«Il est intéressant aussi de se souvenir que c'est à la même époque qu'on se met en tête d'inventer le concept de musée. A l'occasion de la fête du 10 août 1793. Le Louvre, ancienne résidence des rois, devient cimetière à œuvres d'art. A cette occasion également, la Convention décrète l'ouverture du musée des Monuments français où va s'entasser ce qu'on a volé des églises. "Tout un monde de morts historiques, sorti de ces chapelles à la puissante voix de la Révolution", s'excite Michelet qui a le sens des morts comme on a le sens du rythme ou des affaires et qui croit revivre l'aventure prodigieuse biblique de Josaphat. On a tout entassé là à la hâte. Chaos du passé dans un monde qui commence déjà à percevoir inconsciemment que son avenir ne va plus consister qu'à le revivre et le recombiner ce passé, le réévoquer et le représenter. En même temps, David organise la fête du 10 août pour laquelle il monte ses trois grandes statues de plâtre : le Peuple-Hercule aux Invalides, la Liberté là où précisément fonctionne tous les jours l'échafaud, place de la Révolution, et la Nature au milieu des gravats pas encore déblayés de la Bastille. Les statues seront laissées sur place, elles pourriront aux pluies d'automne. Totems vite délabrés, fétiches fossiles. Tristes trophées. La Liberté qui s'en va par plaques fait mauvais effet à côté de la guillotine qui a recommencé à découper la contre-révolution en saucisson. La fête est finie, elle était pourtant réussie : un tombereau emportait les sceptres et les couronnes de l'ancien régime, une urne sur un char contenait les cendres des héros. Des charrois, toujours des charrois. Version à l'envers du transfert des Saints-innocents aux Catacombes.»
Le XIXe siècle à travers les âges. Philippe Muray. Editions Denoël (1999)
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