«La petite fille vécut trois mois. Puis un matin en effet, tandis qu'elle la déshabillait pour la laver, la mère s'aperçut que ses petits pieds étaient enflés. La mère ne la lava pas ce jour-là, elle la recoucha et l'embrassa longuement. "C'est la fin, dit-elle, demain ce sera les jambes et après ça sera son cœur." Elle la veilla pendant deux jours et la nuit qui précédèrent sa mort. L'enfant étouffait et rendait des vers qu'elle lui retirait de la gorge en les enroulant autour de son doigt. Joseph l'avait enterrée dans une clairière de la montagne, dans son petit lit. Suzanne avait refusé de la voir. Ç’avait été bien pire que pour le cheval, pire que tout, pire que les barrages, que M. Jo, que la déveine. La mère, qui pourtant s'y attendait, avait pleuré des jours et des jours, elle s'était mise en colère, elle avait juré de ne plus s'occuper d'enfants, "ni de près ni de loin".»
Un Barrage contre le Pacifique. Marguerite Duras. Gallimard (1950)
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