«Balthus a peint de jeunes garçons ou de jeunes filles à peine pubères, et l'on a glosé sur cette prédilection. On ne s'est guère avisé que la raison pourrait n'être que d'ordre plastique. A quinze ou seize ans, musclé déjà par le jeu, le corps a quitté les plis et les rondeurs de l'enfance mais il n'est pas encore soumis à la différenciation sexuelle qui en accentuera diversement les proportions. Il est dans cet état d’éphémère équilibre qui le porte à sa plénitude : plénitude charnelle de ses volumes, plénitude sensible de l'androgyne. Élastique et ferme, le corps innocemment savoure une unité indifférenciée, dont initié, il tentera plus tard d'autant plus savamment de retrouver l'ambiguïté délicieuse et terrible en devenant tour à tour Fiordiligi ou Dorabella.
(La vogue de la nudité qui envahit chaque été les plages permet au moins, en multipliant les possibilités de comparaison, de constater que le corps n'est jamais plus beau que chez les adolescents. Il atteint là, pour quelques mois, une année ou deux au plus, une sorte de perfection des formes qui ne se retrouvera plus. Mais cette beauté lisse et pleine est sans attrait sexuel ; c'est une beauté abstraite et pure, qui n'attend rien et ne demande rien. On la contemple comme on contemplerait la beauté d'une plante, d'un animal, d'une espèce vivante qui nous serait étrangère. La maturité, qui rompt cette plénitude et qui avoue son manque, est déjà un déclin, qui ramène le corps vers un destin fixé, soumis à la loi du désir et de la mort.)»
Les Métamorphoses d’Éros. Jean Clair In "Catalogue d'exposition Balthus. Centre Georges Pompidou" RMN (1983)
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