«On avait trouvé la solution : ce qui n'allait pas dans la société et chez nos parents c'était la frustration. Il fallait se débarrasser de toutes les frustrations. Et on pensait en premier lieu sexuelles. Et on essayait de convaincre nos putatives compagnes qu'il ne fallait pas nous laisser dans un tel état de frustration, de manque permanent d'affection et de sexe. Mais on avait beaucoup de mal à les convaincre et si jamais on y arrivait, c'était pour qu'elles se précipitent dans le lit du plus beau d'entre-nous. N'était-ce pas injuste ? Est-ce que cela nous aidait dans notre frustration permanente ? En même temps, nous étions pareil : nous sautions comme des crapauds sur les jolies filles et le autres, les normales, on les dédaignait, comme on nous dédaignait ! La paille et la poutre !
Et après, les psychologues nous ont déclaré que l'on ne se construisait qu'avec ou contre les frustrations. Alors, nous sommes bien construit, faits pour durer, toujours frustré.
Et puis bien construit, bien construit ! Lequel dans des conditions favorables ne se laisserait pas aller à un petit viol ou à subjuguer une innocence trop jeune. Nos bellâtres ont eu foule de maladies sexuellement transmissibles et nous pas. Ils ont eu les filles et nous pas.
Et ils ne sont pas plus heureux que nous au final. Quelle tristesse !
Nous avons peut être plus d'acuité intellectuelle, une vision des choses plus honnête. On devrait pouvoir éclater de rire. On le fait souvent mais pas toujours. Comme quelque chose qui nous reste dans la gorge, beaucoup plus qu'une amertume. On nous aurait menti. On nous baladé probablement d'ailleurs pour des raisons mercantiles. Frustration, consommer pour compenser. Nous étions compulsifs du sexe, il fallait l'être des achats. Et on a pas compris. Ou on a pas voulu comprendre.»
Les Perdants magnifiques. Léonard Cohen. Christian Bourgeois éditeur (2002)
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