«J'aimais et admirais Octave, avait expliqué Milan, non seulement à cause de son talent mais aussi à cause du charme, d'une grâce toute particulière, qui le faisait aussi différent de tout le reste des humains qu'une licorne de toute la race des chèvres. J'étais fier et heureux de connaître un homme fabuleux. J'ai fréquenté toutes célébrités de notre jeunesse, mais il était le seul auquel je reconnusse ce qu'on appelle du génie. Peut-être étais-ce aussi une illusion ? Je me méfie maintenant des mots qui travestissent en termes profanes les superstitions de la religion. Peut-être l'aimais-je tout simplement et n'usais-je des termes de l'admiration que pour me voiler une tendresse inavouable. Je me rappelle, nous avions dix-huit ans, qu'un soir d'hiver, il revenait de province, j'étais allé l'attendre à la gare de l'Est, nous avons marché côte à côte jusqu'à la place Saint-Michel, nous allions lentement, j'avais posé ma main sur son bras : ce seul contact, cette seule présence, me remplissaient d'un bonheur dont jamais par la suite les transports de l'amour ne m'apportèrent l'équivalent. Telle était ma ferveur.»
Les mauvais coups. Roger Vailland. Editions du Sagittaire (1948)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire