«Il faut donner l'histoire de cette jeune fille, telle que son amie me la raconta le lendemain, lorsque j'allai lui annoncer la protection de mad. De-M****. - Monsieur (me dit-elle), mon amie a été à l'Hôtel-Dieu à mon insu ; j'aurais sacrifié tout ce que je possède pour [l']en empêcher... C'est la plus jolie fille ou femme de ce quartier ; car elle est mariée ; et la plus malheureuse ! Son père, qui est un riche marchand de chevaux, lui a fait épouser, malgré elle, un homme qu'elle n'aimait pas : elle en aimait un autre. Le soir même du mariage, elle s'échappa, et vint me trouver, parce que j'avais été cuisinière chez eux. Elle me dit de la sauver, de lui donner de mes habits, et de la mettre en service, comme ma soeur, dans un autre quartier, ou qu'elle se détruirait. Je l'aimais trop pour m'y refuser. Je la plaçai donc à la Barrière-du-Trône. On fut si content d'elle, qu'on m'en fit bien des compliments, et de sa sagesse ; car en étant jolie, elle fut souvent attaquée ! C'est ce qui a causé sa maladie, ayant été si fatiguée, en se défendant contre le fils aîné de la maison, qui l'a violentée, après lui avoir inutilement offert le mariage, qu'elle en a eu une révolution. Ne pouvant me venir voir, elle a été se réfugier à l'Hôtel-Dieu, dont la puanteur l'avait suffoquée. Qu'on juge de mon étonnement, quand je reconnus dans la malade, la fille de maquignon, 286e Nuit ? Mad. de-M**** l'a prise sous sa protection.»
Les Nuits de Paris ou le spectateur nocturne. Rétif de la Bretonne. Gallimard (1986)
Les Nuits de Paris ou le spectateur nocturne. Rétif de la Bretonne. Gallimard (1986)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire