«Maudit soit celui qui n'ose parler de lui-même, parce qu'il n'a que des vices et des platitudes, recouvertes d'orgueil ! Maudit soit celui qui redoute le sourire niais des sots, et qui n'ose hasarder un mot ridiculisé par leurs plats calembours, et leurs insipides applications ! Maudit soit celui qui n'ose avouer ses défauts et qui veut pédantesquement passer pour un être parfait !... J'en ai avoué plus d'un, et j'en confesserai de bien plus grave dans un autre ouvrage ! D'ou vient ne parlerais-je pas de moi ? Connais-je quelqu'un aussi bien que je me connais ? Si je veux anatomiser le coeur humain, n'est-ce pas le mien que je dois prendre ? J'ai des défauts. Hé bien ? ils sont à la nature autant qu'à moi. ! Je les ai toujours combattus ; mais quand ils ont été vainqueurs, je ne m'en suis pas désespéré ; je les ai guettés, pour leur rendre la pareille. J'ai aussi des vertus ; oui, j'en ai autant que personne que je connaisse ! Mais j'ai eu toutes les folies, tous les travers de l'esprit humain. Toutes les idées ineptes de nos seigneurs, qui font des parcs, des jardins anglais, qui rasent des villages, pour arrondir des enclos, qu'ils entourent de murailles, afin de mieux assurer leur propriété, je les ai eues dans mon enfance. Et je n'ai pas été médiocrement surpris de retrouver toutes les folies de ma tête dans celles des autres hommes. Avec cette différence qu'ils les exécutaient, et que je n'ai pas pu exécuter les miennes, faute d'argent. J'avais bien l'âme d'un grand seigneur, moi fils très pauvre d'un laboureur ! Car dans ma première effervescence, entre quatorze et quinze ans, je me donnais des terres, des maîtresses ; je bâtissais en Espagne des châteaux de volupté. Tout cela est resté sans exécution, parce que j'étais pauvre. Aussi combien de fois ne me suis-je pas prosterné en esprit devant l'Etre suprême, pour le remercier de m'avoir fait naître pauvre. ! Car sûrement j'aurais fait beaucoup de mal et de bien, si j'eusse été riche ; mais plus de mal d'abord.»
Les Nuits de Paris ou le spectateur nocturne. Rétif de la Bretonne. Gallimard (1986)
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