«Ça a été plus fort que moi, je me suis mis à noter cette histoire de mes premiers pas dans la carrière de la vie, alors que j'aurais pu m'en passer. Une chose dont je suis sûr : jamais plus je ne me mettrai à écrire mon autobiographie, quand bien même je vivrais centenaire. Il faut être ignoblement amoureux de sa propre personne pour écrire sans honte sur soi-même. Je ne me trouve qu'une seule excuse, c'est que je n'écris pas pour ce qui fait écrire tout le monde, à savoir les louanges du lecteur. Si l'idée m'est soudain venue de noter mot pour mot tout ce qui m'est arrivé depuis l'année dernière, elle m'est venue à la suite d'une nécessité intérieure : tellement je suis sidéré par ce qui s'est accompli. Je ne note que les événements, m'écartant à toute force de ce qui n'a pas de rapport, et surtout -des beautés littéraires ; le littérateur écrit pendant trente ans et, à la fin, il se demande bien pourquoi il a écrit pendant tellement d'années. Je ne suis pas un littérateur, je ne veux pas être un littérateur, et traîner sur leur marché littéraire l'intérieur de mon âme et la belle description des sentiments, je prendrais ça pour une chose indécente et ignoble. Non sans dépit, je pressens pourtant que, semble-t-il, c'est impossible de se passer complètement de descriptions, des sentiments et de réflexions (même peut être vulgaires) : tant est perverse sur l'homme l'influence de toute activité littéraire, quand bien même elle ne serait entreprise que pour soi seul. Ces réflexions, elles, elles peuvent même être vulgaires parce que ce à quoi vous accordez vous-même beaucoup de prix n'en a peut être, c'est très possible, aucun aux yeux d'autrui. Mais, tout ça, laissons. N'empêche, voilà une préface ; plus tard, il n' y aura plus rien de ce genre-là. Au travail ; il n'y a rien de plus compliqué que de commencer un travail, n'importe lequel, et même si ça se trouve,le travail en général.
L'Adolescent. Fédor Dostoïevski. Actes Sud (1998)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire