«Jusqu'en 1914, Kozyr avait été instituteur de village. En 1914, il partit pour la guerre dans un régiment de dragons, et en 1917 il était nommé officier. Et l'aube du 14 décembre 1918, sous l'étroite fenêtre de la chaumière, trouva Kozyr colonel de l'armée de Petlioura, et personne au monde (et Kozyr moins que quiconque) n'aurait pu dire comment cela s'était produit. Or cela s'était produit parce que la guerre s'était révélée à lui, Kozyr, une véritable vocation, alors que l'enseignement n'avait été qu'une longue et grossière erreur. C'est bien d'ailleurs, ce qui arrive le plus souvent dans notre existence. Pendant vingt ans de suite, un homme accomplit une tâche quelconque -par exemple enseigner le droit romain-, et la vingtième-et-unième année, il s'aperçoit soudain qu'il n'a que faire du droit romain, qu'il n'y a même jamais rien compris et qu'il n'aime pas ça, et qu'en réalité, il est un fin jardinier et brûle d'amour pour les fleurs. Cela vient, probablement, de l'imperfection de notre organisation sociale, qui fait que bien souvent, c'est seulement vers la fin de leur vie que les gens trouvent leur véritable place. Kozyr la trouva, lui, à quarante-cinq ans. Jusque-là, il n'avait été qu'un mauvais instituteur, brutal et ennuyeux.»
La Garde blanche. Mikhaïl Boulgakov. Editions Robert Laffont (1993)
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