscule d'Autre en majesté. Devenant la Déesse noire de la nuit, la Reine du Léthé consacré. Intraversable désormais. Non transitoire. Définitive. Et bourrée de secrets. Eclairée comme une question. Sphinx à interroger. Gardienne du Temple. Diseuse de la bonne aventure de la vérité. Magique. Cartomancienne automate de la foire sacrée. Ordinateurs à horoscopes authentiques.»

Le XIXe siècle à travers les âgesPhilippe Muray. Editions Denoël (1999)

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