Saint-Cloud, le 20 août 1690
«... Ci-joint toutes les chansons que l'on chante en ce moment. Elles ne sont pas précisément élogieuses pour notre bon roi d'Angleterre. Et vous verrez en les lisant que tout en aimant le roi et en détestant le Prince d'Orange les gens de ce pays-ci estiment celui-ci plus que l'autre, comme le prouve les chansons. Jeudi dernier nous avions ici le pauvre roi et la reine. Celle-ci était bien sérieuse, tandis que lui était très gai... J'entendis dans la calèche un dialogue qui m'a bien divertie. Monsieur selon son habitude, parlait de ses joyaux et de ses meubles et finit par dire au roi :
- Et V. M. qui avoit tant d'argent, n'aves-vous pas fait faire et accommoder quelque belle maison ?
- De l'argent, dit la reine, il n'en avoit point je en luy ai jamais veu un sou !
Le roi réplique :
- J'en avoit, mais je n'ai point achettes des piereries ny meubles, ny n'ai point fait accommoder de maisons, je l'ai tout employes, à faire bâtir de beaux vaisseaux, fondre des canons et faire des mousquets.
- Ouy, dit la reine, cela vous a servi de beaucoup et cela a tout estes contre vous.
Et le conversation en resta là.
Si la prophétie du dernier roi d'Angleterre est vraie, le bon roi Jacques ne pourra pas même faire un bon saint. Mme de Porsmouth, que nous avions ici il y a quelques jours, m'a en effet raconté que le feu roi avait coutume de dire : "Vous voyez bien mon frère, quand il sera roy, il perdra son royaume par zelle pour sa religion, et son ame pour de vilaines genipes. Car il n'a pas assez de goût pour en aimer de belles." Et la prophétie s'accomplit déjà : les royaumes sont à vau-l'eau et l'on prétend qu'à Dublin il avait deux affreux laiderons avec lesquels il était toujours fourré... Plus on voit ce roi, plus on apprend de choses sur le compte du prince d'Orange et plus on excuse ce dernier et on le trouve digne d'estime. Vous penserez peut être qu'on revient toujours à ses premières amours.»
Lettres de Madame duchesse d'Orléans, née princesse Palatine. Mercure de France : Le temps retrouvé. (1981)
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